Chapitre 43
L'homme me regarde un long moment, les yeux toujours écarquillés d'horreur. Je l'entends marmonner des « Oh mon dieu » et des « qu'est-ce que c'est que ça ! ».
Visiblement, il ne s'attendait pas du tout à voir quelqu'un dans ce touret.
Ma migraine est devenue si violente que j'ai l'impression que l'on me scie de cerveau en deux. Mais malgré cela, j'essaie de réfléchir à la situation. Comment est-il possible que cet homme soit si surpris ? L'école ne m'aurait tout de même pas envoyé à une mauvaise adresse ? A moins que cet homme n'habite avec quelqu'un et que ce soit cette personne qui aurait dû réceptionner le "colis" ?
La douleur menace de me fendre le crâne. Des larmes s'échappent de mes yeux et se perdent dans mes cheveux. Un léger spasme, en partie jugulé par les sangles qui me maintiennent prisonnières, me secoue.
L'homme doit voir la souffrance sur mon visage car il se lève enfin et s'approche de moi. D'une voix faible, il murmure :
« Je vais vous... vous sortir de ce truc... »
Il ramasse ses ciseaux, tombés pendant sa chute, puis commence à défaire le plastique qui me couvre. Le peu de couleur qui restait sur son visage disparait lorsqu'il découvre la façon dont mon corps a été enroulé autour de cylindre.
Les mains tremblantes, il détache prudemment chacune les sangles les unes après les autres. Et lorsqu'il fait tourner le touret, c'est à grand renfort d'excuses et de regards inquiets, visiblement terrifié à l'idée de me blesser davantage.
Je n'ai plus la force de me redresser et je tombe à la renverse. Je me serais probablement fait mal si l'homme ne m'avait pas retenue.
Sitôt à terre, et malgré la présence d'un inconnu près de moi, je me débarrasse du gode et du vibro qui me torturait. Le pauvre homme rougit comme une pivoine et se détourne bien vite.
Les bras faibles, je tente de me débarrasser du bâillon mais mes mains malhabiles ne parviennent pas à défaire les sangles.
« Je vais vous aider. »
Des mains étonnamment douces prennent le relais et enfin, je parviens à extraire la boule caoutchouteuse de ma bouche. Une bonne quantité de bave me dégouline le long du menton et tombe au sol. Je prends une grande bouffée d'air et m'étouffe en partie. Je tousse et vomit en même temps sous le regard toujours inquiet de l'inconnu.
Enfin, épuisée, je tombe au sol et me recroqueville en position fœtale, des larmes coulant silencieusement sur mes joues.
L'homme, debout derrière moi, ne sait toujours pas comment réagir face à mon apparition subite. Quant à moi, terrifié à l'idée de subir une nouvelle déception, je n'ose pas croire à ce sauvetage miraculeux et me contente donc de rester au sol sans rien dire.
L'homme finit par rompre le silence d'une voix faible :
« Vous... Vous avez besoin de quelque chose ? »
Oh oui, j'ai besoin de quelque chose... La douleur dans mes intestins est plus atroce que jamais et je me vois contrainte de répondre :
« Vous pourriez m'indiquer les toilettes ? »
L'homme m'attend à la sortie des toilettes avec une grande serviette. Je m'enroule dedans avec reconnaissance et le laisse me guider dans le salons. Il m'assoit sur un fauteuil agréablement chaud mais étroit et prend lui-même place sur le canapé à côté. Je bouge un peu, ayant du mal à trouver une position confortable sur le siège.
L'inconnu semble avoir repris son calme et c'est d'une voix extrêmement sérieuse qu'il prend la parole :
« S'il vous plais, dites-moi ce que je dois savoir, je vais appeler la police.
- Non !! »
Mon cri le surprend et il me regarde étrangement. Timidement, je tente de me justifier :
« Non, pas la police... Le dernier qui a essayé de les appeler est mort...
- Oh... »
Je crois que c'est à ce moment que l'homme comprend vraiment ce dans quoi il vient accidentellement de mettre les pieds.
D'une voix hésitante, il reprend :
« Qu'est-ce que... qu'est-ce que vous faisiez dans ce touret ? Enfin, je veux dire... je devais recevoir des câbles pour ma grange et à la place, c'est vous que je trouve ! »
Je réponds par une autre question :
« Vous vivez seul ?
- Oui, pourquoi ?
- Je... Heu... J'étais sensé être... réceptionnée par quelqu'un.
- Qui ?
- Je ne sais pas. »
L'homme s'adosse contre le canapé puis dit:
« Bon, mettons les choses au clair tout de suite : vous n'étiez pas consentante n'est-ce pas ?
- Bien sûr que non !
- Alors, qui vous a mis dans ce truc et pourquoi ?! »
Je contemple mes mains croisées, cherchant à gagner du temps. En même temps, je me tortille un peu sur mon siège. Il n'est décidément pas confortable...
