Lettre I
Lettre du 26 Juin 1916
Centre hospitalier
Paris
Chere Madeleine,
C'est horrible, cela fait déjà 6 mois que je suis engagé sur le front, et je n'ai pas eu un seul jour de repos, pas un. Je ne tenais plus. Il y a peu un obus à éclaté à moins de 10 mètres de nous, on a perdu 10 Hommes, dont Paul. Le camarade dont je t'ai parlé dans ma dernière lettre.
Quand à moi j'ai été projeté en arrière avec une telle puissance que mon casque est resté coincé dans ce mélange de boue et de déjections qu'on appelle tranchée. Il y est encore. J'ai été transporté en troisième ligne, les médecins étaient là, mais il n'y avait plus de place dans la bergerie qui sert d’infirmerie. Ils m'ont enroulé un bandeau autour de la tête, mais ce n'était rien comparé à ce que j'ai vécu là-bas, en première ligne.
Dans cette bergerie reconvertie il y a des petits bobos et des blessures à vif, des cervelles à moitié arrachées par des projections, des os visibles à travers des plaies béantes d'où jaillit un liquide rouge foncé qui recouvre le sol. Les soldats saignent, agonisent, attendent leur tour à ce qu'ils appellent ''la boucherie'', une salle d'opération de fortune constituée d'une porte comme d'une table et d'outils de boucher comme instruments de torture.
Et il y a l'odeur, les cris, mais je ne vais pas m'y attarder, tout cela je te l'ai déjà décris mille fois dans mes lettres. Et parmi cette boucherie, il y a ce qui m'horripile le plus, des séquelles irréparables, des mâchoires déboîtées ou complètement inexistantes, volatilisées quelque part entre les bouts de chair ennemis et les couchages, tout cela je te l'ai déjà décrit mille fois.
Hier c'était à mon tour de passer à la boucherie, sans anesthésie, c'est comme ça qu'on nous remercie ?
J'ai oublié de te dire, là où je suis les miroirs sont interdits, y'en a qu'on la folie.
Aujourd'hui je suis à Paris, j'ai été transféré dans la nuit, ça ne va pas mieux, ils disent que ça passera, que ça ira mieux. J'ai perdu, je me suis rendu mais je ne suis pas encore mort, ils m'en veulent encore.
Il est midi, maintenant c'est fini, j'ai croisée mon regard dans un miroir, il est parti sans moi.
J'ai bien changé, ce n'est pas mon reflet, celui du voisin, ce n'est pas mon reflet, celui du ciel bleu azur, il me rappelle ma vie d'avant, le grand air, sans la misère. Aujourd'hui sous la misère et la guerre.
Je suis transformé, ils m'ont enlevé la partie inférieure de la mâchoire, avec un hachoir, je n'est plus de mâchoire ! Mais j'ai mal. Les outils mal désinfectés m'ont affectés, c'est horrible. C'est presque pire que d'être en première ligne. J'ai retrouvé à Paris un camarade, il avait une balle dans la jambe, ça fait un mois qu'il est là. Il est dans ma chambre, il me fait des blagues, ont oublie la guerre, au fait, il s'appelle Albert.
Au fait, qu'est ce que je fais là ?
C'est la guerre
Sous la terre,
La misère,
On s'enterre
Sous les bombes
Dans les catacombes,
Dans les ombres,
Sous les tombes
Sous la terre
Pas de commentaire,
La misère,
Y'a plus d'air
J'en ai marre, ça a trop duré !
J'en ai marre, j'ai trop encaissé !
Avec toutes mes salutations,
Ton frère Edouard.
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