Chapitre 1 : La cage
Luke sentit d’abord la chaleur du feu, puis le crépitement qui l’accompagnait. Il ouvrit difficilement les yeux, et se rendit compte qu’il était allongé, recouvert par une épaisse couverture. Il voulut se lever, mais la douleur à sa jambe le fit grimacer, le forçant à rester assit. Il entendit un petit rire moqueur, et se rendit compte que de l’autre côté des flammes, quelqu’un l’observait.
— Alors t'es enfin réveillé ? T'arrêtais pas de parler dans ton sommeil, dit l’homme avec un grand sourire.
Luke baissa les yeux, gêné par l’inconnu qui l’avait pris au dépourvu. Il observa son interlocuteur des coins des yeux. Ses yeux rouges étaient souriants, et sa barbe négligée lui donnait l'air espiègle. Ses cheveux bruns lui arrivaient juste en dessous des oreilles. Malgré la situation et le froid glacial en dehors de la grotte, il ne portait qu'une simple tunique marron, un fin manteau rouge étant posé à côté de lui. Difficile de deviner son âge exact, mais il devait dépasser les trente ans.
Il avait l'air amical, alors Luke décida de ne pas trop se méfier de lui. Après tout, s'il avait voulu se débarrasser de lui, l’homme aurait parfaitement pu le tuer pendant son sommeil.
— J’ai dormi longtemps ? s'enquit Luke, tout en essayant de prendre une position confortable malgré sa blessure.
— À peine quelques heures. J'ai bandé ta jambe. Par chance, la plaie n'est pas très profonde, il s'arrêta pour farfouiller dans son sas. Tiens, attrape, tu dois avoir faim.
Il jeta un paquet que Luke attrapa. Il contenait de la viande séchéeq qu'il se surprit à dévorer en quelques bouchées.
— Merci beaucoup, dit-il se terminant de manger. Puis-je savoir votre nom ?
— Déjà, arrête de me vouvoyer, je suis pas un noble, plaisanta-t-il. Moi c’est Eddie, dernier représentant de la famille Chafe, et toi ?
— Je m’appelle Luke.
— Alors, dis-moi Luke, répliqua Eddie avec un sourire moqueur. Toi, t'as fais quoi de beau pour te retrouver ici ?
— Me retrouver ici ? répéta le jeune homme. Parce qu'on est où exactement ?
Eddie se mit à rire, puis voyant le regard de son interrogateur cessa rapidement.
— Attends, tu ne te moques pas de moi ?
— J'aimerais, répondit le jeune homme en secouant la tête. Je me suis réveillé dans la neige sans aucun souvenir à part mon nom.
De nouveaux éclats de rire jaillirent dans la grotte. Luke ne parvint même pas s'énerver, la bonne humeur de son compagnon de fortune était communicative.
— Alors là, je te plains ! T'as quand même réussi à te réveiller dans le pire endroit du monde ! il marqua subitement une pause, caressant sa barbe en réfléchissant. En y réfléchissant bien, c'est plutôt le troisième pire endroit du monde.
Mais qu'est-ce qu'il raconte !
— Tu vas m'annoncer qu'on est en enfer, c'est ça ?
— Pas loin, répondit Eddie avec amusement. On est dans la cage, l’endroit où le roi de Rike Fryst envoie les criminels.
— Une sorte de prison ?
— Hum... pas vraiment. Dans une prison, on veut garder les gens en vie. Ici, on n'attend qu'une seule chose des prisonniers : qu'ils y meurent.
Alors je suis un criminel ?
Il avait beau tenter de se souvenir, rien ne remontait à la surface. Avait-il été jeté ici avant de se blesser à la tête ? Impossible, sans réellement savoir pourquoi, il sentait qu’il n’était pas un hors-la-loi. Néanmoins, une question lui vint soudain à l’esprit, et tout en la posant il commença à observer attentivement le terrain autour de lui, au cas ou il faudrait fuir.
— Et toi ? Pourquoi t’es ici ? interrogea Luke.
— Calme-toi ! répondit Eddie en riant. Pas la peine de paniquer, je suis venu ici de mon plein gré.