Je ne sais toujours pas si je dois me fier à cet homme ou non. Je relève les yeux un instant et croise son regard extrêmement sérieux. Et brusquement, je décide de tout lui dire. Après tout, je n'ai rien à perdre. S'il peut, et veut vraiment m'aider, alors il a besoin de savoir. Et s'il est le maître à qui on m'a envoyée, je n'aurais fait qu'espérer pour rien, une fois de plus... Rien d'insurmontable en somme...
« Moi et quelques autres personnes avons été enlevé il y a quelques mois. »
L'homme écarquille grand les yeux mais ne dit rien. Il semble avoir compris que parler me coûte énormément et ne veux pas m'interrompre.
« Les gens qui nous ont kidnappé se sont présentés comme une école de soumission. Il nous garde un an afin de nous "former" puis veulent nous vendre. Il nous torture, nous viole et nous brise pour faire de nous des soumis obéissants. »
Le silence qui suit est assourdissant. Doucement, je reprends la parole :
« Nous avons été envoyé en stage auprès d'un maître afin de compléter notre formation. J'ai été emprisonnée dans le touret pour le transport et je devais être réceptionnée par mon maître de stage. Un dominant aux pratiques barbares qui a pour but de briser la volonté qu'il me reste... »
Je m'arrête là et recommence à contempler mes doigts. Un murmure me parvient :
« Quelle horreur. »
En relevant la tête, je vois l'homme dans une position étrange. Il semble hésiter entre me prendre dans ses bras ou s'enfuir en courant.
« Et, combien êtes-vous dans ce cas ?
- 13. Mais l'une de nous est... morte... » Ma voix s'étouffe sur le dernier mot. J'ai toujours du mal à évoquer Alice.
« Et, vous dites que l'on ne peut pas appeler la police ?
- Non. Quelqu'un a essayé mais ils l'ont assassiné. Une partie de la police est corrompue et cache l'école et ses activités.
- Les ordures... »
Le silence retombe quelques instants avant que l'inconnu ne le brise. D'une voix timide, il demande :
« Dites-moi... Comment puis-je vous aider ? »
Je reste silencieuse un moment avant de repenser au plan de madame Noblet lorsqu'elle est venue nous chercher.
« Je crois que le mieux est d'en parler directement à un grand journal. »
Le visage de l'homme s'éclaire.
« Mais oui, bien sûr !
- Il faut faire vite. Mon maître de stage s'est déjà peut être aperçut de l'erreur. Si l'école commence à me chercher, nous serons en danger tous les deux...
L'inconnu se lève et me sourit avec gentillesse. Mes derniers mots l'ont fait blêmir mais lorsqu'il reprend la parole, sa voix exprime une grande détermination :
« Je vais vous emmener voir un journal !
- C'est dangereux vous savez ? Une personne est morte et une autre s'est retrouvée enfermée avec nous. Peut-être que... Je ferais sans doute mieux de faire ça moi-même... »
L'homme place une main sur mon épaule et répond d'une voix très sérieuse :
« Je n'ai pas l'intention de vous laisser vous débrouiller seule. Et de toute façon, je suis déjà impliqué alors autant aller jusqu'au bout ! »
Je sens quelques larmes me monter aux yeux :
« Merci... »
Le sourire que l'inconnu me renvoie est d'une sincérité désarmante :
« C'est fini... Vous n'avez plus rien à craindre. »
Je lui rends timidement son sourire. J'ai envie d'y croire, envie de croire qu'il est encore possible pour nous de nous en sortir. J'ai toujours du mal à imaginer qu'une telle chose soit possible mais au fond, pourquoi pas. 12 personnes à transporter sur de longues distances avec des changements de véhicules, difficile de croire que l'école se soit occupée de la totalité des voyages. Peut-être ont-ils délégué en partie à des agences de transports, certains de notre silence et de notre incapacité à bouger. Et ensuite, une simple erreur de livraison... Mais si tel est le cas, mon maître de stage est probablement proche d'ici, les livreurs se trompent rarement de ville. A cette idée, je frémis. Nous devons partir le plus rapidement possible.
Me tirant de mes pensées, mon sauveur reprend :
« Bon, je vais chercher de quoi vous habiller et vous restaurer. Puis je vous emmène voir un journal. Peut-être serait-il également judicieux de prendre quelques photos du touret. Je vais essayer de retrouver mon appareil. »
Je hoche la tête sans un mot et l'homme quitte la pièce, me laissant seule.
Je me laisse aller contre le fauteuil, tremblante de peur et de fatigue. J'ose à peine croire en ma chance. L'école peut-elle vraiment avoir commis une telle erreur ? Pour la première fois depuis notre désastreuse tentative de fuite, je reprends espoir. Malgré la proximité évidente de mon maître de stage et la menace qu'il représente, je me surprends à envisager un avenir loin de la cruauté que nous impose l'école.
Je ferme les yeux, totalement adossée contre le siège. Sa douce chaleur me donne envie de dormir et je me sens sombrer tout doucement.
Un bruit extrêmement ténu se fait entendre près de moi. Quelque chose dans ce son me met mal à l'aise et m'empêche de simplement m'endormir.
Je me redresse et tends l'oreille.
Et brusquement, je comprends.
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