18 — Maison de fantômes

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Claire et Hector avaient quitté le niveau 10 et retrouvé leurs quartiers depuis deux jours. Leur regard quant à leur habitat avait changé. Les mensonges de leur existence, ce cycle infini maintenu en état par une intelligence artificielle incapable de trouver une autre issue, le fait qu’ils soient si près, mais si éloignés de leur objectif, tout ceci les rongeait.

Cette enquête avait fini par les rapprocher lorsque Hector déclara sa flamme à Claire sans le vouloir. Depuis leur retour, ils n’avaient pas quitté l’appartement de ce dernier. Ils contemplaient le plafond, allongés ensemble sur le lit. Pour une fois, pas de musique Heavy Metal qui rythmait habituellement ce logement d’homme célibataire. Le silence restait de mise et seule leur respiration mutuelle pouvait s’entendre.

La Planificatrice avait décidé de ne pas effacer leurs souvenirs de cette aventure. Dans un effort d’autocritique et de remédiation de ses actions, elle détermina qu’il fallait laisser aux humains le choix de poursuivre la mission, malgré les risques, ou de garder le statu quo.

Claire caressait les cheveux d’Hector et réfléchissait longuement à la suite à donner. S’ils lançaient le programme Colonie, ils allaient dans tous les cas disparaître et céder leur place à leurs vraies identités. S’ils continuaient de rester dans la boucle, ils finiraient par arriver au 31 janvier et être réinitialisés pour un nouveau cycle. Et probablement perdre tout ceci. Sauf si la Planificatrice décidait de prendre un risque supplémentaire, mais cela ne semblait pas être le cas. S’ils reprenaient leur vie originale, elle n’avait aucune idée de qui était cette journaliste qui couvrait le voyage.

Hector non plus ne savait pas quoi penser. Il ignorait tout de ce « commandant Romero », alors que la Planificatrice leur affirmait qu’il s’agissait des mêmes personnes. Vivait-il avec quelqu’un ? Était-ce lui aussi un amoureux timide, incapable de dire ses sentiments ? Avait-il des amis ? Quel quotidien menait-il à bord ? Toutes ces questions tournaient en boucle dans sa tête. Leur existence était fausse, inventée et employée uniquement à des fins utilitaires. Ils n’étaient que dans des pantins entre les mains d’une IA conçue pour faire fonctionner la société de Colonie 7. Mais si le programme de colonisation échouait, ils allaient tous mourir. Pour de vrai, cette fois.

— Tu en penses quoi, Hector ?

— J’en pense que je ne veux pas te perdre. Mais j’aurais aimé qu’on finisse ensemble dans une meilleure situation. Je n’ai pas envie de rester une marionnette.

Claire se retourna pour s’allonger sur son flanc, à côté d’Hector. Elle lui touchait le torse du bout du doigt. Il lui caressa la joue en retour.

— Moi non plus.

— C’est trop compliqué pour ma petite tête.

— Allons, commandant, ne te laisse pas abattre.

— Ne m’appelle pas comme ça, ce n’est pas moi, ce type est mort.

Le ton monocorde avec lequel il parlait inquiétait Claire. Elle était loin de pouvoir se vanter d’avoir encaissé une pareille révélation, mais elle arrivait à aller de l’avant. Hector, quant à lui, semblait se replier sur lui-même et se morfondre. Elle l’avait à peine vu sourire depuis leur expédition au niveau 10, comme s’il avait perdu toute envie de vivre. Cela ne présageait rien de bon s’il finissait par tomber en dépression. Cela lui rappela la tragédie de Patrick Romard, et elle ne voulait pas qu’une telle chose se répète.

Le premier jour, ils n’étaient pas sortis de l’appartement d’Hector. Ils ne le quittèrent que pour aller dîner, le soir. À ce moment-là, ils revirent Sabrina qui s’inquiétait de ne plus avoir de nouvelles. Elle leur avait envoyé des messages, mais ils restèrent sans réponse. Le duo ne sachant pas lui-même comment traiter toutes ces nouvelles informations, il lui était donc impossible de les partager à autrui.

Les trois amis avaient trouvé une table à l’extérieur du réfectoire et profitèrent de l’ambiance nocturne du secteur résidentiel. La luminosité émise par l’immense soleil artificiel au-dessus d’eux s’était atténuée pour simuler le crépuscule. Ce dispositif, au moins, ne se cachait pas d’être faux. Le ciel étoilé visible sur les verrières au loin l’était toujours autant.

— Dites donc, vous êtes bien silencieux ce soir. Quelque chose ne va pas ? s’inquiéta Sabrina.

— Ah, euh pas spécialement, répondit Claire, surprise. On a passé la journée ensemble avec Hector, pas grand-chose de plus.

— Je trouve qu’il y a quelque chose de changé chez vous.

Le couple se regarda mutuellement d’un air gêné.

— Ne me dites pas que… ? Ça y est ? Enfin ?

