Affaire classée

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"Et bien, pas une page pour racheter l'autre... Même moi j'aurais pu faire mieux !"

L'inspectrice C. Fandin bailla à s'en décrocher la mâchoire, et se rassit correctement dans son fauteuil : elle avait eu tendance à s'avachir un peu pendant la lecture du feuillet, plus longue que prévue. Un recueil de douze nouvelles soporifiques... Elle remit le document dans le dossier, et parcourut rapidement la lettre qui l'accompagnait. C'était visiblement la lettre type de refus de cette maison d'édition.

"Nous vous remercions de l'intérêt que vous portez à notre maison d'édition. Nous sommes désolés de vous informer que, malgré la qualité indéniable de vos écrits, nous ne sommes pas en mesure d'envisager une publication actuellement. Nous ne doutons pas que vous saurez trouver bientôt un autre éditeur à même de répondre positivement à votre demande."

Rien à redire, c'était un refus très poli, sans jugement, factuel et bienveillant : inattaquable. Le service juridique de cette boite avait bien bossé.

Seulement voilà, l'auteur en question s'était quand même suicidé peu de temps après avoir reçu ce refus. Lundi dernier sa femme de ménage l'avait retrouvé pendu, et son décès avait été estimé au samedi soir. D'après le concierge il avait reçu cette grande enveloppe le jeudi. C'était un certain André Corfogois... employé de bureau sans histoire, peu d'amis, inconnu des services de police, mais son dossier médical signalait plusieurs périodes de dépression, un suivi psychiatrique et un profil psychotique.

L'inspectrice but une longue gorgée de thé... hélas froid. Juste parce qu'elle avait fait des études littéraires avant d'entrer dans la police, on lui refilait toujours les dossiers concernant des auteurs, des écrivains, des journalistes. C'était parfois intéressant, mais souvent barbant. Et les quinze derniers jours avaient été vraiment pénibles, car c'était déjà le quatrième cas de suicide d'auteur qu'elle avait à traiter.

Difficile de comprendre ce qui avait pu les pousser au suicide. Était-ce le récent confinement qui avait stimulé la plume de ces pauvres écrivains amateurs ? Peut-être avaient-ils fui leur angoisse en se jetant dans l'écriture ? S'étaient-ils naïvement imaginés devenir célèbres et vénérés grâce à leur première prose ? Les défunts avaient en tout cas tous les quatre envoyé dès le 11 mai leur œuvre à une maison d'édition, et reçu un refus poli quelques semaines plus tard, avant de mettre fin à leurs jours. Elle n'avait trouvé aucun autre point commun.

En y repensant, ce dernier cas, André Corfogois, n'avait-il pas décrit lui-même son propre suicide ? Elle reprit le feuillet. Oui effectivement, c'était dans la toute première nouvelle, pompeusement intitulée "le secret de l'écrivain". Il y décrivait le meurtre d'un écrivain nommé Andréa Cortes mais la conclusion montrait qu'il s'agissait en fait d'un suicide. Pas de doute, cet Andréa Cortes était sûrement son alter ego fantasmé, et non seulement ce pauvre bougre était suicidaire, mais en plus il semblait avoir conscience de la médiocrité de son style. Sic transit gloria mundi.

C'était donc bien un suicide, aucun doute possible.

"Allez, affaire classée"

Il était déjà 18h35, L'inspectrice C. Flandin finit rapidement de remplir le formulaire de bilan d'enquête, remit le tout dans le dossier et se leva : il était temps de rentrer à la maison. Il faudrait se battre pour arracher son fils à ses jeux vidéos et lui faire faire ses devoirs, préparer à manger et se battre encore pour faire éteindre le téléphone portable pendant le repas. Ensuite, elle regarderait sûrement un ou deux épisodes d'une série soporifique avant d'aller au lit.

Quoique...

En y réfléchissant, ces histoires d'écrivains lui avaient rappelé que, quand elle était étudiante, elle avait elle aussi écrit des bricoles : quelques nouvelles, un début de roman, des poèmes... Elle pourrait s'y remettre ! Au lieu d'anesthésier son cerveau devant Netflix, pourquoi n'essayerait-elle pas d'écrire, elle aussi ? Sans chercher la célébrité bien sûr, juste pour le plaisir. Avec toutes les affaires qu'elle voyait passer, il y aurait matière... En plus, elle avait lu quelque part qu'avec internet on pouvait même publier ses textes en ligne sans passer par une maison d'édition...

Oui, c'était décidé, ce soir elle allait écrire.

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