— Quoi ? Mais t'as dis que c'était le pire endroit du monde ?
— J'ai dis que c'était le troisième ! s'offusqua le brun. Mais j'avoue que je suis le seul à être volontairement ici.
Eddie cessa de parler un instant, avant de se lever pour prendre la pose.
— Vois-tu, tu es en présence du meilleur chasseur d’artefacts et reliques de la terre entière ! Et il se trouve que dans la cage, on dit qu'il s'en trouve une d'une extrême rareté ! Enfin, ce ne sont que des rumeurs pour l'instant.
Chasseur de relique ? Qu'est-ce que c'est une relique déjà ? pensa Luke. J'ai comme l'impression que ça me rappelle quelque chose...
— Et... elles avancent tes recherches ?
— Hum... il fit une petite moue, tout en se rasseyant rapidement. On va dire que je progresse lentement mais sûrement.
— Ça fait longtemps que tu cherches ?
— Un peu, avoua-t-il gêné. Je crois que ça fait plus de sept mois.
Luke se mit à rire, son interlocuteur leva un sourcil interrogateur, puis le rejoignit. Depuis qu’il s’était réveillé, il n’avait pas ressenti beaucoup de choses mis à part la peur et le froid, rire lui fit un bien fou.
— Bon, dit le brun en se levant de nouveau. Le blizzard s'est calmé, je vais en profiter pour sortir. Qu'est-ce que tu vas faire toi ?
— Euh... Il faut que je parte d'ici, répondit Luke. Je te remercie pour ton aide, mais rester là ne m'aidera pas à retrouver la mémoire.
— Oula ! Tu veux t’en aller ? s'enquit Eddie. Tu n'as pas vu l’énorme mur rocheux dehors ? Il fait tout le tour de la zone, et c'est impossible de l’escalader. Tu seras mort de froid sans voir le sommet.
— Il doit bien y avoir une sortie ? demanda Luke, inquiet. Comment t'es venu toi ?
— Il existe un point de contrôle effectivement, une brèche dans la paroi qui mène au monde extérieur. Mais des soldats la surveille en permanence.
— C’est là où j’irais alors. Si je leur explique la situation, ils me laisseront partir.
— Impossible, répliqua Eddie, en agitant la main devant lui. Les frystiens ne sont pas réputés pour leur diplomatie. Jamais ils ne croiront à ton histoire. Dans le meilleurs des cas, ils vont se contenter de te repousser. Et dans le pire, ils vont penser que tu es un prisonnier devenu fou, et te tueront sur le champ.
L’espoir quittait lentement le corps de l'amnésique. Il n’allait quand même pas passer le reste de sa vie ici sans même savoir qui il était vraiment ?
Eddie ressentait quelque chose d'étrange provenant de cet inconnu, il était différent de tous les autres meurtriers qu'il avait pu croiser ici. Son aura était à la fois apaisante et douce, mais quelque chose d'autre se cachait derrière. Quelque chose de bien plus dangereux... Il remarqua le désarroi de Luke, et une idée lui vint.
— Écoute, moi je peux partir d’ici. J'ai réussi à obetnir une autorisation de l'armée. Si tu m’aides à trouver ce pour quoi je suis venu, je ferais tout ce que je peux pour que tu partes avec moi.
Une pensée intrusive jaillit en Luke, une pensée qu'il rejeta instantanément.
Je pourrais le tuer, et récupérer l’autorisation pour sortir.
La seconde d’après il se sentit affreusement coupable d’avoir pu envisager cela, cet homme l’avait aidé, et lui osait penser à lui faire du mal ? Peut-être était-il vraiment un criminel qui méritait de mourir ici.
— Alors ? Qu’est-ce que tu en penses ? demanda Eddie, loin d’être au courant du dilemme intérieur de son nouvel ami. Tenter ta chance avec moi, c’est mieux que de crever ici, non ?
— Tu ne me laisses pas trop le choix, répondit Luke en soupirant.
Eddie se releva rapidement, ramassant une longue épée dans son fourreau qu'il passa à sa ceinture. Il fouilla dans son sac et jeta d'autres paquets à Luke.
