Chapitre 29

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Je caresse la couverture de mon livre, les yeux dans le vague.

Je ne me rappelle pas combien de fois j’ai effectué ce geste au cours des derniers jours. Dans cet endroit, ce livre est la seule preuve qu’il existe un monde extérieur sans tortures et viols. Un monde dans lequel des gens m’attendent et dans lequel j’espère pouvoir retourner très bientôt.

Et aussi stupide que ça puisse paraitre, le fait que ce cadeau vienne de madame Notat est important pour moi. Je soupire de lassitude. Mes sentiments envers elle sont toujours aussi flous. Pourquoi ne puis-je pas simplement la haïr comme je hais toutes les autres personnes de cette école ?

Quelqu’un toque à la porte. Je sais que c’est Jade, je lui ai demandé de me rejoindre.

Lorsqu’elle entre dans ma chambre, son regard se pose immédiatement sur le livre que je tiens dans les mains. Ses yeux s’écarquillent de surprise. Je l’ai en effet soigneusement caché au cours des derniers jours, craignant par-dessus tout que mes amis découvrent mon étrange relation avec madame Notat.

« Comment tu as obtenu ça ? »

Je continue de caresser machinalement la couverture du livre, cherchant ma réponse.

« Je… n’ai pas vraiment envie d’en parler.

- C’est madame Notat n’est-ce pas ? »

Je me tourne vers elle, surprise :

« Ça fait un moment que je m’en doute, tu sais. C’est elle que tu rejoins tous les samedis ?

- Désolée.

- Désolée de quoi ? Tu n’as aucun compte à me rendre. »

Le silence tombe dans la pièce pendant un moment. Puis finalement, je reprends :

« J’en ai vraiment honte tu sais. Et je suis totalement perdue, je ne sais plus quoi penser d’elle… »

Jade me pose une main réconfortante sur l’épaule :

« Dans cet endroit, il est impossible de réfléchir normalement. Attends d’être sortie pour mettre tout ça au clair, d’accord ? »

Je hoche la tête. Jade se penche vers moi et m’embrasse gentiment la joue :

« Et ne t’inquiète pas, ça ne change rien entre nous. »

J’en ai les larmes aux yeux. Je m’étais fait tellement de soucis en imaginant sa réaction…

Avec un entrain un peu forcé, Jade reprend :

« Bon, je suppose que je le garde ce soir. »

Je hoche la tête et lui confie le livre qu’elle cache dans son sac d’école.

Puis elle quitte ma chambre et je me retrouve seule à attendre l’heure fatidique.

Mon horloge annonce 21h55. Encore cinq minutes avant que le garde ne commence à passer dans les chambres pour nous coucher. Il commence toujours par la mienne, c’est la première du couloir.

Tous les sens en alerte, j’attends que les bruits de pas retentissent dans le couloir.

C’est Anaïs qui a eu cette idée et j’espère vraiment pour moi qu’elle va fonctionner…

J’entends enfin des bruits qui se rapprochent. A la place du garde habituel, plusieurs personnes semblent venir dans cette direction.

La porte s’ouvre avec fracas et trois gardes, chacun armé d’une arme, ainsi que monsieur Pirot entrent dans ma chambre.

Je lâche immédiatement mon stylo et m’agenouille comme on me l’a appris : cuisses écartées, mains sur les cuisses et tête baissée.

L’un des hommes pointe son arme sur moi tandis que les deux autres entreprennent de me fouiller :

« Elle n’a pas d’arme monsieur.

- Fouillez la chambre ! »

Les deux gardes mettent ma chambre à sac, éparpillant mes maigres possessions et retournant fournitures scolaires et classeurs. Je me félicite d’avoir pensé à confier mon livre à Jade.

« Il n’y a rien monsieur. »

Le directeur se place face à moi :

« Lève les yeux jeune fille. »

Je m’exécute et frémis devant son regard froid.

« Je veux que tu répondes à mes questions honnêtement. Un mensonge de ta part pourrait te valoir un aller simple pour l’une des chambres de torture. Tu as compris ?

- Oui monsieur.

- Caches tu une arme dans ta chambre ?

- Non monsieur.

- Et tes camarades ?

- Pas que je sache.

- Avais-tu l’attention de t’enfuir ce soir ?

- Non monsieur. Vous et madame Notat avez été très clairs la dernière fois. J’ai bien retenu la leçon.

