6 — Le ciel est un mensonge

7 minutes de lecture

Arrivée au niveau 3, Claire leva les yeux au « ciel » du lac artificiel. Il s’agissait bien de l’endroit le plus surréaliste de Colonie 7. Ici, le visiteur avait l’impression de voir la mer. L’immense bassin uni était séparé en deux par une large verrière qui permettait de contempler les étoiles. Si l’on exclut les gigantesques panneaux de lumière accrochés à l’axe central servant de soleil artificiel, cette bande stellaire rappelait bien que l’on se trouvait dans un vaisseau spatial. Elle représentait même une image très poétique à bord de cet environnement spécial.

Le niveau 3 proposait l’un des plus grands espaces de nature dans un habitat entièrement synthétique. Après quelques mètres d’un mélange de sol et de sable, formant une plage aussi esthétique qu’agréable, un immense lac courait à perte de vue et disparaissait derrière l’axe central pour se retrouver dans son dos. Les quelques espaces de « terre » ici formaient des îles artificielles au milieu d’un océan qui l’était tout autant.

D’une profondeur de cinquante mètres, c’était une réserve d’eau, mais également une source de biodiversité, car toute la zone était entourée d’arbres. Le niveau 3 accueillait de luxuriantes plantations qui se développaient sous le contrôle des botanistes et biologistes. Celle-ci était le poumon de Colonie 7, l’un de ses moyens de recycler l’air et d’en produire. De plus, cet espace vert était un lieu de quiétude et repos pour de nombreux occupants. Mais aussi de loisirs avec des terrasses ou des sites pour prendre un bain de soleil artificiel. La baignade était également autorisée dans certaines sections. L’endroit apaisait et rappelait la « maison », même si nombre de passagers ne l’avait jamais connue en vrai. Les terriens d’origine sur Colonie 7 restaient rares, et pour la plupart décédés, la majeure partie de sa population provenait des colonies spatiales.

L’immense verrière séparant en deux le lac artificiel donnait sur l’espace. Un ciel étoilé, tournant au rythme des rotations de leur habitat sur lui-même. Tellement habituel qu’on finissait par l’oublier. Claire se sentit idiote à ce moment-là. Elle se situait à la section 7, dans des endroits moins accessibles, car réservés aux techniciens s’occupant des lieux et notamment les stations d’épuration.

Elle emprunta une passerelle surplombant l’eau pour tenter de se rapprocher des vitres. Les équipements de recyclage se faisaient entendre avec leur régulier ronronnement. Elle se rappelait les notes qu’elle avait relues : une personne s’était suicidée ici et un message cryptique parlait d'un ciel mensonger. Jusqu’ici, le panorama lui semblait honnête. Les étoiles brillaient de tout leur éclat derrière l’épaisse couche de matériau ressemblant à du verre, mais bien plus résistant, blindé, et disposant de plusieurs strates aussi denses que la profondeur du lac.


Arrivée aux limites de la partie publique, elle passa son bracelet devant le poste de contrôle. Comme elle pouvait s’y attendre, le système refusa l’accès. Claire grommela intérieurement et regardait s’il était possible de trouver une autre entrée moins difficile. Après quelques instants, la porte s’ouvrit toute seule, à sa grande surprise. Elle scruta plusieurs fois autour d’elle, patienta pour voir si quelqu’un allait en sortir.

Personne.

Claire décida donc de rentrer grâce à ce qui lui parut un suspicieux hasard. Elle descendit un escalier de service qui l’amena au plus proche de la verrière. Elle pouvait désormais la toucher de sa main. L’ingénieure contempla longuement les étoiles. Le ballet cosmique était toujours aussi majestueux, même si après des années passées en dessous on finissait par l’ignorer.

Son œil fut soudainement attiré par un mouvement. Un clignotement inhabituel. Certaines étoiles disparaissaient et revenaient d’une façon bien surprenante. C’était presque imperceptible pour quiconque avait pour coutume de s’y désintéresser. Soit sa vue lui jouait des tours, soit le placement des lueurs du firmament variait d’une manière tellement subtile qu’il fallait insister pour le constater.

Claire poursuivit sa progression le long de cet accès de maintenance et pouvoir étudier de plus près la vitre. Elle était froide et les nombreuses et épaisses couches se distinguaient. Cependant, une distorsion semblait en désaccord avec la forme du matériau. Cela amplifia le sentiment d’inconfort qu’elle ressentit lors de sa première observation.

Le ciel perturbait bel et bien, les étoiles instables, mais aussi légèrement floues par endroit. Des détails qu’il était impossible de discerner en temps normal.

Un autre motif attira son attention. À la jonction entre le sol et la verrière, un très mince filet lumineux parvenait à se frayer un chemin vers des globes oculaires vigilants. C’était aussi fin qu’un lacet de chaussure traînant sur plusieurs mètres de distance à terre, mais bien là et, une fois constaté, il se voyait comme le nez au milieu du visage. La paroi froide et sa texture lisse rappelaient bien le matériau servant aux fenêtres des appareils spatiaux. Il s’agissait d’un assemblage composite empilant plusieurs couches d’un verre hautement résistant associé à des polymères synthétiques du type neokevlar. Ce produit créé par l’armée fédérale fut qualifié en lui assénant de puissantes salves de tirs de projectiles. Il fut donc retenu comme standard pour les vitres de vaisseaux, encaissant sans difficulté les micrométéorites.

