5 — La consigne

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Le lendemain, Claire se réveilla et, comme à son accoutumée, exécuta tout son petit rituel matinal. La parfaite chorégraphie routinière fut perturbée par un élément imprévu.

— C’est quoi ce tissu qui dépasse du tiroir ? se demanda-t-elle, intriguée.

Elle l’extirpa puis reconnut son écriture dessus. L’étrange instruction éveilla sa curiosité et elle la suivit. Elle ouvrit son placard et en sortit sa tablette, elle aussi enveloppée dans un mouchoir gribouillé.

L’appareil s’alluma et elle prit connaissance de la directive qui s’afficha.

— Qu’est-ce que…

Claire s’assit sur son lit pour réfléchir, perturbée par ce qu’elle aurait rédigé dedans. Effectivement, elle ne se souvenait de rien de tout cela. Elle se rappelait d’autres passages de la veille, quelques discussions avec des collègues, des tâches au travail, mais pas d’avoir relu ses notes et encore moins constaté qu’elles « tournaient en boucle ». En regardant les fichiers de la tablette, le contenu présentait bien une indéniable redondance.

« Essaye de comprendre ce que veut dire LE CIEL EST UN MENSONGE »

Voilà la consigne que son moi de la veille lui aurait laissée et dont elle ne se rappelait pas. Une phrase qui n’avait aucun sens.

Une heure plus tard, Claire rejoignit Hector et Sabrina dans le réfectoire pour prendre le petit déjeuner ensemble. Les deux amis discutaient lorsqu’elle s’installa à leur table. Sabrina racontait comment elle s’occupait du bonsaï que lui avait légué le docteur Menera. Elle mimait les gestes minutieux qu’elle réalisait pour tailler le plus proprement possible les petites feuilles et pousses de l’arbre miniature.

Claire s’assit sans dire un mot.

— Hé salut ! lui envoya Hector. Sabrina me relatait comment elle dégrossit sa plante. Moi je l’imagine avec un chapeau de paille et des gants roses dans un jardin.

— Oh ça va, Hector ! s’indigna Sabrina.

— Ah d’accord… répondit Claire, ailleurs. Et toi, Hector, qu’as-tu fait de beau hier soir ?

— Moi ? Bah j’ai bricolé avec un vieux logiciel d’intelligence artificielle du début des années 2000. Vous ne pensez pas à quel point c’était rudimentaire. Comment ils ont pu utiliser ça, sérieux ?

— À ce point-là ?

— Bah écoute, vu qu’à une époque ils avaient même pas de douches et de chiottes, j’imagine que pour la technologie c’était pareil.

— La grande classe ta comparaison, Hector.

Il sourit bêtement.

— Et toi, Claire ? demanda Sabrina.

— Pas grand-chose, j’ai lu, j’ai écrit dans mon journal, la routine…

— Depuis le temps que tu fais ça, tu vas avoir matière à rédiger un sacré roman quand on arrivera à Proxi b !

— Ha ha ! sûrement, répondit Claire d’un ton gêné.

— Je pense que Sabrina a raison, moi je le lirai en tous cas !

— Arrêtez, c’est n’importe quoi.

Après quelques instants de calme où le trio déjeunait en silence, Claire posa subitement une question.

— Au fait, est-ce que l’expression « le ciel est un mensonge » vous dit quelque chose ?

Ses deux amis la regardèrent pantois.

— Quoi ? s’interloqua Sabrina.

Mmh, moi ça me rappelle un truc, répondit Hector.

— Quoi donc ? s’impatienta Claire.

— Dans un super vieux jeu vidéo on incarnait un personnage qui devait résoudre des énigmes pour traverser des salles. On lui promettait qu’il y aurait une fête avec un gâteau en récompense. Mais qu’en réalité il allait se faire tuer et que des inscriptions sur les murs disaient « le gâteau est un mensonge ».

— Ah.

Claire semblait déçue par cette réponse, mais cela ne l’étonna pas de la part d’Hector. Il avait les yeux qui brillaient, toujours content de parler de sa passion pour les anciens jeux vidéo. Un gamin dans le corps d’un mec de bientôt quarante ans, pensait-elle à son sujet. Mais aussi un très bon ami qu’elle appréciait beaucoup.

— Il est multijoueurs, si tu veux on pourra se faire une partie ensemble, proposa Hector.

— Pourquoi cette question, Claire ? demanda Sabrina. Tu as vu ça quelque part ?

— Sûrement, mais je ne me souviens plus où. Cela m’est revenu ce matin, ne cherchez pas pourquoi, et ça m’intriguait.

— Fais gaffe que ce ne soit pas un gâteau !

Claire fit mine d’ignorer la remarque d’Hector.

— Il n’y a pas de « ciel » sur Colonie 7 comme on pourrait l’entendre sur une planète, continua Sabrina. Ou alors…

— Oui ?

— Les verrières des niveaux résidentiels ou encore du lac. Si on regarde vers le haut, on peut considérer qu’il s’agit d’un ciel.

— Ah, mais oui, bien sûr !

— Celui du lac a même une ambiance romantique assurée, ajouta Hector avec un clin d’œil.

Claire ne prêta pas attention à cette remarque et s’en alla d’un pas pressé. Celui-ci la contempla partir, affichant une mine déçue.

— Elle n’a toujours pas relevé, demanda Sabrina.

— Non… et j’ose pas…

Sabrina posa une main compatissante sur l’épaule de son ami.

— Je suis désolée, un jour tu trouveras un moyen de le lui dire.

L’image de Claire se déplaçait de caméra de sécurité en caméra de sécurité. Son parcours depuis la sortie du réfectoire niveau 5 secteur 3 fut retracé avec attention par ce silencieux observateur. Après quelques instants de marche, on pouvait désormais la voir consulter l’un des plans de Colonie 7. Elle regardait ce panneau d’une façon bien plus consciencieuse que n’importe quel autre chaland qui chercherait son chemin. Cet invisible contemplateur notait un comportement intrigué face à ce rudimentaire dispositif d’orientation.

Claire hésita quelques secondes, scrutant les environs, puis partit en direction du turboascenseur niveau 5, tube 3. L’œil électronique la suivit lorsqu’elle entra dans la cabine et annonça « niveau 3, section station recyclage d’eau ». Il observa une demande plutôt inhabituelle par rapport à ses trajets réguliers. Le transport se vida peu à peu de ses passagers et il ne restait plus qu’elle à la fin. La caméra étudiait son comportement et évaluait une attitude pensive.

Arrivée à sa destination, elle s’arrêta longuement devant les portails d’accès des équipements de traitement de l’eau. Le système la vit exécuter quelques actions sur son bracelet et jaugea rapidement qu’elle fut contrariée.

L’observateur intéressé fut pris d’une forme de réflexion. La raison de sa frustration était très simple : Claire n’était pas habilitée à entrer dans ces installations. Quand il constata qu’elle cherchait d’autres moyens, il eut une drôle d’envie. Une opération totalement irrégulière qui fut consignée dans son journal d’activité en tant que telle. Il déverrouilla la porte et celle-ci coulissa sous la stupeur de la passagère. Elle scruta à gauche et à droite, ainsi que derrière elle, étonnée de voir un tel changement soudain.

Cet étrange ange gardien, s’il en était vraiment un, nota cette irruption dans cette zone et la mit en corrélation avec la discussion qu'elle partagea avec ses amis quelques instants auparavant.

Une nouvelle entrée fut inscrite dans le journal d’activité : « Sujet présentant une possibilité de revoir les paramètres de l’itération. »

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