— Oui, j’ai réussi à lui dire, Sabrina, confirma Hector en prenant la main de Claire.

— Je comprends mieux maintenant pourquoi je ne vous ai pas vus depuis plusieurs jours, bande de cachotiers. Vous étiez bien tranquilles à faire des galipettes, n’est-ce pas ?

Hector éclata de rire face à la bonne humeur contagieuse de Sabrina. Claire apprécia cette sortie, car elle pouvait enfin se changer les idées.

— Allez, raconte ! Comment as-tu réussi à te déclarer ?

Claire regarda Hector droit dans les yeux pour lui faire comprendre de ne rien dire de compromettant.

— Euh… ben on travaillait ensemble sur un projet, je lui montrais les bricolages que j’avais en cours, et plus tard j’ai un de mes titres favoris qui est sorti de ma liste de lecture. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai su que c’était le bon moment. Donc je me suis jeté à l’eau.

Claire écoutait ce mensonge en souriant. Un de plus, ils n’étaient plus à ça près.

— Comment tu arrives à écouter ses trucs bruyants, Claire ? C’est que du boucan de barbare du précédent millénaire !

— Je ne mentirais pas en disant que j’aime tout, mais certaines chansons sont des balades vraiment magnifiques.

— Les plus belles balades romantiques ou sentimentales ont été écrites et jouées par les groupes de Heavy Metal, ajouta Hector avec l’index pointé comme un professeur.

Sabrina se mit à rire une nouvelle fois.

Claire et Hector regardaient régulièrement les habitants de Colonie 7 vaquer à leurs occupations. Chacun vivait sa petite vie insouciante, sans penser que chaque nuit il repartait d’un état initial en gardant quelques souvenirs nécessaires. Sans savoir que chaque mois, il allait retourner au point de départ. Sans savoir qu’il se trouvait à seulement quelques milliers de kilomètres de l’objectif de la mission depuis des décennies.

Après le dîner, Claire et Hector allèrent se balader dans le parc du quartier résidentiel. Ils restèrent longuement assis sur un banc, à regarder les turboascenseurs aller et venir depuis leurs interminables tubes vers le nœud central du vaisseau. La fausse nuit avait fini par tomber et les éclairages tout autant artificiels que ceux de jour simulaient une ambiance nocturne aux couleurs chaudes. Le couple se tenait blotti l’un contre l’autre, pensif.

Ils repartirent un peu plus tard main dans la main et marchèrent sans réel but dans les rues tout en admirant leur habitat. Ils avaient presque l’air de touristes en vacance, explorant une ville ou un pays. Tout leur paraissait si différent tout en étant familier. L’allée était la même, les immeubles à l’architecture répétitive n’avaient pas changé, les quelques robots de maintenance déambulant ici pour accomplir quelques basses besognes avaient le même visage inexpressif que ceux du niveau 10. Par contre, ils ne saluaient pas à l’approche du duo.

Cette promenade leur confirma un des autres mensonges révélés par la Planificatrice. Peu importe où ils regardaient, pas d’enfant dans les parcs ni dans les rues. Des couples se baladaient comme eux, main dans la main, mais pas de gamins. C’était donc vrai, le vaisseau générationnel n’en était pas un. Plus ils croisaient de gens qui les saluaient, des têtes familières, certaines avec des noms, plus ils apparaissaient transparents pour eux. Ils vivaient dans une maison remplie de fantômes, de souvenirs.

De retour à l’appartement d’Hector, Claire plaqua ce dernier contre la porte coulissante une fois celle-ci refermée. Elle l’embrassa comme si c’était leur ultime jour avant la fin du monde. Le visage de son amoureux trahissait la surprise face à ce comportement inattendu, il ne l’avait jamais vue ainsi. Pris dans le jeu, ils se déshabillèrent l’un l’autre, explorèrent leurs corps, puis se révélèrent pour la première fois comme un couple. Le lit d’Hector, qui n’avait connu que ce dernier et ses plaisirs solitaires, se trouva soudainement une nouvelle utilité plus mouvementée. Après un début plutôt gauche, tels des adolescents découvrant maladroitement la chose, leur instinct endormi se réveilla puis l’expérience gagna en intensité et complicité. Le meuble grinçait à rythme égal de leurs ébats jusqu’à ce que la tempête passe et que le seul bruit qui reste soit le couple haletant.

Le lendemain, ils se prélassaient sur le lit, Claire reposant sa tête sur le torse modérément poilu d’Hector, ce dernier lui caressant le dos. Ils n’avaient plus la même mine décrépie que depuis l’aventure dans le niveau 10. Leur visage témoignait au contraire d’un sentiment apaisé, mais aussi d’une forme de détermination.

Ils se regardèrent dans les yeux puis acquiescèrent tacitement. Claire se saisit de son bracelet pour le remettre sur son poignet et envoya un message à la Planificatrice.

« Comment lance-t-on le programme Colonie ? »

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