Devenir sienne
Le soleil matinal remplace la tempête nocturne. Ours tente de se libérer de l'emprise de la jeune fille allongée sur lui sans la réveiller. Il enfile rapidement des vêtements et fait chauffer du café. Dans peu de temps, il aura de la visite, il le sait bien. Il range le peu de désordre de la maison. Dans ses futurs invités, il y aura quelqu'un d'important. La seule personne qui peut critiquer l'état de son intérieur. Sa mère. Étoile.
Il pose quelques vêtements chauds sur la chaise près du lit. Il envoie Mi -loup réveiller la belle endormie. Il lui fera moins peur que lui. Mi- loup a le chic pour faire craquer les filles avec ses yeux bleus électriques si expressifs. Pendant ce temps, il prépare un semblant de petit-déjeuner même s'il ignore ce que sa prisonnière voudra.
Du chocolat. Il a une tablette dans un coin pour quand sa sœur débarque. Les filles raffolent du chocolat. Oh et du lait. Il doit bien en avoir quelque part. Ours essaye de se rappeler ce que sa grande sœur engloutissait le matin quand elle avait l'âge de la jeune fille. Elle est si jeune. Il va falloir trouver une solution pour qu'elle ne retourne pas chez elle. Elle n'y est pas en sécurité.
On toque à la porte. Ours va ouvrir et fait un signe pour indiquer de rester discrets. Ses parents et le médecin comprennent sans un mot. Ours n'est pas bavard, mais il sait transmettre les informations. Surtout à ceux qui le connaissent aussi bien. À voix basse, il explique ce qui s'est passé hier. À mots couverts, il évoque l'état de la jeune fille, ses blessures récentes et les plus anciennes. Et surtout, sa mention de cette vieille loi ancestrale que beaucoup ont oubliée. Étoile cherche un prétexte pour récupérer la fillette depuis son arrivée. Le voilà servi sur un plateau d'argent.
Tandis que les trois hommes discutent de ce qu'il faut faire, Étoile se dirige vers la chambre. Elle veut voir ce qu'Ours dit à demi-mot. Elle veut constater l'état de la jeune fille. La demoiselle est encore en train de dormir et enlace Mi- loup. Elle a la tête appuyée contre son pelage et l'animal n'ose pas bouger. Il remue la queue et gémit doucement en voyant Étoile. La femme vient caresser les cheveux de la fille et le museau du canidé.
- Mais pourquoi ai-je deux fils aussi crétins devant les filles ?
Étoile se murmure à elle-même en secouant la tête en souriant. Elle déplace la tête de la jeune fille sur ses genoux et congédie la boule de poils. Elle pose ses yeux sur le cou, les bras et le dos de l'enfant et se met à pleurer en voyant la superficie de surface de peau de couleur bleu, violette, noire et marron et les cicatrices de coup de ceintures. À l'aide du coton et du désinfectant qu'Ours a laissé sur la table basse, elle s'attelle au soin des plaies ouvertes qui sont accessibles.
L'enfant s'éveille enfin. Elle panique quelques instants en ne reconnaissant pas les lieux, mais se calme aussitôt en voyant Étoile. Leurs yeux se croisent et elles semblent avoir un dialogue silencieux. Les larmes coulent sur les visages de chacune d'elles. Étoile finit par tendre les bras et la petite s'y réfugie sans un mot. La femme berce et chantonne de vieilles berceuses pour apaiser et rassurer. En entendant du bruit, le médecin se permet de rentrer dans la chambre.
En lui parlant doucement, le médecin examine le corps meurtri de la jeune fille. Il constate et soigne chaque blessure. Il pose des bandages sur tout le corps. Deux côtes sont cassées. La cheville est en sale état elle aussi. Des traces de doigts enserrent le poignet de la fille. Elle a un œil au beurre noir. Il n'y a pas plus que quelques centimètres carrés sans trace de coups ou de blessures. Le médecin date les plus anciennes à environ dix ans. Il va établir un rapport médical.
Lorsqu'il a fini, il aide Étoile à l'habiller sommairement. Elle a la cheville foulée et ne peut plus poser le pied au sol. Alors, c'est Mr Toka qui arrive avec un autre voisin. Il apporte un plateau avec un petit-déjeuner. Il sourit à sa femme avec complicité. Étoile lève les yeux au ciel en riant. Eux aussi communiquent sans un mot. Le médecin interroge la petite avec des mots doux. Pas seulement sur ce qui s'est passé hier, mais aussi sur ce qui s'est arrivé depuis toujours.
D'abord craintive, la fille raconte à demi-mot ses souvenirs. Ses yeux plongés dans ceux d'Étoile. Elle a l'impression d'avoir une sorte d'ange en face d'elle. Un ange entouré par une aura lumineuse, bienveillante et compréhensive. Timidement puis de plus en plus clairement et détaillée, elle avoue son mensonge sur l'argent. La colère de Jonathan pour la punir d'avoir été ingrate. Elle raconte combien elle est mauvaise, maladroite et peu reconnaissante. Elle explique la chance qu'elle a eu que son oncle la recueille. La patience de son oncle, de son cousin et de sa tante face à son indiscipline et sa stupidité.
On entend du bruit dans le salon. Comme des coups qui font vibrer le mur. Deux coups en même temps. Ils sursautent tous, mais restent là à écouter le récit de la jeune fille. Étoile lui caresse la joue pour l'inciter à tout dire, à ne rien cacher. La jeune fille se livre entièrement, y compris que le seul prénom qu'elle se connaisse est Souillon ou Idiote. Elle ignore où elle est. La dernière chose qu'elle se rappelle de la veille est le lynx sautant sur elle, une sensation terrible de froid puis une chaleur douce et rassurante ainsi que quelqu'un qui lui disait :
- Tu m'appartiens désormais.
Étoile se lève et rompt le contact visuel. Elle est en colère. Elle explique à la jeune fille ce que cette personne a fait pour elle face au lynx la veille. Étoile fournit une description détaillée de la vieille loi à la jeune fille. Elle plonge ses yeux dans ceux de son mari avant d'énoncer clairement les choses.
- Ours t'a sauvé la vie. Cette loi sera appliquée. Tu as une dette à payer. Tant que cette dette n'est pas remboursée, jusqu'à ta mort, tu es sienne.
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