Balade avec mon chien
Koloc, le golden retriever, attend sa maîtresse derrière la porte. Elle s'accroupit près de lui, le serre dans ses bras et gratte affectueusement ses joues.
— Je mange un peu et puis on y va ?
Les yeux pétillants de Koloc témoignent de son sourire. Il est heureux de partir se promener mais reste attentif à sa maîtresse, à l'affût du moindre de ses mouvements, guettant le signal du départ. Et moins d'une demi-heure après, ils grimpent tous deux dans la voiture.
Françoise aussi a hâte de retrouver la nature. Elle affectionne les grandes étendues où elle peut marcher dans les prés et traverser les bois en respirant l'air chargé des parfums de l'été.
Habituellement, Koloc, une fois délivré de sa laisse, part au loin, alternant de folles courses et des flâneries pendant lesquelles il hume chaque brin d'herbe, motte de terre ou trace de lièvre ou de perdrix. Aujourd'hui, il saute du véhicule, renifle le vent et regarde Françoise.
— Eh bien, va Koloc, trotte !
Le chien baisse la tête et émet un gémissement.
— Qu'est-ce qu'il y a ? Tu avais envie de courir, vas-y !
Il fait trois pas et se retourne.
— Tu peux t'éloigner, tout va bien.
Alors, Koloc s'élance, il jette ses pattes en avant, accélère sa course et semble viser un monticule qui se dresse dans le fond. Il ralentit puis redémarre presque aussitôt, mettant à l'épreuve ses muscles engourdis par l'inactivité de ces derniers jours. Au bout de quelques instants, il s'arrête, langue pendante, il prend le temps de quelques respirations et se retourne encore. Françoise est un point coloré à l'autre extrémité de la prairie.
Satisfait de s'être ainsi défoulé, il amorce un sprint à une allure effrénée et la rejoint en quelques secondes.
— Te revoilà déjà ? dit-elle en caressant sa tête.
Françoise s'est arrêtée, elle regarde au loin.
Pendant quelques minutes, Koloc se roule sur le dos dans la paille en poussant des grognements qui expriment son bonheur. Il frotte son échine sur les herbes et hume les effluves qui s'en exhalent. Puis il se relève assez vite et va se placer à côté de sa maîtresse.
Françoise avance à pas mesurés à travers le champ. Devant ses pieds, les sauterelles aux couleurs de brindilles sèches décampent en un crépitement désordonné et infatigable. Le chien reste obstinément à quelques mètres d'elle, il flaire et relève aussitôt la tête pour la regarder, il semble décidé à ne pas s'éloigner.
Sur un talus, les décombres d'une ancienne maisonnette de pierre tentent de résister au temps. Dans le lointain, on aperçoit un bois dont certains arbres ont déjà souffert de l'excès de chaleur, à moins que cela ne provienne d'un traitement chimique des alentours, quelques branches présentent des feuilles brunes.
— Pourquoi tu ne cours pas comme d'habitude ?
Je reste avec toi aujourd'hui.
Françoise progresse, ses pensées rejoignent Alain, se souvenant de longues promenades main dans la main. Aujourd'hui, elle marche pour se saouler de beauté et de l'énergie de la terre. Elle a besoin d'emplir ses poumons de cette pureté qui lui redonne de la force.
Koloc lui lance un regard interrogatif. Ça va ?
Ils approchent maintenant du bois et aperçoivent la masse des fougères blotties aux pieds des chênes et des châtaigniers qui composent le bocage.
— S'il pleut, on pourrait avoir de beaux cèpes par ici.
Françoise hume l'air à son tour, elle se régale de cette odeur de sous-bois, fraîche, teintée de terre, d'humidité et de cette subtile senteur de feuilles en décomposition. C'est un parfum d'enfance qui la renvoie à ses racines et qu'elle apprécie toujours avec le même bonheur.
Les crosses des fougères se dressent fièrement et déroulent, chacune à son rythme, leurs colimaçons au vert nuancé. Les plus anciennes recourbent leurs feuilles délicatement ouvragées en une protection pour la végétation plus basse.
Accompagnée de son chien, Françoise marche. Elle contourne un arbre puis s'approche d'un autre pour sentir son écorce dans la paume de sa main, elle la caresse un instant, en recherche les aspérités et la douceur.
Les espèces se côtoient avec intelligence. Des chênes de tous âges partagent cette terre pure avec d'autres essences. L'écorce des plus anciens montre ses stries, témoins des efforts accomplis pour cheminer vers le ciel. La forme tortueuse de leurs branches confirme cette application à créer leur vie majestueuse et opiniâtre. Les châtaigniers affirment leur haute stature, leurs ramures s'étirent pour chercher la lumière, leurs chatons jaunes se balancent fièrement. Chacun à sa façon utilise son énergie pour grandir encore et faire naitre ses fruits, descendance pleine de promesses.
Françoise et Koloc avancent toujours dans le bosquet qui s'épaissit. Ils apprécient la souplesse du sol couvert par les feuilles tombées à l'automne précédent, les glands et les bogues roussis par le froid et ramollis par l'humidité. Par endroit, des branches enfouies craquent discrètement sous les pas de Françoise.
La femme et l'animal sont étourdis de bien-être dans cet environnement brut qui les enveloppe avec tendresse. Dans le silence et la fraîcheur, ils marchent et s'enfoncent encore et encore dans le sous-bois. C'est à peine si l'on aperçoit des petites taches de ciel bleu entre les feuilles. Françoise ne cesse d'observer les arbres, elle se laisse aller à sa fascination. Parfois elle oblique et s'approche de celui qui l'attire, confiant ses pensées à l'un, effleurant l'autre.
Le temps n'a plus d'importance, Françoise est ivre et ne se soucie plus de quoi que ce soit.
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