- MAMAN ! MAMAN ! ZE PEUX ZOUER AVEC LE CHAT ?

En un bond je me retrouve en équilibre en haut de la seule armoire de la pièce.
Je fusille du regard le gnome dont les yeux se mettent à briller alors qu’il s’est immobilisé. La déception suant par tous ses pores. Sa lèvre se met à trembler alors que la vague de chagrin le submerge.

Chiales, tu pisseras moins.

Les eaux du Niagara se mettent à couler mais l’insupportable ce sont les cris stridents qu’il se met à pousser.

- NON ! HUGO !!!

Voilà mon « amie » qui déboule, manquant d’écraser son rejeton qui ne s’est pas poussé. Elle pousse un grand soupir de soulagement en me voyant la fusiller du regard du haut de mon perchoir.

Bon je dois pas être au top côté intimidation car elle joint les mains en signe de prière en me souriant de toutes ses dents. Sûr qu’elle voudrait encore me serrer dans ses bras pour tenter de m’embrasser mais là je surplombe la scène et je sens que je vais adopter cet endroit.

- MAMAN !!! ZE VEUX ZOUER AVEC LE CHAT !!!

On a compris.
Je plisse les paupières, ne laissant apparaître qu’une mince fente dans laquelle je concentre toute ma haine.
Petit pou. Je vais pas te louper toi.

La mère se tourne vers le mioche et s’accroupit en lui posant les mains sur les épaules.

- Calme toi Hugo. C’est une petite femelle et elle va rester avec nous mais il ne faut plus que tu lui fasses peur.

J’ai pas peur moi. Laissez-moi deux minutes dans la pièce avec lui et je lui refais la face style quadrillage pour morpion. Tiens ce petit nom lui irait parfaitement.

La nuit m’a permis de reprendre des forces et là je suis d’attaque. Si je n’ai pas recouvré la mémoire j’ai tout de même évalué la situation sous tous ses angles et pris la meilleure décision. Pour moi.

Il ne semble pas écouter et pointant son index vers moi, il se met à hurler.

- ZE VEUX ZOUER AVEC LE CHAT !!!

Dur à la comprenette l'insecte.
Comme j’ai envie de sauter sur son doigt et le gniaker. Sûr que ce serait pas aussi bon que le saumon fum,, mais il doit être encore tendre à son âge. Quoi que je sais pas où ont trainé ses pognes.

- Il faut que tu sois sage.

- NON ! ZE VEUX…

Elle le serre contre lui et dépose un énorme baiser bruyant sur sa joue.

- J’ai préparé des crêpes pour le petit déjeuner. Si tu allais réveiller Zoé ?

Comment ?

Je sais pas ce qui me sidère le plus. Le fait qu’elle contrôle tout son monde par la bouffe ou sa stupidité. Si la gamine dort encore, c’est soit qu’elle l’a saoulé hier soir ou qu’elle est sourde.

Ou alors c’est pour éloigner son rejeton ? Serait-elle moins idiote qu’elle ne le paraît ?

Après tout la nuit porte conseil et déjà elle a fait un effort côté serpillère. Ses cheveux sont tirés en un chignon qui laisse s’échapper quelques mèches dorées.

Quoi qu’il en soit, ça marche.

- YOUPIIIII !!!! DES CREPES !!!! ZOE ! ZOE !!! LEVE TOI !!!

La furie zozoteuse a quitté la pièce en couinant et en me laissant avec sa mère qui pousse un léger soupir et me regarde de nouveau.

- N’aie pas peur tout va bien se passer. Je vais t’amener du lait et ensuite nous ferons les présentations.

Pour le lait ok, pour les présentations je passe mon tour.
De toute façon, un, j’ai pas envie de les connaître, deux, je ne me souviens même pas de mon nom.

Elle referme la porte et j’entends derrière un bruit de cavalcade, des cris, des bruits de chaises qui raclent le sol, une assiette qui se brise. Bon sang. C’est pas ici que je serai tranquille.

