12 — La gravité du moment

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— Tu n’y penses pas !

Claire était pourtant bien déterminée lorsqu’elle l’annonça à Hector. L’unique moyen d’en apprendre plus sur ce qui se tramait à bord de Colonie 7, c’était de rencontrer le Comité de Direction. Et donc d’accéder au niveau 10.

— Ce n’est pas possible, enfin ! Tu sais bien que seul le haut management du vaisseau peut monter là-haut. Et de toute façon, ils ne descendent jamais !

— Hector, tu l’as bien vu avec ce que ton programme a trouvé. Avec ce qu'on a découvert. Tout est faux, le temps est faux, le ciel est faux, même la gravité est faussée !

— Hein ? Comment ça ? La gravité est fausse ? C’est évident, non ? Elle est produite par la rotation du vaisseau sur l’axe central.

— J’ai bien dit faussée, pas fausse ! J’ai repéré hier une entourloupe.

Hector resta pantois face à cette information. Le seul fond sonore qui vint perturber ce calme fut le solo d’une guitare électrique. Il avait laissé sa liste de musique, craignant de se sentir écouté. Claire demanda à Hector de lui amener le tableau holographique sur lequel il dessinait tout un tas de schémas techniques pour ses bricolages.

— Je peux effacer ?

— Oui, pas de soucis.

Du bout du doigt, elle modélisa un long tube qu’elle découpa en plusieurs niveaux d’une façon sommaire.

— Ça, c’est Colonie 7. Jusqu’ici, tout va bien.

Yep.

Elle ajouta des flèches indiquant la rotation du vaisseau.

— Pour reproduire la gravité terrestre, nous tournons à un peu moins de cinq fois par minute.

Hector suivait la démonstration avec attention.

— Nous sommes ici, pointa Claire

Elle dessina un cercle situé à environ soixante pour cent de la hauteur du schéma qu’elle intitula « niveau résidentiel 7 ».

— Et si je ne m’abuse, ton immeuble est là. Et ton appartement est aligné dans ce sens-là.

Claire nota un carré avec quelques formes grossières indiquant le lit et le bureau pour localiser l’orientation par rapport à la paroi du vaisseau.

— Jusqu’ici, je pense que ça va, commenta l’homme perplexe.

— Si je te dis qu’il y a une force d’attraction qui part dans cette direction, tu me réponds quoi ?

Elle changea de couleur et traça une flèche descendant vers le bas selon le plan du tableau.

— Euh… pardon ?

— C’est la force centrifuge provoquée par la rotation de Colonie 7 qui nous plaque aux parois, son sol de notre point de vue. Comment ça se ferait qu’une seconde pesanteur soit détectée ?

— Euh, je ne sais pas… les moteurs qui poussent ?

— Non. Ils ne fonctionnent pas en dehors de corrections de trajectoire, le vaisseau avance à l’inertie. Et pour sentir une force aussi constante, il faudrait qu’ils accélèrent en continu.

— Attends, tu ne veux quand même pas dire qu’on subirait une gravité externe ? Quel genre ?

— Aucune idée de l’origine, mais c’est extrêmement faible. J’ai eu l’occasion d’analyser des métriques issues des gyroscopes et accéléromètres qui contrôlent la rotation. J’ai réussi à les avoir en baratinant un de mes collègues en lui faisant croire que j’en avais besoin pour évaluer les paramètres des moteurs principaux. En soi, ce n’était pas un mensonge, c’est un véritable cas d’usage.

Hector eut un rire nerveux en constatant la fourberie de sa bien-aimée.

— C’est à peine perceptible, presque noyé dans le bruit des données, mais le système compense une très faible pesanteur externe. Environ 1/200 e de la nôtre qui équivaut à celle de la Terre.

— On serait donc proches d’une grosse lune, d’une planète, ou encore d’un trou noir ?

— Au vu du sens de l’attraction, la seule hypothèse crédible qui me viendrait en tête est que nous serions posés comme une tour sur une surface.

— Mais comment on tourne ? Il doit creuser le sol avec son cul, le vaisseau ! C’est du délire !

Cette remarque amusa Claire.

— En fait, si, on pourrait être posés comme ça. C’est théoriquement envisageable.

Elle pointa la base de Colonie 7 sur le plan fait à main levée.

— Le bloc propulseur arrière est fixe, il est relié à l’axe central, pas au reste. Il ne tourne pas et sert donc de socle à un énorme manège de cinq kilomètres de haut.

Hector avait le vertige. Il reprit ses esprits.

— Et donc tu veux qu’on aille là-haut, dit-il en montrant le sommet de la tour, pour demander des comptes au Comité de Direction ? Et ils vont nous répondre quoi ? « Hé salut ! Oui bah en fait on a le cul sur un astéroïde, car on est en panne sèche » ?

Claire éclata de rire, Hector exprimait sa peur et sa nervosité au travers de traits d’humour de ce genre.

— Si c’est la raison, pourquoi ne pas le dire haut et fort ? reprit Claire. Pourquoi le cacher ? Mais ça reste une hypothèse. Moi, ce que je veux, c’est de savoir pourquoi on nous fait vivre un mois de janvier en boucle. Pourquoi un mec qui s’est suicidé est revenu comme si de rien n’était. Pourquoi oublie-t-on toujours ces détails ? Cela ne te ronge pas de l’ignorer, Hector ?

Hector regarda Claire avec un air inquiet et dans un long silence. Jusqu’ici, il avait réussi à agir dans la clandestinité et cela avait même un petit côté excitant pour lui. Comme les différents défis qu’il se lançait pour programmer quelque chose ou résoudre un problème. Mais là, le risque de s’exposer était trop grand. Claire était déterminée à le faire, et il ne voulait pas qu’elle se mette seule en danger. Elle nota que le regard de son ami témoignait d’une forme de mélancolie qu’elle n’avait jamais remarquée auparavant.

Elle est si forte, pensa-t-il.

— Je ne pourrai pas y arriver par moi-même, Hector. On va devoir franchir la sécurité pour accéder au niveau 10 et je sais que tu en as les compétences.

— Ben… je… j’ai peur.

— Moi aussi, répondit-elle en lui prenant la main.

Une bouffée de chaleur envahit le torse d’Hector.

— Qu’est-ce qu’il se passera si on se fait chopper ? J’ai aussi peur de te perdre, ajouta-t-il, le visage écarlate.

Claire le sentait trembler.

— Que vont-ils nous faire ? Nous jeter par-dessus bord ? Dans l’espace ? Nous tuer discrètement ? Notre mort va forcément attirer l’attention.

— Ou pas, tu sais bien qu’on subit quotidiennement une amnésie sélective.

— Je ne comprends pas comment ils parviennent à faire ça. Mais quoi qu’il en soit, si nous avons réussi à nous en libérer partiellement, d’autres le pourront.

— Mais s’ils nous butent, tu crois qu’ils vont nous faire revenir aussi ? Comme Machin ? En mode « j’étais mort, mais ça va mieux depuis » ?

Hector laissa s’échapper un rire nerveux après cette seconde blague.

— Peut-être aurons-nous l’explication là-haut également.

— J’ai peur que tu fondes de trop gros espoirs. Je ne peux m’empêcher de douter.

— Je pense que douter est ce qui nous permet d’avancer et continuer de chercher, Hector. Si nous n’avions que des certitudes, quel serait le sens de notre existence ? De cette aventure coloniale dans l’espace ?

Il écarquilla ses yeux, comme venant de recevoir une révélation.

— Euh… c’est pas faux.

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