- Ton camarade Quentin est venu me voir tout à l’heure et m’a affirmé que tu voulais t’échapper d’ici en tuant nos gardes au passage. Sais-tu de quoi il parle ?

- Non monsieur.

- Tu n’as jamais eu de conversation de ce type avec Quentin ?

- Non monsieur. »

L’homme me contemple un long moment puis, à mon grand soulagement, reprend :

« Nous n’avons rien trouvé de suspect dans ta chambre, il semblerait que nous soyons mal renseignés. Mets-toi au lit. »

Je me relève et me dirige vers l’effrayante cage en forme humaine qui me sert de lit. Je m’allonge docilement dedans et laisse monsieur Pirot refermer lui-même le couvercle sur mon corps.

Ce dernier se tourne ensuite vers l’un des hommes l’accompagnant :

« Va chercher Quentin, emmène le dans mon bureau et ligote-le. Je lui parlerai demain. Une nuit à dormir à même le sol lui déliera probablement la langue. »

Le lendemain matin, sitôt sortie du lit, un garde vient me chercher pour m’emmener chez monsieur Pirot.

J’y retrouve Quentin, ligoté dans une position humiliante et grotesque sur le sol.

Je m’agenouille et attends, tête baissée, que l’homme prenne la parole.

« Ton camarade ici présent est venu me voir hier en m’affirmant que toi et tes camarades aviez l’attention de quitter notre école en massacrant les gens qui y travaillent. Est-ce vrai jeune fille ?

- Non monsieur.

- Menteuse !! » Hurle le garçon à mes côtés.

« Tais-toi jeune homme ou je te bâillonne ! Tu ne parles que lorsque je t’en donne l’autorisation. Leïla, comment expliques-tu ces rumeurs ?

- Je ne l’explique pas monsieur. Je crois que Quentin veut retrouver sa place parmi les dominants. »

Les yeux du garçon brillent de colère mais il n’ose rien répliquer.

L’homme reprend :

« Quentin, c’est un gros mensonge. Tu croyais vraiment pouvoir nous tromper ?

- Je ne mens pas ! C’est ce qu’elle a dit, je le jure ! » Répond le jeune homme en se débattant contre ses liens.

« Aucune preuve ne vient confirmer tes propos. Par ailleurs, le comportement de Leïla est irréprochable depuis quelques temps. On ne peut pas en dire autant de toi. Tu resteras jusqu’à demain matin dans l’une des salles de torture du sous-sol. Je vais demander à l’un des gardes de s’occuper de toi, histoire de te passer l’envie de recommencer… »

Puis se tournant vers moi :

« Leïla, tu peux retourner en cours. »

Je prends poliment congé et retrouve mes amis qui attendent devant la salle d’anglais.

« Alors ? » me demande Anaïs.

Je soupire, vraiment déçue. Moi qui commençais à m’attacher à Quentin, heureusement qu’Anaïs était là…

« Tu avais raison, c’est un traitre. Il est au cachot jusqu’à demain matin. »

Tous les soumis autour hochent solennellement la tête. Cela signifie que ce soir, on quitte cet enfer.

Il est dix heures, j’entends les pas du garde qui s’approchent de ma porte. Je suis assise à mon bureau si bien, que lorsque l’homme entre, il se dirige immédiatement vers moi sans voir Jade et Anaïs derrière la porte. D’un mouvement vif, la jeune fille attrape la matraque de l’homme et le cogne le plus fort possible au niveau de la tempe. L’homme s’écroule sans un bruit.

Les filles et moi entreprenons de déshabiller le garde. J’enfile ses vêtements à la va vite et récupère ses armes. Comme l’a affirmé Quentin, l’un des pistolets est automatique et mortel, l’autre permet d’envoyer des fléchettes anesthésiantes.

Je sors dans le couloir et passe dans la chambre suivante. J’y reste deux minutes, le temps de faire croire que je couche Jade. Puis je recommence dans les autres chambres. L’autre garde, dans l’escalier, doit croire que nous sommes tous attachés.

Je prends une grande inspiration avant d’entrer dans la chambre d’Emma. Elle et sa stupide servitude pourraient nous poser problème. En entrant, je suis soulagée de ne pas la voir à son bureau. Comme une gentille petite soumise, elle s’est probablement enchainée elle-même à son lit. Je récupère rapidement un bâillon boule dans l’armoire et me dirige vers le lit de la jeune femme. Comme je m’y attendais, elle y est attachée. Ses yeux s’agrandissent de surprise en me voyant mais je ne lui laisse pas le temps de dire quoi que ce soit et la bâillonne en un éclair.

