10 — Passager clandestin

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— Hé bien, Hector, il t’est arrivé quoi ? demanda un de ses collègues ce matin-là.

— La vache ! Tu as une tronche de cadavre ! ajouta un autre.

— Ouais, ouais… j’ai bricolé sur un projet perso et j’ai pas vu le temps passer. Je me suis couché à quatre heures.

Hector bâilla à s’en décrocher la mâchoire et se fit couler un café dans la salle de pause adjacente.

— 9 h 45, la patronne va te tuer, mec.

— Toujours avec tes vieux jeux vidéo ?

— Ou ta vieille IA de l’âge de pierre ?

— Vous moquez pas…

— Ou à écrire un poème pour ta chérie.

Hector manqua de recracher sa boisson et se sentit rougir.

— Ta gueule ! Vous vous faites des idées.

— C’est cela, oui. Tu penses qu’on a jamais vu comment tu la regardes ta copine blonde au réfectoire ?

Hector marmonna quelques inaudibles insultes à l’égard de ses collègues qui le chambraient pendant qu’il prenait son café. Ils furent interrompus par leur superviseuse qui leur ordonna de retourner au travail. Ce qu’ils firent promptement.

— Monsieur Romero, j’apprécierais que vous n’arriviez pas en retard à votre poste. Et que vous effectuiez un effort sur votre tenue.

Hector avait les cheveux en bataille et la chemise de son uniforme mal enfilée dans son pantalon. Il s’était habillé dans la précipitation.

— Pardon, madame…

— Les opérations de maintenance du système central commencent à dix heures, poursuivit-elle sèchement. J’espère ne pas avoir à vous le rappeler.

Il termina son café et jeta le gobelet dans le recycleur du synthétiseur. Feignant une quinte de toux, Hector laissa s’échapper un qualificatif fort peu honorable envers sa cheffe.

Le deuxième lundi du mois était le jour où son équipe effectuait l’entretien de l’ordinateur principal.

L’informatique de Colonie 7 était avant tout décentralisée et distribuée. Tous à l’exception du centre de données primaire. Celui-ci hébergeait les systèmes les plus critiques et vitaux du vaisseau, y compris les processeurs cognitifs de la Planificatrice. Bien que concentré d’un point de vue réseau, cet ensemble restait éclaté et redondé en plusieurs exemplaires répartis à différents emplacements. Ces super calculateurs étaient répliqués en trois unités sur trois niveaux. Cela rendait la Planificatrice et les environnements qu’elle pilotait extrêmement résilients aux pannes. Leur maintenance se voyait aussi facilitée, car l’équipe pouvait intervenir sur une copie sans risquer d’impacter les autres.

— Début du processus, annonça la superviseuse.

— Déconnexion du Central numéro deux en cours.

L’équipe attendit que l’opérateur valide la fin de l’action. Celle-ci avait pour but de sortir cette zone de réplication de la ferme afin de l’isoler et pratiquer dessus en toute sécurité.

— OK.

Hector n’anticipait que ce signal pour poursuivre. Immédiatement, il se connecta à la console de supervision du système. Il s’agissait toujours d’une activité à risque, car le service informatique avait désormais la mainmise sur celui-ci. En temps normal, ses capacités d’intervention étaient limitées. L’ensemble disposait de mécaniques d’autoréparation en cas d’anomalie. Ces plages de maintenance étaient là pour diagnostiquer le réseau à froid et s’assurer que toutes ces sécurités fonctionnaient au mieux.

— Monsieur Romero ?

— L’envoi des outils de détection est en cours. J’ai dû vider les espaces tampons, le réseau ramait. Cela ne va pas lui faire de mal, et on y gagnera quelques…

— Dites-nous quand c’est terminé, interrompit la responsable.

Hector leva les yeux au plafond.

— Transfert réussi, confirma-t-il.

— Diffusion des systèmes de diagnostic en cours, annonça une opératrice.

Sur un écran central, une batterie d’indicateurs passait du jaune au vert au fur et à mesure que ces utilitaires se répandaient dans les serveurs. Pour s’assurer que Colonie 7 ne subisse pas d’avarie causée par un changement non maîtrisé, il était impossible de déployer ce genre de logiciel sur le système central en fonctionnement. Celui-ci montait tous ses programmes en lecture seule et contrôlait leur intégrité avant de les lancer. Une mise à jour de ceux-ci ne pouvait être diffusée qu’après avoir enduré une phase de qualification intensive et exhaustive.

Un petit sourire se dessina sur la barbe rousse d’Hector qu’il essaya de masquer aussitôt lorsqu’une des applications passa au vert.

Au boulot, mon toutou, pensa-t-il.

— Diagnostic en cours, durée estimée : deux heures.