Aussi fabuleux ce matériau fut-il, ce qui intéressa Claire c’était bien ce simple filet de lumière. En l’observant minitieusement, elle constata que c’était un jour. Non pas dans la paroi, mais entre le ciel et la jonction opaque. La lueur vive et sa fréquence parvenaient à être perçues. Un rayonnement en plusieurs couches entremêlées qui donnait un effet de profondeur. Soit la même technologie que la projection holographique.

En s’allongeant suffisamment sur le côté, Claire s’étonna de voir un nouveau détail se révéler à elle. Le volet de la verrière était fermé. Derrière les étoiles, un épais assemblage de plusieurs strates de protection était déployé. La signification du message énigmatique laissé par Patrick Romard lorsqu’il avait mis fin à ses jours prit tout son sens.

Le ciel est un mensonge, car il n’existe pas. C’était une image animée sur une paroi transparente avec des couches de titane et d’acier derrière.

Était-ce là la raison de son suicide ? L’avait-il découvert et refusé d’accepter cette réalité ? Aurait-il découvert autre chose qui aurait provoqué cette tragédie ? Pourquoi le ciel du lac artificiel était-il une projection ? Était-ce le cas des autres niveaux avec fenêtres comme les résidentiels ?

Claire n’avait plus le temps de chercher à en savoir plus. L’avertissement qu’elle s’était laissé résonnait dans sa tête : elle va oublier ça cette nuit. Il fallait donc qu’elle retourne à ses quartiers pour consigner ses découvertes dans sa tablette.

Elle se releva, essuya sa tunique salie par ses pérégrinations, puis quitta la station de recyclage. De retour à la rive du lac, elle observa de nouveau le ciel, mais avec un tout autre regard. C’était un faux, une projection, un mensonge. Et on y voyait que du feu, mais désormais, pour elle, l’illusion était tombée.


En chemin pour rejoindre les ascenseurs, Claire croisa Hector.

— Hé Claire ! Ça va ? lui lança-t-il de son habituel ton jovial.

— Euh… oui.

— On dirait pas, tu m’as l’air perturbée. Il s’est passé quelque chose ? Tout à l’heure tu semblais obsédée par ton idée avec le ciel.

Claire hésita un instant, puis attrapa Hector par le bras et l’emmena vers un espace détente inoccupée.

— Hector, tu te souviens que je t’avais demandé de me récupérer des journaux des réacteurs ?

— Euh, oui.

— Est-ce que tu te rappelles si je t’ai partagé mes observations à leur sujet ?

Hector réfléchit longuement, puis hocha la tête de manière négative.

— Tu es sûr ?

— Oui. Il y a un souci avec ?

— Je t’ai demandé ça le premier janvier, après avoir participé aux tests d’allumage des moteurs principaux. Quand tu m’as envoyé le fichier, j’ai constaté tellement d’erreurs que c’était comme si on avait perdu l’un d’entre eux. Tu avais plaisanté en disant que je devenais folle.

— Cela ressemblerait bien à quelque chose que je pourrais dire, oui.

— Et je t’ai frappé.

— Cela ressemblerait bien à ta réaction quand je dis quelque chose comme ça, s’amusa Hector.

— Et tu ne t’en souviens pas ?

— Non, rien, nada, que dalle, peau d’zob.

— Dans ce cas pourquoi tu m’en as envoyé d’autres ?

— Ben, tu me l’avais demandé ?

— Quand ?

— Ben… l’autre fois ?

Hector se sentit penaud, il venait de comprendre qu’il ne se rappelait pas de ce genre de détail datant de seulement quelques jours.

— Hector, je dois t’avouer quelque chose. Ce matin, j’ai vu une note manuscrite que je ne me souvenais pas d’avoir écrite. Elle me disait de lire mon journal. Je l’ai lu. Et dedans ça disait que j’oubliais tout. Toutes les entrées étaient datées du mois de janvier 2308.

— Tu délires, c’est pas possible.

— C’est ce que j’ai cru, mais tout était bien tracé pour me guider. Comme si j’en avais pris conscience hier et que je m’étais laissée un pense-bête. Quelque chose me fait oublier. Et toi aussi, apparemment.

— Mais pourquoi je me rappelle ce que j’ai fait hier, mes bricolages, les chansons que j’écoutais, ce que j’ai écrit dans mon journ… ahem. Enfin voilà, quoi.

— Tu tiens aussi un journal ?

Hector devint rouge comme une pivoine. Il n’avait jamais dit qu’il avait eu l’envie de faire comme Claire et de consigner ses journées dedans. Mais aussi ses sentiments pour celle qui y semblait hermétique.

— Euh… non… enfin si… enfin presque… peut-être… pourquoi ? Qu’est-ce que ça peut te faire ?

— Tu les écris tous les jours ?

— À peu près…

— Tu mets bien les dates ?

— Je crois…

— Viens, il faut vérifier leur contenu !

— Que-qui-que-quoi-que, mais !

Hector ne savait plus où se mettre, il ne fallait surtout pas que Claire en lise le contenu. Son visage restait écarlate et perlait de sueur, il ne parvenait pas à retrouver son calme. Comme s’il cachait une activité honteuse.

Claire lui attrapa de nouveau le bras et le traîna dans le turboascenseur en direction de leurs quartiers sans qu’il n’eût le temps de comprendre ce qui lui arrivait.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Seb Astien ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0