Il pleuvait tant je ne m’entendais plus penser. Les lamentations du ciel avaient pris d’assaut mes épaules dénudées. Milliers de cristaux glacés contrastant avec la chaleur de mon corps. L’impression de feu intérieur était puissante. Autour de moi une légère brume gommait la netteté du paysage, le transformant en amas de taches ocre, safran, nacarat... je ne pus résister à un sentiment d’émerveillement face à cette richesse de nuance. On aurait pu s’imaginer dans un tableau où le peintre avait barbouillé sa toile avec frénésie, agacé de trop de perfection. J’inspirais avec avidité l’air humide et si particulier d’un mois brûlant de soleil devenant soudainement pluvieux, durant lequel les senteurs boisées étaient exhalées. Je m’imaginais sans mal respirant un bouquet de fleurs automnales, nageant dans l’euphorie et l’insouciance d’une enfance légère. La maison n’était qu’à quelque mètres, on la distinguait au loin derrière un rideau de pluie lactescent. Je ralentis ma démarche pour reprendre ma respiration. En détournant le regard vers la droite, je vis les contours d’une silhouette immobile se dessiner. Curieuse je m’approchai, elle n’avait pas de parapluie (moi non plus d’ailleurs). Si elle restait là encore longtemps elle risquerait de tomber malade… Me rapprochant encore je l’interpellai.

Elle se retourna soudain. Mon corps s’immobilisa. Je fus saisie par ce regard semblable à nul autre. Ma phrase resta en suspens. Ainsi que tout ce qui nous entourait. La pluie sembla s’être arrêtée, je ne sentais plus sa froideur, ni son martèlement dans mes tempes. Le silence. Il n’y avait plus rien. Plus de forêt, plus de sol, plus rien à part elle. Comme si j’avais été frappée par une décharge électrique. Elle se rapprocha doucement, en me dévisageant, elle semblait voir une adolescente pour la première fois. Je ne saurais dire à quoi elle ressemblait. Ni ce qu’elle portait. Tout ce qu’il me reste en tête aujourd’hui ce sont ses yeux. D’un vert surnaturel, intense et profond. Un vert venu d’un autre monde.