13 — L’ascension

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Après plusieurs jours à fomenter leur plan, tout en devant déjouer l’amnésie quotidienne, Claire et Hector lancèrent leur opération d’infiltration du niveau 10.

Le petit espion installé par ce dernier dans l’ordinateur central de Colonie 7 continuait d’œuvrer en toute clandestinité. Il envoyait des messages cryptiques à Hector. L’idée d’avoir créé Poochi en lui donnant le caractère d’un chien virtuel lui était venue pour brouiller les pistes. Une personne en dehors de la confidence aurait pu croire à un simple jeu vidéo.

Hélas, malgré toute la bonne volonté de l’IA canine, elle ne parvint pas à dénicher de plans des deux niveaux les plus élevés du vaisseau. C’était comme si cette information n’existait pas, ou alors stockée dans des serveurs hors du réseau standard. Les seules données qu’ils purent obtenir furent celles du 9, là où travaillait Hector. Il observa, sans jamais y avoir prêté attention auparavant, que le chemin des turboascenseurs n’allait pas au-delà de cet étage.

Les turboascenseurs étaient un ensemble de cabines de transport se déplaçant à haute vitesse au sein de Colonie 7. Ils permettaient de joindre les différents niveaux sans ressentir les kilomètres. Il s’agissait de capsules d’une dizaine de mètres avec une capacité recommandée de six personnes se mouvant dans ce réseau de conduits. Leur utilisation se voyait aussi simple que pratique : un appel depuis la station amenait la plus proche. On lui donnait sa destination, puis l’algorithme calculait le trajet idéal en fonction des autres unités en transit et les diverses dessertes à réaliser. En apparence, seul un tube ouvrait l’accès à une cabine. En réalité, il s’agissait d’un réseau de cinq canaux qui tissait un maillage autour de l’axe central de Colonie 7. Il profitait de la faible pesanteur du milieu pour circuler rapidement.

Grâce à Poochi, Hector avait pu récupérer le plan des transports. Son étude approfondie révéla que le neuvième étage n’était pas le terminus du métro interne. Un sixième circuit plus court, manifestement tenu secret, partait du niveau résidentiel 7 vers le 9 et 10. Claire estima que cette voie fut dissimulée pour permettre aux membres du Comité de Direction d’évoluer au sein du vaisseau en toute discrétion. La confidentialité de leurs actions faisait partie de la liste de questions qu’ils avaient bien l’intention de leur poser.

Malgré l’étude qui leur prit du temps, il fallait se dépêcher pour agir. Claire craignait la fin du mois, comme si tout allait se réinitialiser et qu’ils perdraient tout. Cette enquête et les révélations qui en découleraient, dans l’espoir qu’il y en ait, devaient se terminer avant la date fatidique du 31 janvier.

Le vendredi 17 janvier 2308, Claire et Hector lancèrent ainsi leur opération d’ascension vers le niveau 10. D’après le plan du réseau, l’accès serait situé au détour d’un dédale de couloirs qui amenait vers une zone de stockage de l’étage résidentiel 7. Hector avait fait du repérage avant et manifesta un sentiment d’incompréhension. Il n’y avait rien là-bas, c’était un cul-de-sac. Mais du point de vue de Claire, cela n’avait pas de sens. Colonie 7 ne possédait pas d’espace perdu, donc ce couloir devait mener quelque part.

Vers vingt-deux heures, ils arrivèrent à l’endroit fatidique. Ce corridor gris et terne, avec des éclairages moins chatoyants que le reste du quartier résidentiel, rappelait qu’ils se trouvaient à un emplacement purement utilitaire. Des trappes de ventilations apparentes ainsi que des câbles brisaient la douce illusion de ce foyer propulsé parmi les étoiles. Les caisses de matériel laissées négligemment ici confirmaient qu’il n’y avait rien à voir.

En tous cas, c’est ce que se dirent Claire et Hector en arrivant là. Tout portait à croire qu’ils tombèrent dans un cul-de-sac dénué d’intérêt. Mais les plans dénichés par Poochi étaient sans appel : il se trouvait bien quelque chose à cet endroit.

Le duo d’enquêteurs amateurs observa chaque recoin du couloir, chaque trappe, chaque accès de maintenance même le plus insignifiant. Un interrupteur à l’ancienne commandait les panneaux d’éclairage. Il s’agissait probablement d’un commutateur de test, car la luminosité restait régie par le système environnemental central. Hector tira nonchalamment sur un des câbles qui pendaient, comme si quelqu’un avait commencé une réparation qu’il n’eut jamais achevée. Le fil termina dans ses mains, il n’était relié à rien. C’était une vieille fibre holographique à seize broches bien désuète.

— J’ai l’impression d’être dans un musée, s’étonna Hector face à la soudaine vétusté des équipements.

— Peut-être une section de maintenance datant de la construction ? supposa Claire.

— J’sais pas, mais c’est chelou.