Je prends mes aises en haut de l’armoire. Un truc qu’il faut lui reconnaître, c’est que c’est propre.
À croire qu’elle a que ça à foutre.

Ça doit être joli son quotidien à la Miss.

Mon bol de lait arrive bientôt et est posé sur la table. Elle cherche à m’amadouer c’est sûr.

J’attends prudemment qu’elle quitte la pièce pour descendre et m’approcher précautionneusement. Je hume. Lape. Un coup de langue, puis deux, puis m’installe pour boire avec ravissement ce délicieux breuvage.

Trop bon.

Une fois fini, je prends le temps de faire ma toilette.

- FINIIIII !!!!

La voix suraigüe me fait lever une oreille.
Une cavalcade. Dix secondes avant l’arrivée du morpion.
D’un bond, je rejoins mon abri et l’attends.

La porte s’ouvre à la volée, claque contre le mur. Il me cherche du regard et en m’apercevant en haut de l’armoire, ses yeux se mouillent.

Coucou.

Si je pouvais, je lui adresserai un grand sourire vicieux, mais il se contentera de mon regard hautain.

- MAMAN !!! ZE VEUX ZOUER AVEC LE CHAAAAAAAAT !!!

Le disque semble rayé. Sa génitrice revient dans la pièce accompagnée d’un autre gnome à la tignasse blonde.

- Hugo si tu lui fais peur elle ne descendra pas. Il faut être calme et gentil.

Calme et gentil ? Sérieux ? Non, mais c’est à l’antipode de ce chiard.

- Elle s’appelle comment ? demande une voix fluette.

La gamine garde tout son sérieux et serre contre elle un chiffon rose. J’aime pas comment elle me regarde. Elle semble avoir pris toute l’intelligence du duo.

- Je ne sais pas. Comment voulez-vous l’appeler ? demande la mère.

Je me dresse sur mes pattes.

NON MAIS HO ! C’EST PAS PARCE QUE JE NE ME SOUVIENS PAS DE MON NOM QUE VOUS ALLEZ CHOISIR POUR MOI !!!
M’ignorant totalement, elle continue.

- C’est une année en R donc il faut que son nom commence par R.

Hein ? C’est quoi cette connerie ? Et c’est l’adulte qui pond ça ? Je savais bien que l’idiote de service n’avait pas inventé le fil à couper le beurre mais y’a des limites !

- RONRON ! crie le morpion.

- Non ! Rebelle ! Comme ma princesse préférée ! minaude la petite.

- RANTANPLAN ! couine son faux jumeau.

Mais je suis pas un chien bordel !

- Rox ! lance sa sœur.

C’est un renard, crétine !

- Ravaze ! zozote l’autre.

C’est ta face que je vais ravager.

Je frôle l’apoplexie. Ils vont me tuer avant l’heure. Pourquoi pas Redbull ou Ricotta pendant qu’ils y sont. Un grondement sourd s’échappe de ma gorge.
Ça va pas le faire. Faut que je me tire d’ici. Jamais je ne pourrai les tolérer.

Avec un soupir, la grande godiche se décide enfin à intervenir.

- Et que pensez-vous de Raven ?

Elle aurait mieux fait de la boucler. Raven ? Non mais j’ai la gueule d’un corbac ?

- Raven ? Ca veut dire quoi maman ? demande la gamine en s’accrochant à sa jambe de pantalon.

- C’est pourri ! balance le morpion.

C’est bien la première fois que je suis d’accord avec lui.

- Mais non mon chéri. Raven c’est corbeau en anglais. Et elle toute noire. Comme les corbeaux.

Je reste dubitative.

Elle s’est vue ? Non mais faudrait peut-être que je l’appelle face de craie ? Et ses morbacs faces de fion ?

- Oh oui !!! braillent en chœur les deux petits monstres sont unanimes.

Et moi ? J’ai mon mot à dire ?

Faut croire que non car elle continue.

- Alors c’est décidé ! Raven. Je te présente Zoé et Hugo et moi c’est Alexandra. Ou Maman si tu préfères.

Du haut de mon armoire, je ne bouge pas. Je sens que je vais vomir.