9 — Remettre les pendules à l’heure

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Musique Heavy Metal à fond dans son appartement, Hector pianotait depuis des heures sur l’une des consoles informatiques installées sur son bureau.

Il était plus pâle que d’habitude et montrait des signes de stress. À côté de lui se trouvait son journal numérique, répétant comme celui de Claire des entrées en boucle sur le mois de janvier depuis… longtemps. Mais combien ? C’était justement ce dont il voulait s’assurer. Pour cela, il avait décidé de regarder dans les entrailles du système d’exploitation de la tablette. Il se rappelait avoir commencé à consigner ses activités quotidiennes dedans, il y avait cinq ou six ans. L’appareil était autonome, comme celui de Claire, et ne nécessitait pas de connexion à un réseau pour fonctionner.

Une fois branchée à l’un de ses ordinateurs sur un port universel, la liste des fichiers pouvait être consultée dessus. Hélas, il s’agissait d’un système très rudimentaire qui n’attribuait que très peu de métadonnées à ses enregistrements. Tout au plus un nom technique, un d’affichage, quelques étiquettes pour les retrouver, et un identifiant unique.

— C’est quand même chelou qu’il n’y ait pas de date de création ou modification dans ce système de fichier, s’exclama Hector.

Au fur et à mesure qu’il parcourait le contenu de l’appareil, il arriva sur des points de blocage.

« Accès refusé »

— Bah tiens !

Son exploration lui permit néanmoins d’atteindre la racine du système. Un élément lui mit la puce à l’oreille.

— Mais, ne s’agirait-il pas d’un identifiant de virtualisation ? Signifiant que l’OS [1] de cet appareil est une surcouche ! Y a moy !

Hector sauvegarda les données de son journal, car l’opération qu’il s’apprêtait à réaliser n’était pas sans risques. Il lança ensuite un logiciel qu’il avait créé il y a de ça quelques mois pour aspirer le contenu d’une machine dans une autre. Celui-ci se révéla fort utile lorsqu’une panne de plusieurs terminaux causée par une erreur immobilisa quelques systèmes secondaires de Colonie 7. Le réseau de ces appareils ayant été paralysé, le seul moyen fut d’intervenir unitairement sur cent trente ordinateurs. Il fallut résoudre la crise ce jour-là, mais le lendemain Hector écrivit un programme astucieux capable de cloner un terminal, tout en conservant les signatures de certifications qui leur étaient propres, celles-ci garantissant leur état nominal.

Au bout de quelques secondes, le contenu du stockage de sa tablette se retrouva sur sa station, dans un volume isolé, chiffré, et la machine elle-même mise hors ligne. Il prit toutes les précautions possibles pour éviter qu’une éventuelle sentinelle de sécurité du réseau ne vienne fourrer son nez dedans. Il se rassura en consultant l’original, ses manipulations n’avaient altéré en rien sa mémoire.

L’analyse schématique du système de fichier révéla la présence de deux gros blocs chiffrés.

Bingo ! Y a bien deux systèmes là-dessus ! Maintenant comment vais-je bien pouvoir te faire sortir de ton trou ?

Son logiciel étudia l’état des partitions. Hector se mit à rire nerveusement.

— Attends, ils sont sérieux là ? C’est que du 512 ? C’est pété depuis des centaines d’années ce truc ! Et j’ai même un copain qui va aider.

Hector démarra un autre programme d’intelligence artificielle. Moins rudimentaire que le précédent avec lequel il avait joué, cette version du vingt-deuxième siècle parvenait à travailler à des niveaux de parallélisme beaucoup plus avancés que son antique précurseur. Ce logiciel pouvait itérer d’une manière bien plus véloce en évaluant des milliards de possibilités en un seul cycle. Il avait hérité de décennies d’améliorations dans le développement d’IA pour rendre le plus autonome possible les vaisseaux spatiaux et simplifier leur pilotage. Bien qu’obsolète, ce modèle cognitif se révélait toujours performant dans des tâches nécessitant de traiter une quantité massive de données en peu de temps.

— Alors, on te démarre neuf potes, vous allez bosser ensemble. Cet engin est cent fois plus puissant que les centres de données dans lesquels vous tourniez à l’époque, ça devrait le faire…

Il tapota quelques dernières commandes puis appuya d’une façon plutôt théâtrale le bouton de validation sur l’écran.

— Allez, au boulot les enfants.

Sa station lança le traitement. Neuf instances d’intelligence artificielle s’envoyaient des défis entre elles pour itérer sur les possibilités de chiffrement du vieil algorithme de la tablette.

Au bout de quelques secondes, le ventilateur de refroidissement hurlait.

— Ça chauffe ! Dans tous les sens du terme !

Pendant que cette boucle infernale carburait sur sa machine, Hector tournait en rond sur sa chaise, mimant une guitare lors des solos de sa liste de musique.

Hallowed be thy name résonnait derrière lui.

— Bruce Dickinson, tu es mon dieu.

Environ une minute plus tard, la soufflerie qu’était devenu son ordinateur se calma. Le traitement avait terminé et la clé de chiffrement trouvée. Elle s’affichait sur son écran. Hector leva un sourcil et laissa échapper un fou rire nerveux.

« Admin!1234 »

— Fous-toi de ma gueule !

Malgré les siècles, la sécurité informatique restait toujours aussi défaillante dans les appareils grand public.

Il passa la clé pour monter la partition cachée, et celle-ci révéla son contenu. Il s’agissait bien d’un OS. L’exploration des données indiquait une distribution spécifique pour virtualiser un système plus rudimentaire. Mais ce qui l’intéressait surtout, c’étaient les journaux.

— Voyons voir, l’heure de dernière écriture…

« 2348-06-29 23:16:45 TFC+2 »

Hector regarda l’horloge de sa cabine.

« 12 janvier 2308 »

Son regard bascula nerveusement entre les deux affichages.

— Quarante ans d’écart ? Quarante putains d’années ? C’est quoi ce bordel ?!

Son visage se figea un instant.

— Il est détraqué ce truc, ou alors on aurait fait un siècle de voyage…

Comme Claire le lui avait montré, il nota toutes ses observations dans la tablette. Ses conclusions ne présentaient aucun sens ni aucune logique. Il s’arrêta et contempla longuement son écran inactif. Hector eut soudainement un déclic en voyant le logiciel d’IA attendant de nouvelles instructions.

Si je me fais chopper, je suis mort, pensa-t-il. Puis il martela le clavier holographique.

[1] OS (Operating System) : abbréviation pour système d’exploitation d’un ordinateur ou d’un appareil portable comme la tablette.

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