— Je vais aller faire un tour avant que la nuit tombe, j'espère que mes pièges ont fonctionnés.
— Je t'accompagnes, ajouta l'amnésique en essayant de se mettre debout.
— Oh ne te précipites pas ! calma Eddie en levant les bras. Repose toi encore, on a tout le temps de chercher demain.
Luke le vit s'éloigner dans la neige, avant d'apercevoir une lumière à travers le blizzard. Il aurait pourtant juré ne pas l'avoir vu prendre une torche. Éludant la question, le jeune homme mangea un peu et jeta du bois dans le feu, avant de s'enformir en quelques minutes. Son sommeil fut agité, remplie de lieu et de visage familiers, sans qu'ils ne puissent réellement comprendre ce qu'il se passait.
A chaque fois tout était flou. Il pouvait tendre le bras et frôler ces souvenirs, mais impossible d'aller plus loin.
Des bruits de pas le réveillèrent, et toutes ces scènes s'effacèrent, le laissant désorienté et frustré.
— Les pièges ont fonctionnés, annonça Eddie avec un grand sourire. Malheureusement, ce genre de viande, je préfère ne pas en manger.
Le sang sur ces bottes fit rapidement comprendre à Luke la nature de la viande. Le chasseur de relique s'installa de nouveau autour du feu, avant de sortir un étrange objet de son manteau. Il tenait un cube en métal, brillant comme si on venait de le lustrer. Eddie leva le cube au-dessus d'un gobelet, appuya sur un des côtés, et un liquide noire en sortit. Visiblement très chaud fut la fumée qui s'en échappait.
— Tu en veux ? proposa le brun.
— Euh... Qu'est-ce que c'est ?
— Du café, et du bon ! Pas comme la pisse de chat qu'on sert dans ce maudit pays.
De nouveau il leva le petit cube, et de nouveau il remplit un verre de café brûlant. Luke avait l'impression d'être encore en train de rêver. Il était impossible qu'un si petit objet contienne autant de liquide.
— C'est une relique, dit Eddie en lui tendant la boisson chaude. Je l'ai trouvé à Homéa après des mois de recherches dans une gigantesque grotte ! Elle produit du café à volonté, d'une simple pression.
— Mais, comment c'est possible ?
— Aucune idée, c'est le principe de ces objets. Chacune des reliques que je trouve à un effet différent, parfois c'est utile, parfois ça ne sert à rien. La plupart d'entres elles sont des objets de petite taille, parfois utile et d'autres fois non. Mais les reliques les plus puissantes sont des armes. Tout ce qu'on sait aujourd'hui sur ces objets, c'est qu'ils ont été crées il y a longtemps, et que la magie qu'ils contiennent est extrêmement puissante.
— La magie ? répéta Luke en réfléchissant.
De nouveau les visions s'emparèrent de lui, il vit des flammes, des éclairs. Une femme tenait un livre, et une autre personne hurlait de douleur, tandis qu'une matière sombre le recouvrait. L'amnésique secoua la tête pour chasser ces visions.
— Ça va ? s'enquit Eddie. Tu te souviens de ce qu'est la magie quand même ?
L'amnésique hésita à lui dire non, mais une pointe d'orgueil l'en empêcha.
Hors de question de passer pour un idiot.
— Oui bien sûr, mentit Luke. Et celle que tu recherches, c'est quoi son pouvoir ?
—Aucune idée, avoua Eddie. Mais c'est justement ça qui rend la chasse intéressante !
Il risque sa vie dans le blizzard pour une babiole peut-être inutile.
Tout en pensant il porta son gobelet à ses lèvres, et se brula la langue avec le café. Eddie se moqua avant de faire la même erreur. Une fois leurs verres terminés, le chasseur de relique se prépara de nouveau à sortir.
— Tu y retournes déjà ? s'étonna Luke.
— Je suis infatigable, plaisanta le brun.
— Je viens avec toi cette fois.
Luke se releva d'un bond, pour montrer qu'il était enfin rétablie, et eddie lui sourit en indiquant le fond de la grotte.