— Très bien, vous pouvez poursuivre d’autres activités. Équipe 2, gardez la surveillance de l’opération.

Hector consulta quelques journaux sur sa console. Tout allait bien, les traitements de maintenance s’exécutaient conformément à leurs instructions. Il bâilla de nouveau à cause de sa fatigue et décida d’aller reprendre un café.

Dans la salle de pause, il reçut un message sur son bracelet. Un message qui le mit en joie.

Claire : RDV 13 h salon 22 à l’agora. OK pour toi ?

Malgré le cerveau encore embrumé par sa courte nuit, il pensait savoir pourquoi ce rendez-vous particulier.

Hector : OK.

Il entendit son nom, un de ses collègues l’appelait.

Deux heures plus tard, la procédure de maintenance était achevée. Le système central numéro 2 redémarra en configuration de service puis reprit sa place dans la ferme. L’équipe confirma son retour en ligne. Hector quitta son bureau lorsque la superviseuse leur donna l’autorisation.

— Ça va, Hector ? Tu as une sale mine, lui fit remarquer Claire.

— Pas beaucoup dormi… et ma connasse de cheffe m’est tombé dessus parce que je suis arrivé à la bourre.

— Il faut croire que les responsables sur Colonie 7 sont recrutés comme ça…

— Ça me fait plaisir de te voir, ajouta-t-il avec un grand sourire.

— Tu dis ça comme si on ne s’était pas croisé depuis des années. Parfois je me demande si tu ne perds pas le fil du temps avec tes loisirs du passé, Hector !

Il ricana nerveusement et sentit son visage s’empourprer.

— Tu voulais qu’on se voie pour quelque chose en particulier ? demanda-t-il.

— Oui, évidemment, notre petite activité du moment. Tu comprends de quoi je parle ?

— Euh…

— As-tu lu ton journal ce matin ?

— Je me suis réveillé en retard, j’ai bricolé toute la nuit. Et pourquoi devrais-je le lire ?

Il repensa aux messages qu’il s’adressait à lui-même dedans, essayant de trouver la meilleure façon de déclarer sa flamme à son amie. Outre le courage, il lui fallait le moment opportun pour ça. Ce qui s’avérait être un défi.

— Ah… tu as donc oublié.

— Oublié quoi ?

Hector s’inquiéta, il avait peur que Claire ne soit fâchée contre lui.

— Pas grave, je voulais te partager mes avancements, mais si tu n’as pas lu ton journal ce matin tu ne vas rien comprendre.

Il était effectivement perdu par cette conversation, comme s’il avait manqué des épisodes.

— Je… je suis désolé de te décevoir, dit-il en baissant la tête et la posant sur ses bras croisés sur la table.

— Allons, ne te mets pas dans cet état ! Ce n’est pas grave !

Hector ne répondit pas.

— Tu me sembles un peu ailleurs, quelque chose te tracasse ? J’ai l’impression que tu…

Claire fut interrompue par une petite notification du bracelet d’Hector.

— Oh ! Déjà ! s’exclama-t-il.

— Qu’est-ce que c’est ?

— On a fait la maintenance ce matin d’un des systèmes centraux. Et un des programmes que j’ai modifiés a été déployé. Cette notification indique qu’il a fini sa première phase d’analyse.

— Pour faire quoi ?

— Je ne sais plus, j’avais le sentiment que je devais impérativement le faire. Comme si on m’en avait donné l’ordre.

Claire écoutait, mais ne comprenait pas vraiment le discours confus d’Hector. L’amnésie qui les frappait chaque matin au sujet de leur enquête commune rendait la discussion difficile quand un des interlocuteurs n’avait pas lu son pense-bête. Néanmoins, Hector semblait se rappeler inconsciemment des activités en apparence effacées. Claire se demanda si le processus qui provoquait cette perte de mémoire n’aurait pas été interrompu par la nuit écourtée d’Hector.

— Claire, si tu veux tu peux passer chez moi ce soir… pour te montrer justement ce que va faire ce logiciel.

— Très bien, on fait comme ça. Pense à relire ton journal s’il te plaît, ça sera plus simple.

Elle se leva, lui adressa une amicale tape sur l’épaule puis s’en alla. Hector la regardait partir avec une certaine mélancolie.

Je suis trop nul, j’ai utilisé ce programme comme une excuse, mais je ne me rappelle même pas ce qu’il fait.

Une nouvelle notification le sortit de ses sentiments perturbés. Un contact avec la photo d’un petit chien lui envoyait quelques messages plutôt cryptiques.

« J’ai fini ma promenade. Tu as une baballe à me lancer ? »

Hector se demanda pourquoi il avait écrit ce truc bizarre. Et surtout, pourquoi l’avait-il déployé en toute clandestinité sur l’une des répliques de l’ordinateur central de Colonie 7 ?

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