8 — Rencontre fortuite

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— Pour quelle raison avez-vous souhaité me rencontrer, Claire ?

La passagère de Colonie 7 se trouvait dans un bureau avec l’avatar de la Planificatrice devant elle. Après deux jours d’hésitation et malgré ses appréhensions, elle voulut la confronter. Elle prit soin de ne pas en parler à ses amis pour éviter de les exposer.

— Depuis le début de l’année, je suis témoin de faits que je ne saurais expliquer.

— Quels sont-ils ?

— Vous vous rappelez lorsque vous êtes intervenue durant ma discussion avec le responsable des réacteurs principaux ?

— Oui, vous évoquiez des alertes qui n’étaient pourtant pas consignées dans les journaux.

— Exactement. Il s’avère que j’ai pu les retrouver en cherchant plus en profondeur sur ma console de travail.

— Leur lecture vous a-t-elle appris de nouvelles choses ?

— Que Renaud, le propulseur numéro un, serait défaillant. Tout porte même à croire qu’il est détruit, car tous les relais sont en erreur à son sujet.

— Pourtant vous avez bien assisté à la séquence d’essai.

— Oui.

— Celle-ci s’est bien déroulée avec succès ?

— D’après les ordinateurs, oui.

— Je sens comme un doute dans votre voix, Claire.

Bien que la Planificatrice affichât une attitude d’apparence empathique et à l’écoute, Claire gardait en tête que celle-ci restait une intelligence artificielle. Lui cacher des choses était un exercice difficile, son système reposant notamment sur des siècles d’étude psychologique et comportementale.

— Je suis peut-être un peu trop empirique, mais je crains en ce moment de ne pouvoir accorder ma confiance sans avoir constaté au préalable.

— Dois-je comprendre que vous souhaiteriez observer par vous-même l’état du réacteur numéro un ?

— Oui.

— Pourquoi de tels doutes ?

— Parce que ce n’est pas la seule anomalie que j’ai remarquée depuis le début de l’année.

Le visage de la Planificatrice l’invita à poursuivre. L’avatar restait assis et reposait sa tête sur ses mains comme si elle suivait l’histoire de Claire avec passion.

— Pourquoi le volet du niveau 3 est-il fermé ?

— Pour des raisons de sécurité. Il ne s’ouvre que lorsqu’il y a assez de lumière. Nous sommes bien trop loin d’une étoile pour ça. Même Proxima Centauri, qui est désormais proche, ne suffirait pas. De plus, il faudrait modifier l’inclinaison du vaisseau.

— Pourquoi le statut du bouclier montre qu’il est rétracté, dans ce cas ?

La Planificatrice donna l’impression de réfléchir pendant une courte seconde.

— Je viens de vérifier, il indique bien « fermé ».

— C’est pour cela qu’un ciel holographique est projeté ?

— Cela aurait été oppressant sinon.

— Mais alors, pourquoi personne n’est au courant ? Pas même le personnel travaillant au niveau 3 lorsque je lui ai demandé ?

Ceci était un coup de bluff, Claire n’ayant vu personne durant son exploration. Elle posa cette question pour s’assurer que la Planificatrice n’aurait pas surveillé ses activités de recherche.

— Claire, n’avez-vous pas l’impression de vous focaliser sur un détail de faible importance ?

— Qu’insinuiez-vous ?

— Rien du tout. Je vous rappelle que mon rôle est de garantir le succès de la mission et votre bien-être. Néanmoins, je constate que vous n’avez pas été à votre rendez-vous mensuel de suivi médical et psychologique. Ces récents troubles n’en seraient-ils pas la cause ?

— Si vous supposez que ceci vient de mon imagination, avec tout mon respect, vous faites erreur, Planificatrice.

— Contrairement à ce que la vieille science-fiction nous a habitué, les intelligences artificielles comme moi-même savent reconnaître leurs fautes. Je ne m’appelle pas HAL-90001 si cela peut vous rassurer ! Y a-t-il quelque chose qui apaiserait vos soupçons ?

— J’aimerais rencontrer le Comité de Direction.

— Je regrette, mais il ne peut se permettre de se détourner de ses devoirs pour gérer des détails et des affaires courantes. Sans vouloir vous rabaisser.

— Dans ce cas, il n’a qu’à autoriser la sortie pour vérifier Renaud.

— Les sorties extravéhiculaires sont dangereuses et réservées aux situations le nécessitant. Un simple doute est insuffisant, Claire.

— Eh bien, que pouvez-vous me proposer alors ? Je suis prête à accepter mon erreur si tel est le cas.

La Planificatrice semblait de nouveau en pleine réflexion. Son visage s’illumina d’un grand sourire.

