Chapitre 30 : Le Pré de l’Asphodèle
Quand je me réveillai, je n’étais pas chez Hadès. Je me retrouvai sur le banc où je m’étais assoupi, tête repliée contre moi, yeux lourds et bouche asséchée. Le soleil n’était pas couché et la canicule bâtait à son plein. En ouvrant le yeux, je me remarquai que j’étais en pleine lumière. Depuis combien de temps en était-il ainsi ? Je me sentais brûlant, de la tête jusqu’aux doigts de pieds.
Alors je m’extirpais aussitôt de ce climat infernal, je me levais pour rejoindre l’arbre du grand arbre. En me levant, la tête me tourna : à cause de mon état, et à cause de tout que j’avais rêvé. Le palais, l’Émir, mes parents,…
Soudain, j’entendis un cri. Je tremblais de long en large : c’était le cri d’un damné, un fantôme, ou pire. On ressentait en effet toute la douleur du damné, sa souffrance, comme s’il se faisait écorché vive au même moment. Le son était si proche que je tournais de tous les côtés pour voir l’être en question. Personne. Et on s’arrêta de crier.
Il eût un long moment et j’eus l’illumination. Il n’y avait pas de damné. C’était moi qui venait de crier. Dans ce cri, il y a un nom qui ressortait : c’était celui de ma sœur. Je l’avais appelé sans m’en rendre compte, en plein désespoir. Les minutes passèrent en silence. Puis un spasme me secoua tout entier. Alors l’Enfer c’était ici même… Seul, sur un banc, jusqu’à devenir me transformer en poussière.
J’aurais pu sombrer dans le malheur, quitte à écourter mon séjour terrestre, mais il en fut tout autre. Le son de ma voix avait porté jusqu’au bout du parc. Et à l'autre bout du parc, il y avait quelqu’un.
– Qui est là ?
Ma voix était rauque et marquée par la sécheresse, signe effectivement que j’avais trop attendu.
Les buissons avaient bougé, j’en étais sûr. Je n’étais pas seul.
Je scannai l’étendue verte en face de moi, tout à fait immobile dans la canicule. Un animal peut-être ? Alors un tout petit animal. Je m’approchai pour en avoir le cœur net.
Et en regardant de plus près, je m’aperçu, que depuis tout ce temps, l’animal mystère était juste en face de moi.
– J’ai dit ton prénom et tu n’es pas venu ? Mais qu’est-ce qu’il t’arrive ?
– Je n’ai pas fini, me dit-elle nonchalamment
Mon cœur battait à nouveau du soulagement de la voir. Quant à elle, elle me dénigrait clairement.
– Qu’est-ce qui t’arrive, tu es toute pâle, tu vas bien ?, lui lançai-je.
Elle s’était retournée à son occupation et ne me répondait plus. Alors je m’approchai encore pour voir ce qu’était son occupation. Au début, je crus qu’elle jouait dans les buissons car elle tenait des sortes de figurines. Il m’apparut vite que c’était de simples morceaux couleur charbon. Mais des morceaux de quoi ?
– Tu plantes des graines ?
– Oui c’est ça.
Toujours la même indifférence. Je me dis que son air était trop sérieux pour que ce soit de simples graines. L’air du soir, le soleil qui se couchait et ses étranges bouts de charbon, cela me fit penser à une invocation. Elle était peut-être possédée par un démon de l’infra-monde. Soyons prudents alors, me dis-je. Restons calmes et faisons comme si c’était normal.
– Oh ça a l’air bien tes graines, tu veux que je t’aide à les planter ?
Elle tourna lentement la tête. Ses yeux étaient noirs et inanimés.
– Ce n’est pas vraiment des graines.
Sa main se tendit vers moi, lentement. Elle me montrait les bouts de charbon noir, en vérité les morceaux brisés d’un pierre que je ne connaissais que trop.
– C’est toi qui l’avait cassé, déclama-t-elle d’un ton monocorde.
Qu’elle me rappelle l'événement comme ça, sans autre forme de procès, sans plus de formalités, j’en devins rouge vif.
– Qu’est-ce que tu as ? Tu veux m’énerver, c’est ça ? Ça sert à rien de me faire culpabiliser, parce l’Émir, il est mort ! Oui, il est mort ! Et bientôt, nous deux on y sera aussi chez Hadès tu comprends ?
Le temps s’arrêta. Non, nous n’y serons pas car nous y étions déjà. Sur la route en terre, pas une âme, dans tout le parc, pas un bruit. Et au-delà, le calme plat. Nous y étions déjà dans le royaume d’Hadès. C’était la seule explication. Tous les autres étaient autre part, dans les limbes ou bien les Enfers. Et nous voilà donc notre ultime résidence, dans l’au-delà.
Quand cette réalité me frappa, c’est comme si des ailes me poussaient dans le dos. Tout le reste, tout ce qu’il y avait avant, tout ce qu’il y avait après, cela m’importait peu.
À cette révélation, mon esprit était en train de se préparer au grand saut, pour rejoindre très sûrement le fameux palais, là où vont les élus. Soudain, une petite main me retint.
C’était ma sœur.
– On rentre à la maison ?, dit-elle en secouant ma manche.
Elle se tenait debout devant moi, ses yeux n’étaient plus noirs.
– Mais… la maison… elle a été détruite ?
L’éclat de ma voix me surpris. Raque et cadavérique, celle qu’avait eu ma sœur quelques instants plus tôt.
– Mais si ! Mais si ! Viens grand frère, on va reprendre le métro et nous y sera rapidement.
Tout en détachant chacune des syllabes du mot rapidement, elle se mit soudain en marche en m’emportant avec elle.
—
Derrière elle gisait toujours les fragments de la pierre noire. Les fragments étaient des graines. Celles-ci donnèrent des arbres qui survécurent tout au long de la canicule, et puis même au-delà. Enfin, c’est ce que la légende raconte, car moi, je n’y suis jamais revenu dans ce parc.
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