Chapitre 40 :
Le premier son qu’elle entendit à son réveil fut un cri, puis des plaintes, nombreuses et sans fin. Les murs étaient blancs comme ceux de la muraille du château, et les nombreuses lampes magiques projetaient leurs impitoyables lumières partout. La salle était grande et triste, dénué de toute personnalité et d’émotions. Elise se releva pour regarder autour d’elle, elle était en hauteur, et put observée calmement son environnement.
De nombreuses personnes vêtues de longue cape blanche et d’étranges masques leur couvrant le visage, allaient et venaient de partout. Zigzaguant entre des tables ou étaient posés divers appareils qu’Elise ne connaissait pas. Sur certains meubles des humains étaient couchés, parfois vivant et parfois non. C’était d’eux d’où provenaient les cris de douleurs, et les plaintes venaient d’au fond, dans une sorte de grande cage des dizaines d’adultes attendaient, se plaignant à voix basse entre eux.
Mais que se passe-t-il bon sang ?
La jeune femme regarda en contrebas sur sa droite, et vit son grimoire ouvert sur une table. Kloné se tenait à côté, avec un homme inconnu. Elise hésita quelques secondes, la sortie avait l’air de se trouver derrière elle, et l’endroit ou elle se trouvait ressemblait à une salle de torture. Elle se sentait encore un peu faible, même si son épaule et sa jambe étaient vraisemblablement soignés. Finalement la curiosité prit le pas sur la peur, et elle descendit les escaliers. Kloné se tourna vers elle, et son visage inquiet s’éclaira un peu en voyant sa rivale.
— Elise ! Tu vas bien ?
— Pas trop mal, répondit-elle en faisant bouger son épaule.
— Je suis soulagée, dit Kloné, sincèrement désolé pour ce qu’il s’était passé.
— Ou sommes-nous ? demanda Elise.
L’homme cessa d’observer le livre et fit volte-face. Il retira le masque en cuir qui recouvrait son visage, dévoilant des traits maigres, et un visage parfaitement rasé. Ses cheveux blonds étaient coupés courts, et ses yeux bleus la regardèrent avec intensité, même si la jeune femme y décela une lueur étrange. Il semblait vieux et jeune à la fois, mais elle lui donna au moins cinquante ans.
— Nous sommes sous le bâtiment d’expérience, c’est ici que nous faisons le plus avancer l’étude de la magie ! il avait parlé très vite, et enchaîna sans reprendre son souffle. Oh ! Je suis idiot, je ne me suis pas présenté ! Je me nomme Rom Fireon, c’est moi qui dirige ce département de l’académie.
Bien que pas encore totalement réveillée, son nom fit directement réagir Elise. L’homme qu’elle cherchait à rencontrer depuis tout ce temps se tenait en face d’elle, même si elle ne voulait pas réellement le rencontrer dans ce genre d’endroit. Elle avait enfin trouvé celui qu’on surnommait le mage de l’esprit. Mais avant de parler de Luke, autre chose lui vint en tête.
— Les gens au fond ? dit-il avant même qu’elle ne parle. Ce sont les volontaires pour les expériences.
— Les cadavres aussi sont volontaires ? répliqua Elise en pointant du doigt l’une des tables.
— Bien sûr, répondit Rom Fireon en souriant. Mais nous ne sommes pas des monstres ! En échange d’une compensation pour leur famille dans les souterrains, ils viennent donner leur vie pour la magie. Un bel échange non ?
Un nouveau cri de douleur retentit, et Elise sentit son estomac se contracter.
— Et qu’est ce que vous cherchez à faire au juste ?
— J’allais y venir !
Il s’approcha de la table et referma le grimoire, laissant voir l’œil violet ainsi que les deux traits derrière.
— Connaissez-vous la raison pour laquelle nous n’arrivons pas à créer de reliques ? s’enquit-il auprès des deux jeunes femmes.
— Euh... réfléchis Kloné, prit de court. Nos sciences ne sont pas assez avancées ?
— C’est ce que nous pensions au début, mais êtes-vous déjà allé dans la ville souterraine ?
Elise acquiesça, mais sa camarade ne sembla pas comprendre de quoi il parlait.
— Creuser la cavité à du demander une sacrée puissance ouvrière, mais rien que les reliques ne peuvent accomplir. Quant aux bâtiments, ils n’ont rien d’incroyable, des constructions basiques dans des matériaux simple à manipuler. Difficile à penser que la civilisation avant nous ait été beaucoup plus avancé sur le plan scientifique.
La femme aux cheveux gris appréciait de moins en moins la discussion. La salle la rendait anxieuse, et elle ne comprenait pas ce que cherchait son interlocuteur.
— Nous arrivons à créer des lampes capables d’émettre de la lumière à n’importe quel moment de la journée, mais pas la moindre arme magique, soupira Fireon Rom. Pourtant inscrire des runes sur une lame n’a rien de complexe, mais cela revient à utiliser un grimoire finalement, jamais on n’atteint la puissance d’une véritable relique...
