L'heure du changement est-elle venue ?
Madame Chataimée frotta ses yeux, puis se redressa sur son séant. C'était dix heures du matin de son premier jour de congé. Elle pourrait enfin se libérer du stress quotidien. Elle accomplit sa routine matinale : toilette, petit-déjeuner pour elle et pour ses chats, ensuite un peu de ménage. Lorsqu'elle jeta un coup d'oeil à sa montre, midi sonna. Elle essaya ses nouveaux vêtements : un jean noir et une chemise rayée, son style préféré. Debout devant le miroir, elle mit ses doigts sur les rides déjà apparues sur son visage. Le peigne dans sa main, elle chantonnait un doux refrain dont les mots étaient nés instinctivement :
Ô jeune Teressa, où es-tu passée ?
Ton beau sourire, quand s'est-il cassé ?
Sans ton cher Hugo, tu t'es blessée
Ô jeune Teressa, où es-tu passée ?
Soudain, elle crut entendre une voix masculine répéter avec elle. Sa respiration se coupa brusquement. Le son était lointain, sans écho, pourtant elle avait un étrange effet sur Teressa. "Qui chante comme ça ? " murmura-t-elle. Elle pensait que c'était un des voisins. Désintéressée par cet incident, elle continua sa préparation, quand cette phrase, nette et bien articulée, lui frappa les oreilles :
Ô, chère Teressa, tu m'es restée fidèle ...
Elle sentit le sang se glacer dans ses veines. Elle tourna brusquement la tête, rien n'apparut devant elle. " Je dois me dépêcher... ", murmura-t-elle essayant d'oublier la phrase mystérieuse.
* * *
Comme chaque année, Teressa a décidé de passer la semaine de vacances chez sa mère et son père, dans les environs de Bruxelles. Elle acheta des sneakers et un jus d'orange pour subsister durant le court voyage en train. Une fois devant le portail de la maison paternelle, elle se sentait absorbée par le chant des oiseaux et le ronronnment des chats de rue. Ces derniers lui rappelèrent ses dix matous. En effet, seraient-ils à l'aise à ce moment-là, chez le vétérinaire ? Ce n'était pas leur première expérience chez lui, de plus, ce monsieur était un ancien ami de son père.
Le grincement que fit la porte en s'ouvrant l'arracha à ses pensées. Devant elle apparut une femme squelettique qui bougeait à peine. Cette dernière plissa les yeux pendant quelques secondes avant de proclamer :
— Qui es-tu, Mademoiselle ? Ah ... Tu es celle qui vend le lait, je t'ai dit que je te rendrai ta monnaie demain, pourquoi es-tu têtue ?
Rien ne diminua la stupéfaction de Teressa que la voix de son père :
— Monique, tu ne mets pas tes lunettes ? C'est ta fille Tati qui est là !
Le visage ridé de la vieille devint plus accueillant, et elle entoura de ses faibles mains la taille de madame Chataimée. Celle-ci prit l'embrassa affectueusement sur la joue.
* * *
Autour de la table ronde étaient assis les trois membres de la famille Renar. Teressa ne cessait de parler, tandis que sa mère surveillait son plat pour le remplir au besoin. La bonne femme avait cuisiné tous les plats préférés de sa fille : pain cramique, gaufre flamande, des spéculoos et une grande tarte au citron, ainsi que de la limonade et des jus de fruits.
— Mémé, la prochaine fois je ne dois pas vous prévenir lorsque je vous visiterai, vous vous êtes fatiguées avec tout ceci !
— Chut ! Ne parle pas la bouche pleine, tu vas t'étouffer ! Et bien, sais-tu que ma vraie joie est de te voir à mes côtés, mangeant de mon pain ?
Teressa éclata d'un rire tendre et étreignit sa mère. Yvan scrutait la mine de sa fille à la dérobée. Un quart d'heure après, il dit en souriant :
— Ma petite tati, tu dois t'ennuyer seule à Bruxelles. Tu ne penses pas que l'heure de te ...
— Non, papa, non, je l'ai déjà dit et je le répète. Je ne me remarierai jamais ! Vous devez le comprendre ! Je ne peux pas !
— Mais nous voulons avoir un petit-fils ou petite-fille avant de mourir ! insista-t-il les sourcils froncés légèrement.
— Même si j'acceptai, je ne trouverai point un mari convenable !
— Je prierai pour qu'il soit le plus honnête homme du monde, articula Monique.
Teressa fixait ses yeux plaintifs sur ceux de sa mère. Cette dernière la caressa tendrement, souhaitant effacer une partie de son chagrin.
* * * *
Assise au bord d'un ruisseau, Teressa évoquait ses souvenirs passés là, dans cette campagne, elle voyait le groupe de filles avec lesquelles elle jouait autrefois, le grand arbre où elles avaient caché leurs trésors, les nids des oiseaux qu'elles ont dénichés et d'autres choses ...
Un instant après, elle vit Hugo accroupi à sa droite, le regard égaré. Il semblait absorbé et ne remarqua guère sa femme. Teressa tendit sa main mais celle-ci passa à travers son corps comme si c'était de l'air, ce n'était qu'un fantôme, ou une hallucination ? Peu importe, l'essentiel est qu'il soit là.
Soudain, il se tourna et esquissa un beau sourire.
— Salut, chérie ! Tu m'as manqué infiniment, ces derniers jours !
— Toi aussi, tu as laissé du vide dans ma vie.
— Comment vont nos minous ? Ils sont tous en bonne santé ?
— Ah oui ... Ils le sont ...
— Qu'est ce qu'il y a Teressa, t'as l'air déprimée ... Est-il à cause de ton célibat ?
La femme hocha la tête.
— Moi aussi je suis surpris. Je ne comprends pas pourquoi tu essayes d'éviter cette problématique ?
— Parce que je ne trouverai jamais quelqu'un comme toi ... dit-elle, les larmes lui montant aux yeux.
— Si, je ne suis pas unique, et je ne suis pas parfait, tu dois le savoir... Dans ce vaste monde, il y a une personne qui va t'aimer éternellement, et qui sera là pour toi quand tu auras besoin d'elle. Comme je te disais, tout le monde est aimé, et s'il croit qu'il ne l'est pas, il a tort, car il n'a pas encore trouvé la personne qui lui convient...
— Est-ce que je dois chercher cette personne ?
— Dans ton cas, elle viendra chez toi, tu ne dois qu'attendre...
À ce moment-là, le fantôme de Hugo disparut et Teressa s'allongea sur l'herbe tiède, en pensant : "L'heure du changement est-elle vraiment arrivée ? Dois-je me livrer à quelqu'un autre que mon cher mari ? On verra."
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