Aniqa

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Le noroit, sur le plateau de la falaise échancrée, me ramène du grand large le parfum iodé de l’océan qui se mêle aux effluves des hortensias, gentianes et quelques campanules. Je peux nommer ces plantes une par une, les yeux fermés, depuis que mon cœur, écho de ma solitude, venait, avant aujourd’hui, s’apaiser du tumulte de la ville. C’est le seul endroit où je prends conscience que l’avenir est un chemin semé de doutes et d’amertume.

Je me tourne alors vers l’Atlantique et me demande : « sommes-nous, lundi, mardi…, dimanche ? » Quelle drôle de pensée me traverse l’esprit ! Suis-je venue là pour me souvenir du jour lorsque le temps échappe à la douleur ? D’ailleurs, quand on décide de mourir qui se soucie de le connaître ?

« Mon amour », oui, j’ose dire ce mot, comme j’ai osé l’écrire, je suis ta rose épineuse qui s’étiole depuis ton trépas.

Il fut un temps où Dieu ressuscitait les morts. Quand j’y songe, je ne vois là qu’un acte plein d’horreur, vain et contraire aux lois de la physique. Pourtant, mon cœur aurait voulu voir cette loi violée par ce nomothète divin ou son Fils, versé dans la résurrection. Ce Dieu orgueilleux, s’Il existe, je le conçois comme un être au tempérament lâche, effrayé, incapable d’assumer Son rôle de Père face à la plus belle création de l’univers. Tremblerait-Il de peur à nous expliquer cet échec né du chaos en se terrant dans les abysses célestes ? Pardonne-moi, Chère amie, car, vois-tu, ce qui est essentiel à mes yeux : respecter ta foi. Et en ce que croit Sa Majesté divine, je m’en fous et ne parviendrai jamais, si ma vie doit se poursuivre à le considérer comme une bouée pleine d’espoir.

Ces pensées contraires à ta croyance, où nous avions débattu du Seigneur, comme des adultes, me reviennent soudain. Je me souviens de tes explications hétérodoxes sur les Écritures, tout aussi perspicaces que l’argumentation de l’existence réelle de Dieu, avec une sagesse naturelle. Et moi, antinomique – contradictoire sur tout et sur rien – je niais toute l’œuvre biblique, pointant chaque incohérence, chaque erreur avec une logique absurde. Parfois, tu t’extasiais en écoutant, le regard amoureux, mes idées confuses et mes interprétations médiocres. Je tentais, dans un discours exalté, de t’égarer d’une croyance sortie d’un peuple psychotique. Nos joutes verbales, flottant sur un parfum d’encens, avaient nourri la confiance de nos propres allégations. Ainsi, j’ai su qu’Il serait pour toi un allié et te donnerait une vie satisfaite et optimiste en toutes circonstances. Quant à toi, perceuse d’âmes, tu avais compris que ma vie était l’amour de la terre, les gens fiévreux de connaissances et les plantes ; même cet océan qui fait claquer ses vagues sous mes pieds. Savais-tu qu’au fil du temps mon ivresse culturelle reculait devant notre amitié ? Je ne te l’avais jamais dit de ton vivant. D’ailleurs, en aurais-je eu le temps ? Ta disparition fut si soudaine que tous ces mots se sont tus. Mais aujourd’hui, à force du chagrin qui brise mon corps, je dois te crier mon amour effroyable, rattrapé toutes les nuits par de vieux visages qui se déforment et dorment dans mes rêves. Mon amie, mon amour, pour ramper dans la vie, j’ai écrit dans mon journal : chaque souvenir heureux de nous deux deviendra une lune éclairant mes nuits.

À cause de notre amour avorté, de tes sentiments mort-nés, je choisis la mort. Peut-être m’accompagnera-t-elle vers la noirceur de ton regard plein de tendresse où j’attendrai que tes mains si froides effleurent ma peau frileuse et fragile ; je veux sentir à nouveau tes baisers furtifs surprendre mes joues.

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