extrait n°2 - Arabelle
Elle était une éternelle insatisfaite, toujours à chercher une personne supplémentaire pour combler le vide du silence, de son appartement et de son coeur. Ils passaient tous par l’exact même schéma, les uns après les autres - parfois même simultanément. Avant tout, il fallait qu’ils s’accrochent - c’était facile, quand on était l’éclatante, la lumineuse Arabelle. Les hommes étaient comme des pies, attirés par tout ce qui brille. Une fois captivés, incapables de détacher leurs yeux d’elle, ils étaient captifs. La dépendance commençait : ils avaient besoin d’elle et maintenant il fallait qu’elle ait besoin d’eux. Et ainsi ils dévoilaient tout ce qui pouvait bien les aider à l’attendrir ou la séduire : de leurs meilleures qualités à leurs plus lourds secrets en passant par leurs cicatrices, plus laides les unes que les autres.
Arabelle n’était dotée d’aucune cicatrice. Sa peau de pêche était plus que celle d’un fruit, si lisse et dépourvue d’imperfection qu’elle n’existait presque pas.
Et ces hommes vomissaient les chimères de leur passé, les mirages de leur futur, espérant idiotement une contrepartie, une équivalence - mais Arabelle n’avait ni passé ni futur, car elle n’avait pas de conscience propre. Elle était incomplète, ne cessant de s’abrutir du vécu de ses proies comme d’autres de la télévision. Il lui fallait quelque chose - une histoire, une anecdote, un trauma, une ambition, n’importe quoi qui puisse lui occuper l’esprit l’espace d’un instant. Mais ces fragments de vie n’étaient que de passage, ne seyant jamais parfaitement à la configuration de ce qu’elle était. C’était comme essayer de combler un puzzle avec des pièces trouvées au gré du hasard - impossible et donc sans intérêt, mais relevant d’un mécanisme inscrit dans la routine du jeu, se répétant inlassablement pour distraire celui qui l’exécutait.
C’était toujours de cette façon que les gens s’inscrivaient dans la vie d’Arabelle : brièvement et entièrement. On aurait pu la croire cruelle, de s’abreuver ainsi de la passion de ces braves sans jamais ne rien offrir en retour. Mais la réalité était bien plus simple - n’ayant pas réussi à se nicher dans l’une des cavités de son coeur, ils repartaient, contents et satisfaits d’avoir allégé le leur.
Et la brillante, la mystérieuse Arabelle devenait dans leurs yeux un bref éclat de lumière blanche qui était passé sous leurs paupières closes. Énigmatique et oublié.
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