— Prends donc des vêtements, proposa Eddie. Je me suis fait attaquer par plus d’un prisonnier, j’ai récupéré leurs affaires à chaque fois.
La pile mesurait plus d'un mètre, et Luke eut l'embarras du choix. Du sang séché maculait la plupart des vêtements.
Il y a assez pour habiller au moins trentes personnes !
Luke avait du mal à savoir sur quel pied danser avec son nouvel ami.
— Mais, ils leur laissent leurs armes ?
— Cet endroit est un genre de jeux sadique pour la noblesse de ce pays, répondit Eddie avec un sourire. Ils donnent des armes aux prisonniers, et introduisent des animaux sauvages pour qu’il y ait de quoi chasser dans la Cage.
— Mais dans quel but ? s’interrogea Luke.
— Si l’un d’entre eux survit une année complète, ou tue trente codétenus, il peut quitter cet endroit.
— C’est... Très malsain...
— Même moi je le pense, pourtant il m’en faut beaucoup. La plupart deviennent fous, d’autres meurent de froid, et les plus malchanceux tombent sur mon chemin, termina Eddie en souriant.
Ayant la confirmation que son nouveau compagnon n’était pas tout à fait sain d’esprit, Luke entreprit de piocher dans la réserve au fond de la grotte. Il jeta les habits troués dont il était vêtu, et prit les plus épais (et moins tachés de sang) qu’il trouva. À présent habillé avec une épaisse tenue en peau et en fourrure, il prêt à affronter le terrible froid. Il s’équipa aussi d’une épée longue, et de deux hachettes qu’il glissa à sa ceinture. Son apparence devait enfin être correcte à présent.
— Mais au fait, lança-t-il à Eddie en le regardant dans les yeux. Pourquoi tu ne t’es pas méfié de moi ? Je pourrais être en train de te mentir depuis le début.
— Impossible, tous ceux que je croise ici ont des tronches à faire pleurer un bébé, un bel homme comme toi ne peut pas terminer ici.
— Eh ben... Merci ?
Quelques secondes plus tard ils étaient dehors, Luke supportait bien mieux le blizzard emmitouflé dans un manteau et une épaisse cape en peau. Eddie était vétu beaucoup moins chaudement, et pourtant le froid ne semblait pas le déranger.
— Tu ne t'habilles pas plus ? l'interrogea Luke.
— Pas besoin, les Chafe sont "spéciaux", le froid ou le feu ne nous fais rien.
Il se moque de moi ou quoi ?
Luke ne posa pas plus de questions sur l'étrange caractéristique de sa famille, mais remarqua le cadavre de l’homme qu’il avait tué tout à l'heure. Déjà presque la neige le recouvrait, seul une main dépassait de la couche blanche. Eddie lui fit un signe, et ils se mirent en route vers les pièges qu’il avait posés.
Luke ne fut pas vraiment surpris par cette réponse, l'excentricité de son compagnon n'avait aucune limite apparente. Ils marchaient déjà depuis une vingtaine de minutes, lorsque la fatigue commença à se faire ressentir.
— C'est quoi la taille de la zone de recherche ? demanda l’amnésique entre deux respirations.
— Je suis à peu près à l’opposé de l’entrée, et il nous faudrait près de six heures pour rejoindre le poste de garde. Cela doit faire plus de vingt kilomètres.
— Comment tu comptes trouver ce que tu cherches dans un périmètre aussi grand ?
Eddie bomba le torse et lui fit un clin d’œil.
— Ma famille a toujours eu un sixième sens pour trouver des babioles magiques, je sens qu’elle est par ici.
— Pourtant ça fait un moment que tu cherches, il a pris froid ton fameux sixième sens ? plaisanta Luke.
Visiblement blessé par cette attaque, le brun se mit à accélérer le pas.
— Dépêche-toi un peu ! J’ai placé mes pièges plus loin que d’habitude, il faut qu’on rentre avant la nuit.