Furieuse, elle tente de hurler à travers son bâillon.

« Navrée Emma mais on fait aussi ça pour toi. Ne t’inquiète pas, les secours viendront te chercher. »

Elle gesticule en tous sens mais en vain : menottée ainsi, elle est impuissante et ne pourra pas prévenir le second garde.

Je quitte sa chambre et me rends dans celle d’après.

Enfin, ma tournée terminée, je me dirige vers l’escalier, le cœur battant la chamade. Nous espérons que l’obscurité du couloir me permettent de m’approcher suffisamment près du deuxième garde. Ce dernier me jette à peine un regard, les yeux rivés sur l’écran de son téléphone :

« T’as été plus long que d’habitude ce soir. Un problème avec l’un des soumis? »

Je ne suis plus qu’à un mètre lorsque je saisis discrètement l’arme anesthésiante. L’homme relève la tête et pendant un instant, me contemple la bouche grande ouverte :

« Mais, t’es… »

J’ai tiré avant qu’il n’ait pu dire un mot de plus. La flèche se plante dans son épaule.

Le garde tente de saisir sa propre arme mais ses gestes sont maladroits et rapidement, il s’écroule sur le sol.

« Waouh, hyper efficace ces armes ! »

Je rassemble les autres soumis et ensemble, nous descendons dans le couloir du premier étage, par où nous avions déjà tenté de nous enfuir avec Jade.

Silencieusement, j’ouvre une fenêtre et regarde à l’extérieur. Comme prévu, il y un garde qui fait des va-et-vient le long du mur. Il est dos à moi, à plusieurs mètres d’ici. Je le vise, bloque ma respiration et appuie sur la détente. La lune brille, si bien que je vois distinctement l’éclat argenté de la flèche frôler l’épaule de l’homme et se ficher dans le sol à deux mètres de lui.

Je jure et, alors que l’homme se tourne vers ma fenêtre, j’appuie de nouveau sur la détente. Cette fois ci, je le touche et l’homme ne met pas longtemps à s’effondrer.

« C’est bon, on peut passer. »

Chacun notre tour, nous passons par la fenêtre et sautons, comme Jade et moi l’avons fait lors de notre première tentative de fuite.

Nous atteignons rapidement le bout du bâtiment. Anaïs et moi regardons le plus discrètement possible en direction du parc. J’aperçois les deux lampes torches au loin, immobiles.

Le plan était assez simple. Madame Noblet, dans son arbre, devait endormir les deux gardes dès qu’ils passeraient assez près de la barrière pour qu’elle puisse les viser avec sa sarbacane et une fléchette anesthésiante.

« Je crois qu’elle a réussi, rien ne bouge. »

Je hoche la tête et me tourne vers les autres :

« Madame Noblet a réussi. Il ne reste que le garde de la loge. »

Toujours habillée en garde au cas où le gardien regarderait par la vitre de la loge, je me dirige vers cette dernière, arme en main.

Je toque à la porte et un instant plus tard, un homme en sort.

Je tire à bout portant. La surprise a à peine le temps de s’afficher dans le regard du garde que déjà il s’effondre, évanoui.

Je fais de grands signes aux autres soumis pour qu’ils viennent me rejoindre puis j’entre dans la loge. Il me faut un bon moment pour trouver le bouton contrôlant l’ouverture de la porte et appuyer dessus.

Puis, côte à côte nous regardons le portail s’ouvrir. Je suis la première à franchir le seuil, le cœur battant la chamade.

C’est à peine si j’ose en croire mes yeux, je suis de l’autre côté de la barrière !

Une voiture sept places s’arrête à notre niveau et la vitre s’ouvre. Madame Noblet nous regarde, un sourire jusqu’aux oreilles :

« En route jeunes gens ! Désolée, nous allons être un peu à l’étroit. »

Je monte côté passager tandis que les autres s’entassent à l’arrière.

« Il y a des couvertures, servez-vous. »

Avec gratitude, les autres s’enroulent dedans, cachant leur nudité.

Je me tourne vers ma prof assise à côté de moi et croise son regard. Pendant un instant, nous nous contemplons puis je murmure :

« Merci… Merci infiniment. » Ma voix se brise sous le coup de l’émotion.

La femme enclenche la première et se met en route :

« Vous me remercierez quand on sera loin d’ici. »

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