AYUTO
Si j’ai bien une réclamation à faire au sujet de cet abri, c’est le bruit.
Un piaillement incessant et horripilant.
Toute la journée, des cris, des plaintes, des pleurs…
Que ces morpions sont bruyants !
Le mioche plus que sa sœur.
Bon, c’est pas tout, mais j’aimerai bien retrouver ma mémoire.
Qu’est ce qui a bien pu se passer ?
* Tu es morte. *
Alors là : Grand blanc.
C’est quoi cette voix familière dans ma tête ? Je deviens folle ? Le contrecoup du choc ?
* Cherches pas. C’est moi. Ayuto. *
* Ayuto ? *
Ce nom me dit vaguement quelque chose, mais je n’arrive pas à remettre les pièces du puzzle en place.
Foutue mémoire.
Je m’avance prudemment au bord de l’armoire. En bas y'a rien.
Je plisse les paupières pour mieux voir. Nada. Peau d’balle.
Ça sent pas bon là.
* Derrière toi. *
Je fais un bond et volte-face, les poils hérissés, la queue comme un hérisson de ramonage.
Un léger rire résonne dans ma tête.
* J’ai eu du mal à te trouver ! *
C’en est trop !
Je crache et pense irritée.
* COMMENT ÇA JE SUIS MORTE ??? ET T’ES QUI PUTAIN DE BORDEL DE MERDE ! *
Devant moi, se tient un souriceau dressé sur ses deux pattes arrière. Il me toise en frottant son petit museau.
* C’est vrai que c’est étroit. Il va falloir s’y habituer. *
Cette fois, je perds ma bonne humeur et feule sur la boule de poils qui ne semble pas effrayée le moins du monde.
* S’habituer à quoi ???
Sans se départir de son calme, il me répond comme si c'était évident.
* Tu es la Bergère. La Gardienne des âmes. Tu as été gravement blessée et lors de ta fuite tu es arrivée sur le monde humain et tu es morte. *
Ma mâchoire s’effondre.
C’est comme un coup de poignard en plein cœur.
Ça fait mal.
Je suis morte ?
J’ai beau chercher, me concentrer. Rien n’y fait.
Un brouhaha aussi épais que du porridge trop cuit m’empêche d’accéder à mes souvenirs.
Péniblement, je réunis suffisamment de neurones pour demander :
* Et tu es ? *
Le petit rongeur fait une révérence qui pourrait être comique si la situation n’était pas dramatique.
* Ayuto. Pour te servir. *
C’est quoi ce truc ?
Ma pensée file plus vite que je ne voudrais.
* En général les souris servent plutôt de repas aux chats. *
* Je suis un mulot ! Pas une souris ! * glapit-il dans ma tête, indigné.
Je hausse les épaules et continue en pensées. *De toute façon, je ne suis pas vraiment une chatte n’est-ce pas ? *
Ayuto opine de la tête.
* Comme moi un mulot. *
Mes pupilles se dilattent. J'aimerai pouvoir juger de la véracité de ses propos.
Je reviens à nos moutons au prix d’une intense concentration.
* Donc je suis morte. Ok. Mais c’est quoi cette histoire de gardienne.*
J’ai les oreilles qui bourdonnent. Je me sens faible. Ça fait beaucoup à encaisser.
Avisant la couverture déposée plus tôt dans la journée par Alexandra sur les conseils de son amie, il m’indique.
* Viens t’installer. Ça risque d’être un peu long *
Levant les yeux au plafond avec mauvaise grâce, je me plie avec lenteur à son injonction tout en bougonnant.
* Je sens déjà que ça va me saouler *
Sa pique ne tarde pas.
* Si tu veux y’a un moyen plus rapide, mais tu risques de pas aimer. *
Sceptique et bravache, je lance un * Chiche ! *
Je regrette immédiatement mon défi, mais il est déjà trop tard.
Est-ce bien une étincelle vicieuse que je discerne dans son regard ?
La sale bestiole ne se le fait pas dire deux fois.
Ses petits yeux noirs changent de couleur pour un violet clair et je ressens comme une décharge électrique extrêmement douloureuse puis l’impression de flotter. Décorporalisée.
Après cette douleur fulgurante, ça fait un bien fou.
C’est comme si le temps s’était mis sur pause.
Je vois Ayuto et cette chatte noire qui lui fait face sur la couverture. C'est moi et pourtant je n'ai pas l'impression que ce soit vraiment moi.
La pièce vue de haut, j’ai l’impression d’être une araignée au plafond.
Je suis eux. Je suis tout.
Le voile se déchire.
Note :
¤Ayuto : Aide en Italien
¤Syn : Le prénom Syn est le nom d'un personnage de la mythologie scandinave. Sous ce prénom, on connaît Syn, fille de Sif, déesse du droit, elle était la gardienne de la Porte d'entrée. Syn gardait l'accès à l'assemblée des Ases. C'est à elle qu'il fallait s'adresser pour prendre la défense des causes perdues.
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