— C’est l’alimentation le problème alors ? intervint Elise.
— En partie, admit l’homme, une étincelle dans les yeux. Certaines reliques datant de milliers d’années fonctionnent encore parfaitement, pourtant c’est inconcevable que du mana ait pu être conservé depuis tout ce temps. Il y a forcément quelque chose qui nous a échappé, quelque chose dans la création même de ces objets qui importe plus que le reste.
Kloné par réflexe attrapa la robe de mage d’Elise, et la jeune femme la comprit, l’homme avait plus l’air d’un fou que d’un savant à ce moment exact. De plus la jeune mage avait peur de comprendre ou voulait en venir Fireon Rom.
— Si la relique ne reçoit pas d’approvisionnement magique, c’est qu’elle produit elle-même son mana. Sauf qu’aucune matière connue n’en produit, seuls les êtres vivants y parviennent !
— Vous voulez dire que...
L’homme coupa Elise une fois de plus, et sortit un cristal bleu de la taille d’un pouce de sa poche. L’objet brillait, et la jeune femme ressentit du mana qui s’en échappait, elle sembla même entendre des voix lointaines.
— Ce cristal provient d’une relique que nous avons ouverte, rien ne différencie ce diamant d’un autre, pourtant il produit du mana en continue.
— Il y un homme à l’intérieur, c’est bien ça ? dit Elise avec dégout.
— Pour être plus précis, seul son âme est à l’intérieur, affirma Rom Fireon.
Elise eut envie de vomir, toutes les personnes au fond de cette salle allait être sacrifié pour peut-être devenir des armes.
— Cependant vous imaginez bien que pour une arme magique, une seule âme ne suffit pas, poursuivit l’homme, plus pour s’entendre parler que pour réellement expliquer. Il en faut plus d’un millier pour créer une relique de cette puissance. Nous n'avons encore jamais réussis, mais nous progressons de jour en jour !
— C’est de la folie de vouloir reproduire cela, dit Kloné.
— De mon point de vue nous étudions simplement la magie, répondit-il en souriant. De plus, le même procédé à été utilisé pour créer ce grimoire, ajouta-t-il en caressant la couverture du livre. Même si ce n’est pas une âme humaine à l’intérieur, mais quelque chose de beaucoup plus puissant, quelque chose de plus maléfique. Je n’aime pas trop les anciennes croyances, mais on dirait qu’un véritable démon se trouve à l’intérieur.
La jeune femme attrapa le grimoire, préférant le tenir loin des mains du mage. Ce dernier lui adressa un grand sourire.
— Tu te demandes pourquoi la même marque se trouve sur la main de ton ami ? s’enquit-il doucement. Je vois dans ton esprit que tu doutes de lui. Moi aussi je me le demande, qui est-il vraiment ? Tu devrais l'amener ici, je peux l'aider.
— Arrêtez de lire dans mes pensées ! s’emporta Elise.
— Oh, désolé !
Elle toucha sa sacoche pour vérifier qu’elle possédait encore ses grimoires, et réfléchit ensuite si en cas d’affrontement elles parviendraient à fuir.
— Inutile, dit Rom Fireon. Vous n’êtes pas retenus ici, vous pouvez partir d’ici quand vous voulez.
— Pourquoi nous avoir dit tout ça ? interrogea Kloné.
— Ce grimoire, dit-il en désignant la couverture noire du menton. Ni moi ni mes hommes ne sommes parvenus à l’utiliser, et il est complètement illisible. Pourtant toutes les deux vous vous en êtes servis, la magie que vous avez déclenchée à dû être ressentis jusqu’à Ryke Fryst. Vous êtes différentes, nous avons beaucoup à gagner en travaillant ensemble. Vous pourriez nous permettre de faire avancer grandement nos recherches !
— Vous n'allez pas nous poursuivre alors ? le coupa la femme aux cheveux gris.
— Bien sûr que non, assura Rom Fireon. Gardez même le livre, vous voir l'utiliser sera bien plus instructif que de le laisser ici.
Ignorant sa remarque, Elise attrapa la main de sa camarade, et l’entraîna à sa suite vers les escaliers.
— Présentez-vous quand vous voulez au bâtiment d’expérience, et demandez simplement à « descendre » à l’accueil, ensemble, nous pourrons faire progresser la magie plus loin encore !
Il les regarda calmement s'éloigner, et un des hommes en blanc s'approcha de lui.
— Vous pensez vraiment avoir pris la bonne décision ?
— Bien sûr, la drocienne reviendra, je l'ai vu dans ses yeux.
— Et le livre ?
— Faites la suivre, ordonna le mage. Il faut espérer qu'elle l'utilise de nouveau, et il faut aussi retrouver son ami, un certain Luke. Lui aussi est un sujet d'expérience plus qu'intéressant.
L'autre homme le salua, et prit congé, tout en se demandant si son supérier avait lu le doute dans son esprit.
