Chapitre 3 : Un étrange village
Luke n’en pouvait plus, ses pieds douloureux lui hurlaient de s’arrêter. Après le froid de la Cage, les températures bien plus clémentes de leur nouvel environnement l’étouffaient. Il jeta sa veste en fourrure dans l’herbe et essuya d’un geste la sueur sur son front.
Eddie lui marchait en sifflotant, il prononçait parfois quelques mots mais pas assez fort pour le comprendre. Parlait-il souvent tout seul ? Malgré son épaisse veste la chaleur ne le perturbait pas le moins du monde. S’il n’avait pas avoué qu’il était fatigué, Luke l’aurait cru en pleine forme.
Par chance, une trentaine de minutes de marche douloureuse furent suffisante. Une fois en haut de la colline un village apparu. Une centaine d’habitations s’étendait devant eux, ainsi que des fermes un peu plus à l’écart. Les maisons construites en bois et en pierre donnaient un aspect modeste à l’ensemble. Un cours d’eau traversait le lieu, et Luke aperçu des enfants jouer dans l’eau.
Le dernier kilomètre lui parut bien long, bien trop long. Luke mourrait de soif et de faim, mais surtout il avait envie de se reposer.
Alors que le duo s’approchait, ils virent deux hommes abandonner leurs occupations en les voyant arriver. Ils s’approchèrent d’un pas pressé et le visage fermé. Le premier, un petit homme trapu avec une barbe fourni, tenait sa hache de bucheron à deux mains. Luke porta la main à son épée, quatre hommes avaient tentés de le tuer depuis son réveil, il préférait être prêt à accueillir le cinquième.
— Restez où vous êtes ! ordonna-t-il d’un ton bourru. Ce n’est pas aujourd’hui le jour du paiement, vous n’avez rien à faire là !
Luke leva un sourcil, de quoi pouvaient-ils bien parler ? Il comprit tout de suite que cela avait un lien avec les cavaliers qu’il avait eu le plaisir de rencontrer, mais la situation n’était pas plus claire pour autant.
Les hommes semblaient plus apeurés qu’agressif, et en jetant un coup d’œil sur son ami il en comprit vite la raison. Avec le sang qui maculaient leurs vêtements, et leurs armes à la ceinture, lui et Eddie n’inspiraient clairement pas la sympathie.
— Que veut Livink cette fois-ci ? On a déjà payé, laissez-nous tranquille bon sang !
Un éclat mauvais passa dans les yeux de son compagnon, et Luke s’interposa rapidement.
Il ne voulait pas avoir deux cadavres de plus sur les bras.
— C’est une longue histoire, intervint Luke. Mais nous sommes arrivés ici un peu par hasard, nous nous sommes fait attaquer par trois bandits avant de venir ici.
— Je sais même pas qui c’est « Livink », bougonna Eddie.
La nouvelle sembla choquer le bûcheron, l’inquiétude déforma son visage, son regard alterna entre les taches de sang et les armes du duo.
— Des... des... des bandits ? bégaya-t-il difficilement. Et… ù sont-ils maintenant ?
— Morts, répondit Eddie avec un grand sourire. Inutile de nous remercier.
Les deux habitants du village se regardèrent avec effroi. Celui qui n’avait encore rien dit, un homme fin avec un chapeau de paille, pointa sa fourche vers Luke.
Cette fois il n’était plus apeuré, mais complètement paniqué.
— Vous devez partir ! Si Livink pense que nous avons quelque chose à voir avec ça, il viendra se venger !
— Calmez-vous ! tempéra l’amnésique, ne comprenant plus rien. Vous devez avoir un maire ? Ou un chef tout du moins, amenez-nous à lui, nous pourrons parler.
— C’est hors de question ! Dégagez ou c’est nous qui allons vou...
— Excusez-moi les gue... messires ?
Tous se retournèrent vers la voix du nouveau venu. Luke ne l’avait pas du tout sentit venir et cela le surprit. Il fut tout autant étonné par ses vêtements.
