Chapitre 1
Joséphine
- Tu sais, Tom, je crois que papa me raconte des histoires. Ce n'est pas vrai que maman reviendra un jour. Je crois qu'elle est vraiment partie pour toujours.
Je suis assise dans mon lit et je tiens dans mes bras mon ours en peluche. Il s'appelle Tom, il est de couleur bleu ciel. Il porte un petit bonnet rouge sur la tête et une écharpe autour du cou de même couleur. Il est toujours très attentif à ce que je raconte. Je poursuis :
- Mais ça ne veut pas dire qu'il faut qu'on reste comme ça. On va prendre les choses en main, toi et moi. Et on va trouver une autre maman.
J'entends soudain craquer les marches de l'escalier étroit qui dessert l’étage de notre petite maison. Zut, c'est déjà papa qui monte.
- C'est l'heure de dormir, Joséphine. Arrête de lire.
- Je n'ai pas fini mon chapitre, papa.
- Pff... C'est encore long ?
- Non. Deux pages. Deux petites.
Vite, je reprends mon livre, que j'avais posé à côté de mon oreiller. Papa passe la tête par la porte de ma chambre.
- Deux minutes. Je te laisse deux minutes.
Puis il s'éloigne, il entre dans la salle de bain, pour se brosser les dents. Ensuite, il revient dans ma chambre et éteint la lumière.
- Bonne nuit, ma pitchoune. Fais de beaux rêves.
- Bonne nuit, papa. Fais de beaux rêves aussi.
Comme tous les soirs, je noue mes bras autour de son cou et je dépose un baiser sur chaque joue. Papa me répond de même, éteint la lumière et retourne au salon.
Bastien
Je commence par me vautrer dans le canapé, j'ouvre le programme télé et grommelle. Foot, jeu, débat palpitant sur la politique agricole commune (je m'en fous comme de ma première chaussette), comédie romantico-cucul, énième rediffusion d'Angélique, marquise des anges ou bien 458ème épisode du feuilleton télé Plus belle la vie. Je lis les trois lignes du résumé "tiens, ça a l'air mouvementé…". Sauf que je n'ai pas vu les 457 précédents. Je soupire : je n'y comprendrais rien.
Je lève les yeux au plafond, je me dis que la télé, ce n'est pas le programme de la soirée. Et pourquoi pas un film ? Joséphine me harcèle pour regarder les épisodes de la Guerre des étoiles, mais je veux les revoir avant pour être sûr que certaines scènes ne la choqueront pas.
Et voilà que j'entends la voix de la pédopsychiatre me dire : "Ne couvez pas votre fille, Monsieur Garnier. Elle n'est pas en sucre…"
Si. C'est un vrai sucre d'orge, Joséphine. Avec une ribambelle de couleurs et quinze mille idées à la minute. J'ai souvent du mal à suivre. Trop nul.
Bon, mais tout cela ne me dit pas ce que je vais faire de ma soirée. Je regarde la table encombrée par divers papiers.
"Allez, Bastien. Bouge ton c... Profite que tu n'as RIEN d'autre à faire pour t'occuper de ça. Ta lettre, tu dois la donner dans trois jours…"
Courageusement, je me relève, les mains dans les poches, tourne autour de la table. Le chat vient se frotter entre mes jambes.
"Qu'est-ce que tu me veux, toi ? T'as eu tes croquettes. T'as de l'eau. T'as eu un câlin. Me gonfle pas. J'aurais préféré un chien. Je l'ai toujours dit. J'aime pas les chats. C'est nul, les chats. Ca fout des poils partout. Alice aimait les chats. C'est à cause d'elle que tu es là. Sauf qu'elle, elle n'est plus là pour s'occuper de toi. Et qu'il paraît que la compagnie d'un animal, c'est bon pour Joséphine. Mais, moi, j'aurais voulu un chien. Alors retourne sur ton coussin et m'emmerde pas."
Le chat se frotte encore entre mes jambes, puis s'éloigne dignement, nullement blessé par mes paroles attendrissantes. Je déteste vraiment les chats. Et il va se lover sur son coussin, non sans l'avoir labouré de ses griffes durant une bonne minute.
Je m'installe finalement à la table. Je me saisis de ma plus belle plume, un simple stylo bic à encre noire, et commence à rédiger :
M Bastien Garnier
2 allée des Hortensias
14... Lion sur Mer
Tel 06...
Madame la Directrice des Ressources Humaines,
Par la présente, veillez prendre acte de ma demande de renouvellement de contrat à temps partiel, à compter du 1er mai prochain. En vertu des articles du code du travail et de la règlementation R-622 du 12 août 2005, je remplis les conditions me permettant de demander une réduction du temps de travail d'une journée. Dans la mesure du possible, j'aimerais en bénéficier le mercredi.
Je vous prie de trouver ci-joint les attestations vous rappelant que j'élève seul ma fille Joséphine, 7 ans. Et qu'à ce titre, je remplis les conditions requises par les articles précédemment cités.
Je vous remercie de l'attention que vous ne manquerez pas de porter à ma demande et vous...
"Et espèce de salope, si tu voulais bien m'octroyer aussi une augmentation, alors que ça fait quatre ans que je végète sur la même grille indiciaire et que tout le service a déjà bénéficié d'une augmentation, même le tire-au-flanc de Jean-René, même la dernière embauchée de Virginie... Ca me permettrait d'emmener ma fille en vacances ailleurs qu'au Camping des Flots Bleus à Mimizan les Pins. J'en ai marre de Mimizan les Pins. Et encore, heureux qu'on y aille en juillet et pas en août..."
... et vous prie d'agréer, Madame la Directrice, mes salutations respectueuses.
Fait le 26 janvier 2...
Et je signe avec autorité.
"Bon, ça, c'est fait... Maintenant, les papiers d'assurance et les comptes. Avec ça, j'aurai gagné ma soirée. Mais pas un centime de plus à la fin du mois pour autant."
Non, pas un centime de plus, mais le sourire de Joséphine, et ça, ça vaut tout pour moi.
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