Chapitre 1 : Une proposition intéressante (Rouis)

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Le bâtiment délabré, fait de planches de bois noircies et de pierres grossières rougeâtres, tenait debout par miracle. Les murs, hérissés de champignons et couverts de moisissures, étaient si ébréchés que le vent sifflait à travers eux.

La porte, une simple planche grinçante fixée par des charnières rouillées, s'ouvrait sur un intérieur sombre et enfumé. L'air était lourd des odeurs rances de la bière bon marché et de la sueur des voyageurs épuisés.

Le sol, un mélange de terre battue et de paille sale, était parsemé de débris et de traces de boue séchée. Des bancs et des tables branlants, faits de bois mal taillé et couverts de taches, étaient disposés en désordre.

Les murs étaient nus, à l’exception de quelques peaux de bêtes tannées. Des chandelles à moitié consumées et des torches fumantes diffusaient des ombres vacillantes. Derrière un comptoir couvert de saleté, se dressait l’aubergiste. Le vieil homme baissa les yeux.

  • Tu as de quoi payer, Rouis ?

Des gouttes de sueur perlaient le long de son dos ébène. Ses mains naviguaient entre les bouteilles d’alcool, le liquide brun éclaboussa le chêne du comptoir, libérant une odeur terreuse.

  • Bois-le et pars…

D’une gorgée, Rouis vida son verre, sentant une note amère imprégner sa langue. Barca, le gérant des lieux, tremblait pendant que le sourire de Rouis s'allongeait. Il trouvait une certaine satisfaction à être craint.

À peine sorti du bar, l’obscurité l’enveloppa. Les ruelles, pavées de pierres inégales et glissantes de crasse, étaient marquées par les empreintes de pas et les traces de roues de chariots. Les ordures s’entassaient dans les coins, formant des monticules malodorants où des rats, aussi gros que des chats, fouillaient à la recherche de nourriture.

Les murs des bâtiments, noircis par la suie des cheminées et l'humidité, suintaient par endroits une eau trouble. Des fenêtres brisées, aux volets pendants, laissaient entrevoir des intérieurs lugubres et abandonnés. Des cordes à linge, tendues d'un côté à l'autre des ruelles, exhibaient des vêtements en lambeaux qui pendaient tristement, agités par des brises froides. Les enseignes de quelques échoppes tenues par des marchands douteux grinçaient sous le vent. Des tavernes miteuses et des bouges clandestins s'alignaient le long des ruelles, leurs entrées sombres attiraient une clientèle peu recommandable.

Émilie !

Le visage de sa petite sœur lui vint à l'esprit. Elle sautillait autour de bougies, tandis que leur mère éclatait de rire. Rouis n'avait jamais vu une femme aussi belle.

Ses jambes engourdies le ramenèrent à la réalité. Il avança, une sueur froide lui parcouru l’échine. Il scruta les alentours sans apercevoir personne. Il continua de marcher, la sensation d'être observé s'intensifia. L’origine de cette impression lui demeurait insaisissable.

Il s’engouffra dans une étroite ruelle. Les murs des bâtiments qui bordaient la ruelle étaient si rapprochés que seul une fine ligne du ciel était visible au-dessus. Les façades formaient un patchwork de pierres ébréchées, de plâtras tombants et de bois pourri. Aucune fenêtre n'étaient intacte, toutes barricadées par des planches clouées de travers ou des volets arrachés. La lumière peinait à pénétrer dans cette ruelle. Il n’y avait ni recoin ni alcôve ; chaque centimètre carré était exposé. Les murs ne présentaient aucun relief suffisant pour s'y adosser sans être vu, et les rares échoppes étaient fermées depuis des années, leurs enseignes rongées par la moisissure.

  • Je sais que tu es là ! déclara Rouis.

La brume se forma lentement, se répandant comme un voile fantomatique. Peu à peu, elle s’épaissit, réduisant la visibilité à quelques mètres seulement. Rouis se trouvait enveloppé par ce brouillard, qui s'accrochait à ses bottes et s'enroulait autour de lui. Des bruits de pas résonnèrent. Il dégaina son épée.

Soudain, une silhouette émergea de l'opacité de la brume. Un vieil homme bossu, vêtu d'un chapeau haut de forme noir, avançait vers lui. Son visage fripé était parsemé de centaines de points gris qui ondulaient. Rouis était pétrifié.

  • Je vous cherchais, Monsieur Rouis.

Morven sourit, un rictus sinistre déformait ses lèvres gercées, révélant des dents jaunâtres. Rouis frissonna, incapable de bouger, ses muscles tendus par la peur.

  • Tu as l’honneur de me rencontrer en chair et en os, rétorqua-t-il avec un sourire narquois.

Rouis gagnait du temps. Un mauvais pressentiment s'éveillait en lui à mesure qu'il observait l'homme devant lui.

  • J’ai une mission parfaite pour un homme de votre stature, et vous serez bien rémunéré.

Un colosse albinos au visage criblé de cicatrices surgit derrière Morven. Draxis, vêtu d'un manteau victorien, avait des yeux étroits brillants d'une lueur sinistre. De larges points de suture maintenaient ses lèvres fermées, formant une ligne irrégulière de fil noir épais et grossier. D'un mouvement brusque, Draxis jeta une bourse à Rouis. Il l’attrapa et l'ouvrit. À l'intérieur, des pièces d’or brillaient.