Ils continuèrent leur chemin, toujours avec difficulté. La neige n’était jamais plus basse que leurs genoux, et les sapins touffus entravaient aussi leur progression. Après ce qui lui parût être une éternité, Luke arriva dans un endroit un peu plus dégagé. Eddie mit un bras devant lui pour le stopper, et désigna quelque chose au loin. La neige était constellée de sang, et les restes – de ce qui devait être un cerf – jonchaient le sol. Des bouts de bois et de ficelle se trouvait sur les lieux. Le duo s’approcha prudemment.
— Ton piège a trop bien fonctionné je crois, murmura Luke.
Le cadavre de l’animal avait été déchiqueté, mais il ne semblait pas avoir été mangé. De gigantesques traces de pas étaient visibles tout autour de la zone de l’agression.
— C’est un ours qui a fait ça ? demanda l’amnésique.
— Non, répliqua sèchement Eddie. Il n’aurait pas laissé sa nourriture comme ça.
— C’est quoi alors ?
— Je n’en sais rien !
Comme pour leur répondre un énorme rugissement se fit entendre, dépassant largement le bruit du blizzard. Le son ne ressemblait à aucun animal qu’Eddie avait pu croiser. Sans y penser, il dégaina l’épée qu’il avait à la ceinture.
— Y’a des monstres par ici ? murmura Luke, terrifié par le cri.
— Ne sois pas bête, répondit Eddie en secouant la tête avec un grand sourire. Tous les monstres ont été exterminés du continent, à part les dragons, il ne reste plus ri...
Le hurlement retentit de nouveau, cette fois-ci bien plus proche. L’amnésique prit son arme en main aussi, se demandant s’il saurait comment s’en servir. Le bruit de la tempête de neige fut de nouveau tout ce qu’entendaient Luke et Eddie. Ils n’avaient pas réussi à situer exactement d’où venait le cri, alors ils attendaient dos à dos. Après ce qui sembla être une éternité, Eddie se mit à parler.
— Il est peut-être par...
Le sapin le plus proche d’eux explosa, et une forme gigantesque se rua sur eux. Par réflexe, le brun poussa son compagnon sur le côté, et eut à peine le temps de mettre son arme en garde. Une immense patte le percuta, le balançant dans les airs. Luke le vit atterrir dans les arbres et entendit les branches craquer sous le choc. Eddie n’était plus visible, et devant lui se tenait une créature monstrueuse.
Le monstre mesurait plus de quatre mètres de haut. Il se tenait sur ses pattes arrière comme un humain. Tout son corps était couvert de longs poils blancs. Sa tête ressemblait à celle d’un gros ours, mélangé avec celle d’un homme. Son énorme gueule pleine de dents était grande ouverte. Même en puisant dans sa mémoire, jamais il n'avait vu un monstre pareil.
— Eddie tu m’entends ? hurla l’amnésique sans quitter la créature des yeux.
Aucune réponse, il venait de perdre son seul allié, et de croiser le chemin de la plus horrible bête imaginable, et tout cela en moins d’une minute. Il serrait si fort son arme qu’il en avait mal aux mains. Il était prêt à affronter la mort s’il le fallait. Cependant, le monstre ne bougeait plus. Il regardait Luke de ses yeux rouges assoiffés de sang, mais n’esquissait pas le moindre mouvement. Son attitude semblait même retranscrire de la peur.
Il a peur de moi ?
Très bien, si la bête ne voulait pas venir, c'était à lui d'attaquer.
— Amène-toi ! hurla-t-il de toutes ses forces.
Luke se jeta sur la créature le plus rapidement que la neige le lui permettait. La bête hurla de nouveau, cette fois pour faire reculer son agresseur, mais cela n’eut aucun effet. Elle essaya de frapper l’amnésique mais il se jeta en avant, roulant en dessous du monstre pour passer dans son dos. Mettant toute sa haine dans son attaque, il balança par deux fois son épée devant lui, entaillant le dos de son adversaire. La bête fit volte-face et Luke évita un nouveau coup de patte, son épée fendit l’air une fois de plus, blessant la créature sur son flanc droit.
Elle hurla de nouveau et abattit avec rage ses deux poings sur le sol, faisant voler la neige tout autour d'eux. L’amnésique, qui s’était décalé d’un bond, se jeta de nouveau sur le monstre pour lui planter son arme dans la cuisse gauche. Elle émit un grognement de douleur, tandis que Luke réalisa que l’épée était coincée dans sa chair. Il lâcha l’arme pour reculer, mais trop tard, le coup l’envoya en arrière et il fit des roulés-boulés dans la neige avant de s’arrêter.