Ses cheveux bruns étaient maintenus vers l’arrière par un bandeau noir. Ses yeux bridés et marrons observaient attentivement les quatre hommes. Il portait un vêtement ample violet, serré par une ceinture noire à la taille, ainsi qu’un pantalon beige. Un manteau noir avec un col en fourrure gris complétait sa tenue. Un médaillon en bois, gravé d’un symbole que Luke ne reconnut pas, pendait à son cou. L’inconnu avait une main posée sur les sabres à sa ceinture, un noir à droite, et un blanc à gauche.
Son apparence était bien différente de celles des villageois. Mais impossible de se souvenir de quelles régions du monde ces vêtements provenaient.
Il faut que je mette la main sur une carte, et vite.
L’inconnu reprit la parole.
— Je me nomme Sho’Ryu. Pourriez-vous m’indiquer où nous sommes ? ? Je suis un voyageur en provenance de Nijima, et j'ai pour objectif de me rendre à la capitale. Mais j’ai bien peur de m’être perdu.
Il marqua une légère pause.
— Au fait, vous devriez faire attention ! J’ai croisé deux bandits en venant ici. La région n’est pas sûre.
L’homme à la fourche ne dis rien, tout comme son ami bûcheron. Ils venaient de remarquer les traces de sang sur les jambes du nouveau venu. Ils s’assirent doucement sur le sol en se prenant le visage entre les mains, avant de se morfondre bruyamment.
— Nous sommes finis, Livink va nous en vouloir, il va se venger...
— De quoi parlent-ils ? demanda Sho’Ryu en pointant du doigt les deux villageois.
— Qu’est-ce que j’en sais ? répondit Eddie en levant les épaules.
La situation n’avait plus aucun sens, et l’homme, Sho’Ryu, ne semblait pas en savoir plus qu’eux.
— Allons voir leur chef, proposa Luke à Eddie.
Il acquiesça, et ils se lancèrent à la recherche du responsable du village. L’amnésique entendit Sho’Ryu se mettre à les suivre.
Au fur et à mesure de leur avancé, ils se rendirent compte que quelque chose n’allait pas. Ils virent de nombreux enfants affaiblis, en train de jouer sans enthousiasme ou de travailler avec leurs parents. La plupart des hommes n’avaient pas l’air en pleine forme non plus, parfois des blessures encore récentes étaient visibles. Les villageois, en plus de cela, fuyaient leur regard.
Ils arrivèrent devant une petite église à côté de la place du village. Au centre de la zone circulaire se dressait une statue – que Sho’Ryu ne put s’empêcher d’admirer - représentant une femme entrain de prier. Eddie et Luke s’installèrent sur un banc, totalement exténués.
— C’est quoi leurs problèmes à tous ! se plaignit le chasseur de relique.
— L’atmosphère est pesante, commenta Sho’Ryu. Ça ne me plait pas.
Luke se posait aussi de nombreuses questions, et nombre d’entre elles étaient liés à leur nouveau compagnon de fortune.
Une étrange odeur lui parvint, le coupant dans sa réflexion. Des souvenirs jaillirent, sans qu’ils ne puissent leur résister. Luke se trouvait dans une salle sombre, faiblement éclairé par une torche qu’il tenait dans sa main. Une montagne de cadavre s’élevait devant lui, projetant des effluves pestilentiels dans toute la salle.
Luke savait que cet atroce spectacle aurait dû le dégouter, il n’aurait pas du pouvoir fixer ces corps sans rien ressentir. Il fallait être un monstre pour rester insensible.
Et pourtant il l’était. Comme si cette montagne n’était qu’un vulgaire tas de vêtement.
Plus loin un homme grommelait, se plaignant du manque de résultat tout en jetant un cadavre de plus dans la pile. Luke allait ouvrir la bouche, quand quelqu'un lui parla, le sortant de cette vision d’horreur.
—Mais putain qu'est-ce qu'il se passe ici ? jura Eddie en levant les yeux.
Luke suivit son regard, pour découvrir que trois hommes pendaient du toit de l'église. Tous dans un état de décomposition assez avancé.