  • Considérez cette bourse comme une avance. Vous en recevrez trois autres une fois la mission accomplie.
  • J’accepte.

Morven prit son chapeau et le baissa. Après une brève inclinaison de la tête, il se retourna. Draxis se tenait à côté de lui. En quelques instants, la brume les engloutit tous les deux, effaçant leurs silhouettes comme si elles n'avaient jamais existé.

L’atmosphère s’allégea enfin, et un sourire illumina les lèvres de Rouis. Bientôt, il serait riche ! Il attacha la bourse bien garnie à sa ceinture et prit la direction de la taverne de Falk. Ce dernier, autrefois un détrousseur redouté, s'était reconverti en ménager, passant ses journées à astiquer le moindre recoin et à concocter de succulents plats. La simple pensée de Falk, vêtu de son tablier, s'affairant à récurer des casseroles, fit éclater Rouis de rire.

La taverne était un édifice compact aux murs de pierre noircis. Des lanternes éclairaient l’entrée. À l’intérieur, les éclats de rire résonnaient en écho. Rouis se dirigea vers une table, et les deux hommes qui y étaient assis se levèrent immédiatement pour partir. Il s’installa et observa les serveuses qui, en passant près de lui, évitaient son regard. Finalement, il héla l'une d’elles, qui s’approcha à contrecœur, traînant les pieds.

  • Deux verres de whisky et le repas du jour.
  • Je vous l'apporte tout de suite.

La serveuse s’éloigna, les jambes tremblantes. Les clients sirotaient leurs chopes. Falk, les poings serrés, se fraya un chemin à travers cet tumulte.

  • Déguerpis, Rouis. Tu n’as pas payé les dernières fois.

Rouis prit une pièce d’or dans sa bourse et lui lança. Elle scintilla en vol avant de tomber dans sa main.

  • Tu es content ?

Le poing du tenancier s'abattit sur la table, faisant vibrer la surface en bois. Avant que Rouis ait eu le temps de réagir, Falk avait disparu dans la foule. La serveuse, les traits marqués par la fatigue, déposa son repas devant lui, accompagné des verres de whisky. Rouis se jeta sur l’alcool et les but cul sec.

Alors qu'il savourait son agneau, un homme aux yeux ivres et à la démarche vacillante toucha les fesses de la serveuse. La colère monta en lui. Son cœur battait à tout rompre. Se levant d'un bond, il traversa la salle en direction de l'indélicat.

  • Tu as un problème ? demanda-t-il au chauve.

Un compagnon du dégarni se leva et posa une main sur l’épaule de son ami.

  • C’est Rouis…

Le crâne d'œuf lui lança un regard noir et cracha sur le sol. Rouis lui asséna un coup à la tempe. L'homme s'effondra, et un liquide pourpre commença à s'écouler de son oreille. Ses deux acolytes bondirent aussitôt. Rouis frappa le plus proche au niveau du foie, le faisant s'écrouler aussi rapidement que le premier.

Un craquement retentit et sa respiration se coupa. Une saveur métallique envahit sa bouche. Les yeux embrouillés, Rouis se releva péniblement. Il se retourna pour faire face à son agresseur. Une ombre fonça sur lui et, rassemblant toutes ses forces, il la frappa.

La voix grave du propriétaire gronda, interrompant le chaos. La confrontation avec Falk était inévitable.

  • Dehors, maintenant ordonna-t-il.

Il agrippa Rouis par le col et le jeta hors de la taverne. Rouis peinait à se relever.

Une main se tendit, et il leva les yeux. Son ami Kaldr lui souriait, ses longues boucles dorées tombaient jusqu'à ses épaules. Il prit la main tendue et se releva.

  • Tu es un vrai clown.
  • Je m’en suis fait deux.
  • Bravo le pitre.

Malgré son épuisement, Rouis lança un coup. Kaldr le para. Il le soutint par l’épaule et l'escorta jusqu'à un tronc.

Le sol du parc formait un enchevêtrement de racines tordues et de terre boueuse, parsemé de détritus et de feuilles mortes. L’allée, pavée de dalles brisées et disjointes, était envahie par la végétation sauvage et des herbes folles. Les arbres, silhouettes torturées, étendaient leurs branches squelettiques comme des griffes vers le ciel, dénudées de feuilles. Au centre de ce chaos végétal se dressait un tronc massif.

Le troncétait épais et noueux. Des fissures profondes parcouraient sa surface, suintant une sève sombre. Autour, le sol était jonché de racines épaisses et sinueuses, s'étalant comme des tentacules.

  • Je sais que tu aimes dormir à la belle étoile.

Dans l'obscurité, Kaldr saisit sa bourse et en sortit une pièce d'or, et la fit tinter entre ses doigts.

  • Salopard.

Rouis tenta de se relever, mais s'effondra sur le ventre, sa main érafla les racines tordues et la terre boueuse. Ses vêtements, englués de boue, collaient à sa peau.

  • Repose-toi, Rouis.

Les pas s'éloignèrent. Malgré la douleur lancinante dans ses côtes et sa mâchoire, Rouis ne trouva aucune fracture. Soulagé, il se tourna sur le côté non blessé, veillant à dissimuler sa bourse sous son corps.

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