— Putain ! grogna-t-il à cause de la douleur.
Il se releva difficilement, avec l’impression que tout son corps était en feu. Une des hachettes qu’il avait à la taille était tombée, il attrapa la dernière de la main droite. Mais il ne se faisait pas d’illusions, il était à bout de souffle et sans une arme digne de ce nom, la bataille était perdue d’avance.
— Désolé Eddie... murmura-t-il. J’aurais aimé te venger...
La bête se mit à quatre pattes, et se rua en avant avec sauvagerie. Mais après avoir parcouru à peine la moitié de la distance, elle s'arrêta net, soudainement terrifiée. Une lueur apparut à gauche de Luke, si forte qu’elle l’éblouit pendant une seconde. Un homme se dressait avec une épée dans les mains, la lame était parcourue de flammes rougeoyantes dansant tout autour de l’acier.
— Venger qui ? lança Eddie en riant. Ne m’enterre pas trop vite !
— Qu’est-ce que c’est que cette épée ?
— Tu as devant toi la plus précieuse relique de la famille Chafe ! Recule et admire un peu !
Il se mit en position, prêt à se battre. La bête était encore apeurée. Du sang coulait des différentes plaies causées par les attaques de Luke. Son instinct lui fit comprendre qu’elle n’était pas en position de force. Elle se mit à quatre pattes, et s’enfuit en un instant. L’amnésique poussa un soupir de soulagement en voyant le danger s’éloigner, mais une main le força à se relever.
— Dépêche-toi ! On ne va pas la laisser partir comme ça !
— On est blessé tous les deux ! protesta Luke. C’est une mauvaise idé...
— Allez ! ordonna Eddie avec un grand sourire, tout en rengainant son épée dont les flammes avaient disparu. Déjà, on doit se venger, et en plus, c'est un urdy ! C'est une espèce normalement disparu ! On ne doit pas laisser passer cette occasion !
Un urdy ? pensa Luke, tout en courant derrière son compagnon, son unique hachette à la main. Les traces de pas laissé par leur proie dans la neige formait une piste inratable, les gouttes de sang ainsi que la fréquence raccourcie leur prouvait que la bête était affaiblie. Ils n’eurent pas à la poursuivre très longtemps.
— Ralentis, chuchota Eddie en pointant quelque chose du doigt. Cela doit être son terrier.
Ils s'approchèrent lentement d’un énorme trou entre deux arbres. Sa position le camouflait entre les sapins et le relief, jamais ils n’auraient pu le trouver sans suivre les traces.
— Tu penses vraiment qu’on à intérêt a descendre là-dedans ? questionna Luke, peu rassuré par les ténèbres devant lui.
— Elle est dedans.
Le regard d’Eddie était absorbé par le trou, son sourire était encore plus large que d’habitude, il faisait presque peur.
— Tu parles du monstre ?
— Non, de la relique, je le sens dans tout mon corps. T’es prêt ?
— Après toi, et ton épée enflammée bien sûr.
Son compagnon de fortune dégaina de nouveau son arme, et Luke pu admirer de plus près la beauté et la finesse de son arme. Un instant plus tard des flammes coururent le long de la lame et l’entourèrent entièrement. Ils pénétrèrent lentement dans le terrier, qui était large de presque six mètres, et presque aussi haut. C’était une ligne droite, avec de temps à autre des cavités peu profondes sur les côtés. Ils parcoururent une dizaine de mètres, éclairés par la lumière du feu, avant de commencer à entendre un son peu accueillant.
Le grognement devenait de plus en plus puissant, au fur et à mesure de leur progression. Après une avancée lente et prudente, ils virent enfin la source du bruit. La bête était à quatre pattes, prête à bondir pour les attaquer. Ses crocs aussi longs qu’un avant-bras étaient prêt à mordre quiconque s’approcherait. L’envergure du monstre était tel qu’il touchait le plafond et les murs de la grotte en même temps. Avec si peu de marge de manœuvre, si elle se jetait en avant les deux hommes n’auraient aucune chance.
