Chapitre 4
Célestine habitait un appartement au deuxième étage d'un un immeuble ancien du centre ville. Elle ouvrit la porte doucement pour ne pas réveiller sa fille qui devait être déjà au lit et fut accueillie par la baby-sitter. Célestine la questionna rapidement au sujet de sa fille, la remercia puis la raccompagna à la porte.
En voyant Clara, la jeune baby-sitter eut d'abord un air étonné, puis ses traits se radoucirent rapidement pour laisser place à un sourire radieux. Elle gratifia l’invitée d’une bise et s’en alla.
Clara était en train de découvrir un nouveau monde, un monde de bienveillance et d’amour. Elle se sentait heureuse et avait oublié pour un moment ses soucis et la redoutable finale qui l'attendait.
Célestine lui fit une visite rapide de l’appartement, lui montra la chambre d’amis et lui proposa de prendre une douche, de se changer et de bien dormir pour être en forme le lendemain. Clara lui tint la main, la regarda longuement dans les yeux et lui demanda:
– Jamais personne n’a été aussi gentil avec moi. Pourquoi ?
– Tu comprendra peut-être demain. Dors bien !
– Toujours aussi mystérieuse! !
Célestine eut un rire malicieux puis s’éclipsa.
Pour la première fois, Clara dormit comme un bébé et fit même la grasse matinée. Les rayons d’un soleil hivernal radieux lui chatouillèrent le visage et l'invitèrent à profiter pleinement de la belle journée qui commencait. Elle se leva et rejoignit Célestine qui était dans la cuisine en train de préparer le petit-déjeuner.
Les deux femmes étaient attablées tranquillement à manger et à parler du combat extraordinaire de la veille, quand la petite fille de quatre ans toute timide vint se coller à sa maman. Elle avait de jolies yeux en amande dans un visage rond et souriant. ses cheveux raides coupés au carré et ses lunettes lui donnaient un air de grande personne.En la voyant Clara comprit tout de suite pourquoi Célestine l’avait prise sous son aile sans condition.
– Clara, je te présente Chloé, ma fille chérie.
– Bonjour Chloé, dit Clara toute attendrie.
– Bonjour, dit Chloé, la tête toujours enfouie dans la robe de sa mère.
– Et Chloé je te présente Clara, c’est une championne de boxe.
– La boxe ? dit la petite émerveillée.
Célestine raconta à Clara sa rencontre avec le père de Chloé, leur vie de couple moyenne et ses efforts désespérés pour la consolider. La naissance de Chloé censée souder leur union fut la cause de leur séparation définitive.
– J'avais fait le mauvais choix dès le début et je n'osais pas me l'avouer. Voyant qu’il n'acceptait pas Chloe telle qu’elle était, j’ai fini par le mettre dehors, au sens propre. C’était une décision difficile, je privais ma fille unique de son géniteur pour peut-être toujours. Je n’avais pas la conscience tranquille même si je savais que j’avais fait le bon choix pour elle et pour moi, jusqu’à ce que je lise la lettre que tu as joint à ton dossier d’inscription pour la compétition.
Clara aurait voulu lui parler elle aussi de sa vie, de ses soucis, de son enfance difficile, de la charge de travail énorme à la ferme, du manque d’intérêt de ses parents, de l’indifférence des voisins, mais les mots ne voulaient pas sortir de sa bouche. Ce qu'elle avait écrit était suffisant, finalement.
- Tu peux toujours déclarer forfait, tu sais, dit Célestine au bout d’un long silence. Tu ne dois rien à personne.
- Si je me le dois à moi-même et à toutes celles qui s’identifient à moi, répondit Clara en regardant tendrement Chloé en train de jouer avec ses poupées.
Inquiète mais fière, Célestine prit Clara dans ses bras et la serra très fort. Chloé laissa ses poupées et vint se joindre à cette étreinte sincère, comme si elle avait instinctivement compris que ça la concernait aussi. Les deux femmes éclatèrent de rire, les yeux en pleurs.
En fin d'après-midi, Chloé resta avec sa baby-sitter, tandis que les deux complices se dirigeaient vers le gymnase pour le combat ultime. Elle trouvèrent la salle pleine de monde et la buvette débordée. De nouveaux spectateurs étaient venus de partout dans un seul but: encourager Clara. Même les parents et le frère étaient là. Ils avaient pris leur tacot et comptaient bien ramener leur fille à la maison après le combat, quelle qu’en soit l’issue.
Célestine avait vu que l’événement pour lequel elle avait si durement travaillé s'était polarisé et s'était transformé en une vindicte injuste entachée d’intolérance. Mais il était hors de question de laisser tomber la pauvre Clara. Aussi, avait-elle pris ses dispositions en se retirant du comité d’organisation pour s’improviser coach de boxe. Elle emmena sa protégée se changer, lui prodigua des conseils soufflés par Clément puis l'escorta jusqu'au ring, tout en lui évitant les journalistes venus nombreux couvrir l'évènement et en sévissant face aux curieux et aux perfides.
Les deux adversaires montèrent sur le ring et se prêtèrent aux vérifications usuelles. Debout au coin bleu, Clara avait peur. Et cela se voyait. Son adversaire au coin rouge, assorti à ses chaussures, n’en éprouvait pas moins, mais se gardait de le montrer. Elle cherchait à rabaisser sa rivale par tous les moyens. Rendant l’humiliation encore plus misérable, elle annonça qu’elle n’utiliserait que sa main droite pendant le combat pour, dit-elle, donner sa chance à la demeurée. Se tenant maintenant face à face au centre du ring, les yeux dans les yeux, devant une salle comble et un public à l’avis mitigé, les deux boxeuses attendaient le gong.
Clara fut moins rapide que sa rivale. Les chaussures rouges se jetèrent sur elle comme un fauve l’assaillant de coups et l’acculant dans les coins. Elle eut beaucoup de mal à s’en extirper. L’adversaire était aussi redoutable avec une seule main qu’avec deux. Clara esquiva quelque coups, en reçut plusieurs et en donna aussi. Pas question de se rendre ni de perdre la face, quel qu'en soit le prix à payer. Elle finit par prendre le dessus et à renvoyer sa rivale au tapis grâce à son crochet qui avait déjà fait ses preuves. Énervée, la fille aux chaussures rouges se releva, oublia son engagement et repris le combat à deux mains.
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