— Dans quel but commettre ce genre d’horreur ? s’offusqua Sho’Ryu.
— C'est ce qui peut se passer quand on ne paye pas, annonça une voix de femme.
Elle les fit sursauter, et sourit en réponse à leur réaction. Sans rien ajouter elle s’avança et s’installa à côté de Luke tout posant un épais livre sur ses genoux. Elle portait un long manteau noir, ainsi qu’une chemise blanche et un pantalon gris. Ses cheveux gris ornés d’un nœud bleu lui arrivaient aux épaules et ses yeux noisette parsemés de reflets rouges pétillaient. Luke eut du mal à détacher le regard de son visage.
— Celui du milieu, expliqua-t-elle avec tristesse. Il s'appelait Duval, c’était un des nombreux fermiers du village. Après des mois à se démener pour payer, il a fini par ne plus être capable de travailler. Il s’écroulait littéralement sous la fatigue. Au début nous avons réussis à travailler à sa place, pour le couvrir. Mais Livink à finit par le comprendre, et il l’a puni pour montrer l'exemple.
Mais qui était donc ce Livink ? Comment pouvait-il se permettre de tuer ses pauvres gens ? Luke remarqua du coin de l’œil que Sho’Ryu s’était mis en marche.
— Et les deux autres ? interrogea l’amnésique.
— Ils ont voulu le faire descendre, voir Duval de la sorte leur était insupportable, elle marqua une pause. Livink ne les a pas laissé faire.
Luke vit Sho'Ryu commencer à grimper le long de l’Eglise. Il progressait rapidement et avec agilité, un peu trop rapidement même car son pied glissa et il manqua de chuter. Des villageois se rapprochèrent, certains pour lui hurler de descendre, d’autres pour l’encourager.
Sho’Ryu les ignorait, absorber par sa mission. Luke le regardait faire avec admiration et une pointe de jalousie. Le jeune homme avait agi si vite, alors que lui n’y avait pas pensé une seule seconde.
Une fois debout sur le toit, Sho’Ryu dégaina un katana noir, et trancha la corde qui retenait les cadavres d’un geste expert. Ils tombèrent sur le sol dans un bruit sourd, et le jeune homme entreprit de descendre.
— Enterrez les dignement, ordonna-t-il aux villageois une fois de retour sur la terre ferme. C'est une chose de mourir, c’en est une autre de subir une telle humiliation.
Sho'Ryu revint vers le groupe, la jeune femme l’observait attentivement. Son visage cerné dévoilait sa fatigue, mais un sourire resplendissant l’éclairait.
— Je suis désolé, déclara le voyageur. J'ai l'impression que mon geste va vous attirer des ennuis, mais je ne pouvais pas rester sans rien faire.
— Il est déjà trop tard de toute manière, déclara-t-elle. Le bruit court que vous avez tués des soldats de Livink.
— On n’était pas vraiment au courant, on est arrivé ici un peu par hasard, dit Luke en regardant Eddie. On ne sait toujours pas qui est ce Livink d’ailleurs. Il doit bien exister un moyen de réparer notre erreur ?
— Une erreur ? répéta la jeune femme. Vous n’avez rien fait de mal. Je pense plutôt que votre présence ici est une chance !
— Une chance ? répéta Luke sans trop comprendre.
Elle se leva d'un bond, avant d’indiquer la plus grande maison autour de la place.
— Suivez-moi, le maire ne va pas tarder à rentrer. Nous pourrons répondre à toutes vos questions, et puis vous avez l’air sacrément fatigué. Un bon bain ça vous intéresse ? proposa-t-elle aux trois hommes.
— Ce serait avec plaisir, répondirent Luke et Sho’Ryu en même temps.
— Au fait, moi c'est Elise, ajouta-t-elle avec un sourire espiègle.
Ils emboitèrent le pas de la jeune femme avec enthousiasme. Quant à Eddie il sembla peu intéressé par la perspective de se laver, mais il les suivit quand même.
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