Chapitre 10
Bastien
Je ne sais pas ce qu'elle a, ma pitchoune, cette semaine. Je la vois en pleine réflexion. Ou alors, est-ce que je déteins sur elle ? Moi aussi, je suis en pleine réflexion. Déjà, elle boudait dans la voiture quand on est rentré de chez Stéphane. Je ne sais pas pourquoi. Elle m'avait dit qu'elle avait mal au ventre. J'avais réussi à lui faire un petit déjeuner correct. Moi, j'étais dans le pâté. Fête, nuit trop courte. Et puis, je le sens bien, j'ai le regard dans le vague plus souvent que nécessaire...
Je pense à Chloé.
Joséphine a insisté ce matin pour qu'on aille sur la plage de Courseulles. Alors qu'on peut aller à la plage à pied, ici. Qu'est-ce qu'elle voulait qu'on aille faire à Courseulles ? Changer un peu d'endroit, elle a dit... Bon, bon... Ok, ok. J'ai fini par céder. Et nous voilà installés sur la plage. Moi avec "Fantômette dans l'espace" à lire et elle avec son petit carnet. Je me demande à qui elle le destine, celui-là. Peut-être pour moi pour la fête des pères ? Elle est bien capable de m'inventer quelque chose pour cette occasion. Je ne fais pas mon curieux. J'aime beaucoup les petites surprises qu'elle me réserve !
Joséphine
Ca n'a pas été sans mal, mais j'ai réussi à décider papa à aller à Courseulles. Tom dans mon sac, mon petit carnet aussi, le pique-nique, le goûter, la grande bouteille d'eau et les verres en plastique. Rose pour moi, vert pour papa. Les casquettes, la crème solaire. Il n'y a pas trop de monde. Plutôt des gens qui se promènent. Là, on avait le choix : soit se mettre en plein milieu pour avoir une vue sur toute la plage (heureusement, elle est moins grande que la nôtre), et pouvoir zieuter autant à gauche, qu'à droite. Soit se mettre dans un coin où il n'y a pas trop de monde pour être repérés. J'ai finalement opté pour un compromis. Papa râle parce que je vais trop loin et qu'il porte la glacière. Je finis par trouver le coin idéal. Pas de fumeurs autour de nous, pas de belles nanas qui pourraient perturber l'attention de papa. Pas trop loin des escaliers pour repérer facilement les gens qui vont descendre. Ni trop loin de l'eau pour pouvoir aller me baigner.
On a pris un bain, pour commencer. Puis on a mangé notre pique-nique. J'adore faire ça. On a renfilé nos t-shirts pour ne pas attraper de coups de soleil. En même temps, le soleil ne tape pas très fort. On n'est qu'au mois de juin. Papa s'est allongé pour lire. Enfin, je le connais : il va lire quoi, un chapitre à peine, et puis, il va s'endormir pour faire la sieste. Et après, il dira que Fantômette, c'est soporifique. Je ne vois pas pourquoi il s'amuse à lire des livres pour enfants avant de me les donner à lire. Toutes mes copines lisent ça sans que leurs parents ne trouvent rien à redire. En même temps, quand elles parlent de Fantômette avec leurs parents, ils n'y connaissent rien. Au moins, papa, lui, il y connaît quelque chose.
Voilà, papa s'est endormi. Le livre ouvert sur le nez. Je sors mon petit carnet. Je jette de fréquents coups d'œil sur la plage, sur la promenade en haut. Pas de trace de Chloé pour l'instant. J'espère qu'elle va venir. Il est encore tôt de toute façon. Donc mon carnet. Première double page : papa. Ce qu'il aime, ce qu'il n'aime pas. J'ai un peu complété. Deuxième double page : Chloé. Ce qu'elle aime, ce qu'elle n'aime pas. Troisième double page : ce qu'ils ont en commun. Quatrième double page : ce que je pense de Chloé. Ce que j'aime chez elle. Là, je n'avais pas eu le temps d'écrire cette semaine. A chaque fois, j'étais interrompue. Or, j'ai besoin de tranquillité pour réfléchir à cela. C'est important. Faut pas qu'on se trompe.
Donc, ce que j'aime chez Chloé. Déjà, elle a un chien. Ensuite... Elle ne m'a pas parlé comme à un bébé. Elle a un joli sourire et j'aime bien son rire. Elle ne porte pas un parfum qui pue comme Séverine. Elle aime Errol Flynn.
C'est un bon début. Par contre, il me manque encore beaucoup d'informations... Est-ce qu'elle est célibataire ? Elle m'a dit qu'elle habitait seule avec son chien, mais bon, ça ne veut pas dire qu'elle n'a pas un petit copain...
Je relève la tête. Je regarde, à gauche, à droite. Toujours pas de Chloé en vue.
Papa se réveille. Il me fait croire qu'il n'a pas dormi en se remettant à lire sans rien dire. Moi, je continue à écrire.
Et à surveiller la plage.
Bastien
- Tu veux aller te baigner, Joséphine ?
- Pas encore, ça va. Je finis un petit truc et j'irai après.
- Comme tu veux.
Je me replonge dans les aventures de Fantômette. Je commence à me demander si cela n'est pas totalement stupide de lire des livres ou regarder des films et des dessins animés avant de les montrer à Joséphine, ou de la laisser les lire. La pédopsy me dirait que je ne fais pas confiance à ma fille. Pourtant, si, enfin, je crois... C'est juste que parfois, j'ai des doutes que telle ou telle chose, c'est bien pour son âge... Je me souviens encore le jour où je lui ai dit qu'on allait à une fête avec des homos. Et là elle m'a dit : "Et vous vous demandez, Monsieur Garnier, si votre fille peut regarder Shrek ? Et vous l'emmenez sans vous poser la moindre question à une fête où il y aura des couples homosexuels ? Je ne vois vraiment pas pourquoi vous vous posez des questions sur Shrek..."
Elle est bien, la Docteur Faure. C'est vrai qu'elle m'ouvre les yeux sur certaines réalités. Des fois, je crois que c'est plus moi qui ai besoin d'aller la voir que Joséphine. Disons, que j'ai besoin de conseils pour ne pas trop mal réussir l'éducation de ma fille. Les potes me rassurent aussi : Joséphine est polie, elle ne dit pas de gros mots, elle dit bonjour, au revoir, merci, s'il te plaît. Elle est plutôt autonome, pour s'habiller, manger, se laver... Elle n'est pas difficile. Elle aime les légumes (ce qui fascine au moins les trois quarts des mamans de mon entourage, en particulier professionnel).
Mais des fois, quand même, je me demande si elle n'aurait pas besoin d'une maman. Comment je vais faire à l'adolescence ? Ses premières règles ? Ses seins qui vont pousser ? Des trucs, des questions de fille, quoi... J'ai pas les réponses, pour ça. Un petit gars, je m'en serais mieux sorti... Mais je n'arrive pas à imaginer un petit Joséphin. A m'imaginer avec un fils. Surtout sans mère. Peut-être qu'un jour, Joséphine aura un demi-frère ou une demi-sœur. J'en sais rien. Je ne me pose pas vraiment la question. Déjà, il faudrait lui trouver une maman d'adoption...
Pourquoi je pense à Chloé, là ?
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