Chapitre V
La Grandeur du Mariage
- Royaume de Lenk -
Quelques heures plus tôt
***
Le silence fut rompu d’une vive inspiration, puis repoussé au fond de la nef par des voix amples et profondes. Trois-cent hommes alignés en arc de cercle, la première rangée du Choeur, éveillèrent les fondations d’une vibration grave et continue, et entrainèrent leurs voix parmi les bancs lustrés en un ostinato pénétrant.
Une onde satinée s’insinua entre les syncopes des basses, vivifia ce cantilène d’un air délicat et harmonieux, porté par trois-cents femmes de haute naissance, dressées en une seconde courbe. La mélodie s’intensifia sous leurs jeux, puis plongea les âmes présentes dans les profondeurs d’un thème prégnant et majestueux.
Alors Trois-cent enfants, tels des anges salvateurs au pied de ces femmes, cristallisèrent ce chant, le projetèrent vers les voutes vertigineuses de l’église pour enfin le laisser retomber en un millier d’éclats acoustiques, splendides et prestigieux.
Retour au silence.
Taillées dans un seul et même tronc d’un arbre aux origines oubliées, les colossales portes de l’église s’écartèrent sans un bruit, et en profitèrent pour embraser leurs dorures de mille et mille scintillements.
Chacun retenait son souffle.
Les choristes levèrent un regard unique vers le narthex et attendirent, secrets, les yeux rivés sur un instrument fantasmagorique.
Des tubes de cristal partaient du centre de cet orgue surnaturel, se déployaient de part et d’autre sur toute la longueur des bas-côtés, jusqu’à atteindre le transept. Les tuyaux amadouaient la croisée d'ogives de leurs innombrables reflets, renvoyaient les images déformées des pilastres rivalisant de fioritures.
Un accord fut plaqué.
Une vague phonique s’éleva des tuyaux, inonda la nef sur toute sa longueur et submergea le chevet en abside. Les convives se trouvèrent noyés par l’émotion, ballotés par les remous sonores, tel des naufragés accrochés aux bancs pour ne pas se faire happer par la houle.
Sur la gauche de l’Hôtel, entouré de monumentales sculptures à l’image des Dieux, Shadar demeurait droit, rigide. L’ombre de Yavhé, le Père des Dieux, étouffait celle du futur époux contre les dalles vert impérial, bordées de vermeille.
Shadar vivait un instant unique, un jalon de sa vie. Pourtant, il ne pouvait réprimer le souvenir du sachet découvert dans l’appartement d’Asik. Il chercha à se concentrer sur les entrelacements de sons et vider son esprit. Mais la Poudre d’Etoiles revint le harceler et exacerber son désir, pour le transformer en obsession. Plus les jours passaient, plus le Prince peinait à contenir ses accès de colère et ces tremblements nerveux.
« Maudit sois-tu, Père, de vouloir tout toujours plus grand, plus haut, plus brillant! Et plus long… »
La musique persistait à remuer les sens et émois des invités, les attirait en bordure de larmes pour les renvoyer sitôt au coeur d’une joie fiévreuse.
Enfin, une silhouette se dessina dans la lumière de l’entrée.
Comme le Phare Salutaire d’un port inconnu, Ayela avança dans la tempête. Sur sa chevelure, un diadème brillait de mille feux et s’emparait des regards au fur et à mesure de sa progression, pour les relâcher en douceur le long d’une traine éternelle. Un corset d’un blanc immaculé chatoyait sous les nitescences des tubes de cristal, et soulignait une délicate poitrine d’une dentelle brodée d’or.
L’orgue modula son chant, apaisa l’orage pour former une accalmie à la gloire des Dieux.
Tel la Déesse de la Miséricorde, la princesse délivrait l’absolution à son passage. Elle atteignit l’Hôtel, arrêta sa procession face à Shadar. L’orgue teint un accord, le laissa se fragmenter, puis s'éteindre dans un nouveau silence. Ayela leva les yeux, croisa le regard du prince, et afficha un fin sourire. Elle devina sa tension, espéra l’encourager par se geste, et se donner en même temps de l’assurance. Elle aurait voulu souffler au vent leurs inquiétudes, et ne songer qu’aux avenirs les plus doux. Mais elle était consciente du changement d’attitude de Shadar ces dernières semaines.
Elle avait d’abord mis cela sur le compte du mariage et de ses nouvelles charges. Mais quelque chose se dérobait à sa compréhension.
D’un seul et même mouvement, répété de multiples fois les jours précédents, la princesse et le prince pivotèrent vers le Prêtre.
Celui-ci débuta son discours, mais Shadar n’écouta pas.
Il se demanda une fois de plus où pouvait se trouver Asik, ce qu'il d'irait une fois le vol de Shadar découvert. Le prince lui rembourserait le sachet bien sûr, mais tout de même.
Quant' à Ayela, allait-il seulement lui avouer ?
« Ah, vivement ce soir, je fumerai, et tout ira mieux. »
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