— Hector, regarde ça.

Claire avait découvert sous une plaque amovible un panneau de commandes. Lui aussi venait d’une autre époque. L’ensemble des consoles de contrôle de Colonie 7 était fait d’écrans tactiles ou même holographiques. Pour ces enfants nés à bord, c’était la norme depuis toujours.

— On dirait un port de connexion universel, non ? demanda Claire.

Hector regarda de plus près.

— Non, c’est une ancienne version. Ce n’est pas la première fois que j’en vois un, les plus gros ordinateurs ici en sont équipés. J’ai un adaptateur sur le mien, laisse-moi jeter un œil.

Il brancha son portable à l’interface, sans réellement savoir à quoi s’attendre. En apparence, rien, aucune réaction du système d’exploitation alors qu’une lumière passa au vert à côté de la prise.

Soudain, une notification arriva sur son bracelet.

« Woof ! Mets un collier antipuce, c’est plein de sales bestioles là-dedans ! J’ai mordu pour les bloquer ! »

— Merde ! s’écria Hector en déconnectant le câble.

— Qu’y a-t-il ?

— Poochi m’a alerté qu’il doit y avoir une sécurité contre les appareils non reconnus. Il est en train de s’en occuper.

Une nouvelle notification arriva.

« Woof ! J’ai envie de jouer dans le parc ! »

Hector rebrancha son poste. Une fenêtre titrée « Management » apparut à l’écran avec pour seul contenu une barre de progression.

— Mmh, je vois. C’est une séquence d’authentification à plusieurs facteurs. Oh, mais attends…

Il présenta son bracelet à proximité du panneau de commandes. Un petit gloussement électronique s’échappa de l’appareil et une autre lumière passa au vert. Devant eux, une porte parfaitement camouflée dans le mur s’ouvrit en coulissant.

Claire et Hector se regardèrent, inquiets. Il lui tendit la main comme cherchant le réconfort d’une personne plus forte d’esprit que lui. Lorsqu’elle s’en saisit, la même chaleur que précédemment envahit le torse d’Hector. Une douce et agréable sensation pour celui qui n’avait jamais été capable d’avouer ses sentiments à sa meilleure amie.

Ils entrèrent ensemble dans un nouveau couloir sombre qu’il s’éclaira en leur présence. La porte derrière eux se referma aussi subitement qu’elle s’était ouverte. Le duo se sentit piégé et n’avait d’autre choix que d’aller de l’avant. En réalité, elle n’était pas verrouillée, mais leur instinct les poussa à la considérer ainsi.

Quelques mètres plus loin, un arrêt de turboascenseur se présenta à eux. La cabine ne semblait pas avoir bougé depuis très longtemps à en croire la poussière qui s’y était accumulée. À l’approche d’Hector et Claire, son éclairage intérieur s’activa, comme s’ils étaient attendus. Sans cérémonie, les portes coulissantes s’ouvrirent. Ils se regardèrent dans les yeux, chacun manifestant une grande appréhension à l’idée de pénétrer dans l’inconnu. Ensemble, ils firent chacun un pas qui les amena dans la capsule.

— Bienvenue à bord. Veuillez formuler votre destination, annonça la voix de la machine.

— Euh… quelles sont les destinations possibles ? demanda Claire.

— Erreur. Habilitation non reconnue.

— Pourquoi ne veux-tu pas nous répondre ? ajouta Hector.

— Destinations disponibles : Niveau 7, quartier résidentiel bloc 3, emplacement actuel. Niveau 10, secteur 2, ingénierie, systèmes principaux. Niveau 10, secteur 5, direction. Niveau 10, secteur 9, cartographie, communications. Niveau 11…

La voix synthétique marqua une courte pause.

— Erreur, niveau 11 indisponible.

— Hector, c’est bizarre, elle semble t’avoir écouté.

— Euh… oui. Vraiment chelou.

— « Chelou », en effet. Apparemment seul le niveau 10 est accessible, où devrions-nous aller ?

— Peut-être les traverser dans l’ordre ?

— D’accord.

— Niveau 10, ingénierie. S’il te plaît, commanda Hector à la machine.

— Destination validée, départ dans une minute.

Le décompte marqua un léger suspense qui laissa le temps à Claire et Hector de se demander s’ils devaient continuer. Ils se regardaient toujours droit dans les yeux, même si ce dernier fuyait par moment en se sentant rougir.

— Hector, t’es tout bizarre ? Ça ne va pas ? s’inquiéta Claire.

— Euh… si, si, rassure-toi, j’ai… j’ai peur de ce qu’on va trouver là-haut.

— Moi aussi.

— Départ imminent.

Les portes de la capsule se refermèrent. Habituellement, le silence des turboascenseurs était considéré comme un confort. Ici, ce mouvement rapide, presque imperceptible, et sans un bruit au travers de conduits les amenant vers l’inconnu leur évoqua plutôt un sentiment d’oppression.

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