Les deux jeunes femmes sortirent de la salle le plus rapidement possible, puis se mirent à courir dans une série de couloir, passant devant d’autres salles d’expérience en tout point semblable à la première. Après une série d’escaliers, elles réussirent à quitter le bâtiment. Dehors il faisait encore nuit, mais le soleil commençait à se lever. Elles ne s’arrêtèrent pour reprendre leur souffle qu’une fois devant la chambre de Kloné. Cette dernière semblait déboussolée.
— Qu’est... qu’est-ce que tu vas faire toi ?
Toute sa prestance d’avant le duel avait disparu, elle n’avait plus rien de la noble arrogante et orgueilleuse, a présent elle ressemblait à une enfant un peu perdue.
— Je vais m’en aller, déclara Elise. Et quitter cette maudite ville.
— Mais et tout ça ? objecta Kloné. On ne peut pas laisser ces pauvres gens mourir ! Ils veulent en sacrifier plus d’un millier !
— Tu penses que la royauté n’est pas au courant ? Ce qu’il se passe ici est connu de tous, Astria veut renforcer sa puissance, quitte à sacrifier des vies pour cela.
— C’est horrible !
— On n’y peut rien, dit Elise en la regardant droit dans les yeux. Maintenant tu dois penser à ta propre sécurité, ce Rom Fireon m’a l’air très dangereux, mais que tu l’aides ou pas, je ne pense pas qu’il te fera de mal. Mais tu dois rester prudente.
— J’ai peur...
— Moi aussi, la rassura la jeune femme aux cheveux gris. Courage Kloné, j’espère que l’on se reverra.
— Je... Je suis encore désolé.
— Tout cela n'a plus importance.
Elise laissa sa rivale autoproclamée seule, et se rendit rapidement à sa propre chambre. Sans réveiller sa colocataire, elle récupéra toutes les affaires dont elle avait besoin, et fourra son livre noir dans sa sacoche.
Quitter le quartier de l’Académie ne lui posa aucun souci, les gardes la saluèrent, surpris de voir une élève debout de si bon matin. Elle ignora l’homme à l’accueil, qui la prévint qu’en cas de sortie non prévu, elle n’aurait pas le droit de revenir.
Ce n’était pas prévu de toute manière.
Depuis qu'elle avait pu lire, et qu'elle avait appris l'existence de la magie, venir à l'Académie avait toujorus été son objectif. En une soirée tout avait changée. Les mages qu'elles admiraient tant menaient des expériences macabres, dans le but de créer des armes pour donner la mort. Elle avait reconnu Philomon même avec son masque, et d'autres professeurs qui lui avaient prodigués des conseils, tous étaient au courant, tous approuvaient.
Retrouver Luke était sa priorité, il était en danger dans cette ville, maintenant que Rom Fireon connaissait son identité. Elise devait absolument lui parler de la marque en forme d’œil, et des dangers qui y étaient liés.
Dans les lettres l’amnésique lui avait donné l’adresse de l’auberge, qui se trouvait non loin de l’Académie. Une fois à l’intérieur elle s’adressa au tavernier, surprit de voir une cliente si tôt.
— Comment ça ils ont disparu ? cria-t-elle sous la surprise.
— L’armée royale est venue, avec un Altius en personne, et ont tout fouillés, expliqua-t-il. Vos amis se sont apparemment introduits dans le château, et ont attaqués le prince de Ryke Fryst.
Elise eut l’impression de recevoir un coup derrière la tête, pourquoi ses amis auraient-ils fait ça ? Elle se sentit soudain très seule. L’aubergiste lui tapota l’épaule, et lui tendit une lettre.
— Ils m’ont rendu plusieurs services, avoua-t-il. Et ils m’ont dit de cacher cela à tout prix, et de la donner à une jeune femme du nom d’Elise si jamais ils disparaissaient, j’imagine que c’est vous ?
Elle lui arracha la lettre des mains, et ses yeux dévorèrent les quelques lignes écrites dessus. Luke avait toujours eu une écriture assez maladroite, mais une façon de dire les choses assez belles. Il expliquait son plan pour voir le prince, parce qu’il était convaincu de l’avoir déjà vu. Il s’excusait par avance, sachant que si elle lisait cette lettre, c’est qu’il avait échoué. Les dernières lignes étaient bien plus personnelles, et Elise sentit des larmes couler sur ses joues quand elle termina de lire.
Quel abruti.
— Ils ne les ont pas encore retrouvés ? demanda-t-elle en s’essuyant les yeux.
— Pas aux dernières nouvelles, ils se seraient enfuis vers l’ouest, en direction de Drocia.
Elise rangea la lettre dans sa sacoche, et se prépara à sortir.
— Attendez ! stoppa le tavernier. Vous vous rendez compte qu’ils peuvent être n’importe ou à l’heure actuelle ? Les chances de les retrouver sont très minces.
— Ne vous en faites pas pour moi, dit-elle en souriant.
Quelques heures plus tard, Elise la mage partait en direction de l’ouest. Bien décidée à faire dire à Luke, la dernière phrase de sa lettre à haute voix.
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