Aniqa (7)

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Mme Lefrançois me demanda si j’allais bien, si j’étais en mesure de suivre le cours. Après lui avoir répondu par l’affirmative, elle m’invita à prendre place derrière mon pupitre.

J’avançai sereine, pleine d’espérance, indifférente aux autres élèves, vers ma nouvelle amie, peut-être. Aniqa souriait sans me lâcher des yeux. Arrivée à sa hauteur, elle tapota ma chaise, me conviant à m’installer, tout heureuse.

— Comment vas-tu ? Tu nous as fait peur. Un coup tu étais là et puis hop tu t’es évanouie, dit-elle sur un ton moqueur – Ou fut-ce moi qui le perçus ainsi ?

— Mademoiselle Aniqa. Je comprends votre enthousiasme à retrouver une camarade de classe, mais je vous demanderai d’exprimer votre contentement après le cours.

— Oui, madame.

— À propos de cours, vous viendrez me voir toutes les deux à la fin de celui-ci, ajouta-t-elle.

Entre chaque exercice, j’aidais Aniqa à digérer les règles du français. Nous parlions à voix basse au cœur d’un silence religieux, où nos voix portaient à ceux qui étaient près de nous ; elles semblaient pourtant légères, inaudibles, mais, dans un moment calme, j’avais senti de la contrariété derrière nous et l’impression qu’on nous épiait. Je tournai la tête pour m’en assurer, quand madame Lefrançois s’informa auprès d’une élève qui avait levé la main.

— Oui, Rebecca, je vous écoute.

— Madame, la nouvelle et Laura chuchotent pendant le cours.

Aussitôt, Aniqa pivota vers elle et la fusilla du regard. Rebecca baissa instantanément les yeux et fit semblant de continuer ses exercices. Madame Lefrançois l’entendit autrement.

— Jeune fille, savez-vous qu’il est mal vu de dénoncer ses camarades de classe ?... J’ai l’intime conviction que Laura aide Aniqa à se remettre sur les rails, si je puis utiliser cette vieille image. Donc, comme mademoiselle Aniqa, d’après ses notes… une information qui ne vous regarde en rien, elles ont le droit de chuchoter. C’est bien ce que vous faites, Mesdemoiselles ? reprit-elle en s’adressant à nous.

— Oui, madame.

Nous soufflâmes les mots d’une même voix qui nous tira, à toutes les deux, un même sourire. Cette harmonie vocale me donna la vertu du courage. J’ai eu l’envie soudaine de me retourner vers Rebecca, flanquée d’une nouvelle témérité ; cela aurait été injuste après l’humiliation qu’elle avait subie de la part de notre prof. J’avais lu un jour qu’il était lâche de s’acharner sur un ennemi à terre.

— Poursuivez, alors.

Aniqa présentait surtout des lacunes en français, ce qui n’était pas le cas des mathématiques et des sciences, en général. Ses carences m’arrangeaient, me donnaient là l’occasion tant espérée et tant redoutée à la fois, de connaître cette fille aux yeux charbon, à la peau de cuivre, aux boucles brunes qui chutaient sur ses épaules.

Alors que je m’apprêtais à finir ces ennuyeux exercices, elle chuchota :

— On peut devenir amies ?

Ses mots, sortis avec une aisance naturelle me figèrent. Au moment où je tournai la tête vers ma voisine pour lui répondre, la sonnerie retentit, alarme d’un autre temps. Je me levai, le cœur léger, le regard étoilé, l’esprit reposé, peut-être, aussi, l’âme souriante. En rangeant mes affaires, je perçus la lueur glaçante dans les yeux de Rebecca, lorsqu’elle passa devant moi. Cette fille, pourtant, n’avait jamais éprouvé, à mon égard, ni sentiments positifs ni négatifs ; notre relation avait été jusque-là neutre. Aniqa m’attendait devant le bureau de la prof, et c’est en la voyant avec cette peau baignée de soleil, que j’ai jugé, à tort ou à raison, le manque de tolérance de Rebecca.

Madame Lefrançois me nomma tutrice d’Aniqa pour l’aider à remonter dans la moyenne. Comme je savais que les autres élèves avaient du mal à grimper et à sortir du trou sans se casser un ongle, garçons y compris, la tâche qu’elle me confia allait être enfantine, pour peu que ma nouvelle amie s’en donnât courage et attention.

Dès le premier jour, elle me traîna chez elle, au troisième étage d’un vieil immeuble. L’appartement nous accueillit dans un mélange aromatique de manioc, banane plantain et poulet. Aniqa s’empressa de donner mon prénom à sa mère, affairée dans la cuisine, et à son père, installé dans le salon devant la télé. Tous les deux m’accueillirent avec un grand sourire, puis elle me prit la main et me traina jusqu’à sa chambre. Des groupes africains et chanteurs postérisés, s’étalaient sur les murs de cette pièce intime ; sur certaines affiches les danseuses m’impressionnaient avec leurs cuisses musclées. Ce lieu, sous l’effet attentif et curieux de mon regard, meublé seulement d’un lit à droite de la fenêtre aux volets entrouverts, d’une chaise encastrée sous un meuble informatique, d’une armoire simple et d’un pupitre d’écolier, semblait rapetisser par le manque de lumière. Aniqa se dirigea vers la table, déposa son sac et revint avec un bocal rempli de bonbons. Elle m’expliqua que sa mère les préparait comme dans son pays. Ils étaient roulés en boule. J’en pris un et croqua un morceau. Il avait le goût suave de la noix de coco et du caramel. Malgré son aspect grillé que lui donnait cette couleur marron, la friandise fondait sur ma langue ; j’enfournai aussitôt le reste dans la bouche.

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