— Il va falloir frapper les premiers, murmura Eddie avec une expression sadique.
— Attends, ordonna Luke en arrêtant son compagnon. Regarde derrière elle.
Il plissa les yeux, ne voyant rien dans la pénombre derrière la bête.
— Elle protège ses petits, expliqua l’amnésique voyant la confusion de son ami. Elle ne fera rien si on la laisse tranquille.
— On ne la tue pas alors ? s'enquit Eddie, déçu.
— Ce serait bête, non ? répondit Luke en souriant. C’est un monstre extrêmement rare, tu l’as dit toi-même.
— Tu marques un point, grogna le chercheur de relique.
L’urdy sembla comprendre que les deux hommes ne cherchaient pas à se battre. Il cessa de grogner pour rassurer ses petits. Tandis que l’animal se détendait et qu’Eddie baissait son arme en soupirant, Luke remarqua quelque chose à sa droite. Une des cavités était plus profonde que les autres, et sans trop réfléchir, il s’engagea à l’intérieur.
— Eh ! Luke ! l’interpella Eddie. Tu fais quoi ?
L’amnésique s’avança encore davantage, le couloir formait un angle droit, juste après l’avoir emprunté, il la vit.
— Je crois que j’ai trouvé ta relique mon vieux.
— J’ai que 31 ans tu sais, répliqua Eddie qui arrivait juste derrière. Oh merde ! Enfin je l’ai trouvé !
Une étrange sphère verte était posée sur le sol boueux du tunnel, parfaitement lisse et propre. Luke commença à se baisser pour l’attraper.
— Non ! objecta son compagnon. Surtout ne la touche pas ! Tant qu’on ne connaît pas ses effets il ne vaut mieux pas prendre de risque. Tu peux en croire mon expérience.
L’amnésique le ressentit à ce moment précis, il avait eu peur lors du combat contre l'urdy mais cette fois-ci c’était bien plus que de la peur. Quelque chose, non quelqu’un, venait d’entrer dans la tanière et se rapprochait à grande vitesse. Son instinct lui hurlait que si cette personne les trouvait, Eddie et lui mourraient. Par pur réflexe il attrapa la main de son ami.
— Euh... Luke ?
Il se baissa pour attraper la sphère, au moment où il sentait la matière froide sur ses doigts, il releva la tête. Il vit deux yeux le regarder, ainsi qu’une dague à environ deux centimètres de son œil droit. La seconde d’après le paysage autour de lui avait changé. Ils se trouvaient tout deux dans une grande plaine verdoyante, le soleil brillait au-dessus d’eux, signe que l’on était en début d’après-midi. Luke n’en revenait pas.
— Pourquoi t’as fait ça ? hurla Eddie à sa droite.
— Euh... Je ne sais pas... J’ai senti que je devais le faire, bredouilla l’amnésique. Que vient-il de se passer ?
Luke vit la colère et l’incompréhension dans les yeux de son compagnon, mais il continuait de sourire. La sphère était resté dans la cage, à présent loin deux. Il venait de perdre plusieurs mois de recherches et de travail dans un des pires endroits du globe, et pourtant Eddie continuait de sourire.
— Un artefact de téléportation ! s’exclama t-il. Tu te rends compte ? C’est le premier que je trouve !
— Désolé...
— On a peut-être pas été envoyé trop loin, il faut qu’on y retourne le plus vite possible !
Le chasseur de relique aida Luke à se relever, on ne voyait plus que de l’excitation dans ses yeux. Un bruit répété parvint aux oreilles de l’amnésique, il tourna la tête pour voir d’où cela venait. Ce son, des chevaux au galop, pensa-t-il. Il vit les bêtes sortir d’un bosquet à environ trois cents mètres, avant de foncer vers eux, leurs lances levées. Un des cavaliers lâcha la corde de son arc, et son trait atterrît juste à côté des deux hommes. Un tir de sommation.
— On a un autre problème pour l’instant, prévint l'amnésique.
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