— Notre conversation a été entendue par le Comité de Direction.

Elle marqua une pause puis un appel visiophonique arriva. Le trait d’une femme asiatique aux cheveux gris et à la figure ridée apparut. Claire la reconnut, malgré son vieillissement, il s’agissait d’une des fondatrices de Colonie 7.

— Bonjour Claire. J’ai écouté avec attention votre discussion avec la Planificatrice. Je regrette de ne pouvoir vous rencontrer en personne, mais mon devoir m’oblige à rester au niveau 10.

— Bonjour professeure Yamaguchi. C’est un honneur de pouvoir échanger avec vous. Je m’excuse de vous avoir dérangée, mais j’avais besoin de réponses.

— Vous allez les avoir, vous qui veillez avec une telle attendant sur mes quatre enfants.

La professeure Yamaguchi était la créatrice des réacteurs principaux. Une image apparut à côté d’elle, il s’agissait d’une vue extérieure de Colonie 7. La vidéo montrait le propulseur couché le long de la paroi, numéroté « 1 ». La coque qui le recouvrait présentait les traces des coups de débris cosmiques qui le frappaient régulièrement. De simples dégâts superficiels comme tous les appareils spatiaux pouvaient endurer sans sourciller. Plusieurs plans se succédèrent, dépeignant l’immense moteur thermonucléaire au repos. Ses pinces massives le solidarisant à la structure, ses veines lumineuses parcourues d’un flux de particules vertes et bleues témoignant de l’alimentation énergétique, et les résidus de combustion à la sortie de ses larges tuyères rappelaient son bruyant passé.

— Ce petit garnement est bien là, comme vous pouvez le voir, commenta la vieille femme.

Ainsi que ses trois frères, comme le démontrèrent les autres caméras de surveillance externes.

— En effet professeure. Ces images sont en temps réel ?

— Oui, elles nous permettent de superviser les propulseurs.

— Pourquoi n’y avons-nous pas accès ?

— Nous avons exclu l’accès à l’observation extérieure pour éviter qu’elle ne détourne l’attention des ingénieurs de bord. La Planificatrice elle-même ne peut les consulter. Nous avions peur que cela ne devienne une source de distraction.

— Ce choix me surprend, osa Claire.

— Peut-être n’était-il pas le meilleur, je sais que tout le Comité ne le partage pas. Mais nos règles ont été écrites pour qu’elles soient respectées. Colonie 7 est une entreprise ambitieuse et extrêmement risquée. Elle s’accompagne forcément d’obligations et de lois qui peuvent parfois sembler injustes ou incomprises.

— Professeure Yamaguchi, ajouta la Planificatrice, je vous remercie d’être intervenue en dépit de votre précieux temps.

— Avec plaisir. Claire, j’espère avoir dissipé vos craintes. Rassurez-vous, Colonie 7 va très bien, et mes turbulents fils aussi.

— Merci, professeure.

L’image de la vieille femme disparut avec un ricanement rappelant une grand-mère qui plaisantait avec ses petits-enfants.

— Claire, peut-on estimer le malentendu comme envolé ? Avez-vous encore des doutes ?

L’ingénieure prit du temps pour réfléchir, considérant ce qu’elle venait de voir et la conversation avec Yamaguchi. Au bout d’une minute, elle formula sa réponse en souriant.

— Je pense que tout va bien, désormais, Planificatrice. Merci de m’avoir écoutée. Cette rencontre fut très instructive, j’espère qu’elle restera le plus longtemps possible dans ma mémoire.

L’hologramme de la Planificatrice lui rendit le même sourire et se dissipa.

Le soir, Claire consigna tout ce qu’elle apprit dans son journal. Le seul endroit où, malgré un perturbant horodatage tournant en boucle, elle savait que l’appareil conserverait ses souvenirs à l’abri. Contrairement à l’ensemble des ordinateurs, cet appareil était dépourvu de connexion.

Toute la conversation avec la Planificatrice fut retranscrite du mieux possible pour ne rien en perdre. Tout comme les éléments présentés par la vieille professeure. Néanmoins, juste avant les consignes de rappels, elle nota sa conclusion de l’entretien :

Si le ciel est un mensonge, la Planificatrice est le Pinocchio de notre époque. En pensant dissiper mes doutes, elle n’a fait que les confirmer. Tout sonnait faux dans son discours et dans la rencontre fortuite avec Yamaguchi.

Il va falloir que j’en parle avec Hector.

1HAL-9000 était l’IA du vaisseau Discovery dans le film de Stanley Kubrick 2001 A Space Odyssey, co-écrit avec Arthur C. Clarke. L’ordinateur se vantait de ne jamais faire d’erreur contrairement aux humains qu’il estimait faillibles.

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