Chapitre 1
Je suis Jacques, Jacques Sauveur. Ne cherchez pas dans votre mémoire, vous ne me connaissez pas. Je n’ai jamais gagné à être connu…
Enfin, cette vie est derrière moi désormais. Je ne cherche plus qu’à savourer mes derniers instants dans la paix. Mais avant de pouvoir goûter à cette paix, j’ai besoin de partager avec vous une histoire. Un récit terrible, dramatique, horrifique.
Et pourtant, mes amis, il est véridique.
Oui, croyez-moi, je n’invente rien. Je dois vous conter le destin d’Émile Trapu.
C’est un récit désagréable à entendre. Alors, que les âmes sensibles s’éclipsent maintenant. Les bienheureux, les amoureux de l’humanité, les collectionneurs de papillons… oui, vous là-bas, non pas vous. Lui avec son air innocent, fuyez, pauvres fous !
Ah ! Tiens, vous êtes toujours là… Vous avez le ventre bien accroché. Mais n’oubliez pas ! Je vous ai avertis. Si ce soir, le sommeil vous fuit, si le cauchemar guette, ne venez pas vous plaindre… Ou alors c’est qu’en fin de compte, vous aussi avez quelque chose de tordu qui gigote dans votre cœur. Enfin, cela ne me regarde pas.
Emile Trapu n’était pas n’importe quel homme, c’était le pire. Une engeance maléfique vomit des enfers. Son corps entier transpirait la méchanceté et la haine du genre humain. Un rejeton maléfique de l’espèce, semant désespoir et malheur sur son passage.
Un soir d’octobre 1897, dans une maison isolée du Périgord, dans les environs de Sarlat, Marie Trapu, de son nom de jeune fille Marie Bourloute, agonise sur un lit puant, crasseux.
Dehors, une tempête infernale souffle et hurle dans la maison. C’est dans cette maison, derrière le claquement des volets que le drame se prépare.
La robe remontée et le lit inondé de sang, les mains crispées sur les draps, Marie hurle et gémit à la fois, tourmentée d’une douleur inouïe. Sa tête frappe le cadre du lit, des cheveux ensanglantés s’accrochent au bois.
Marie est seule. Jean n’est pas là.
Oui, je vous le dis, cette femme seule, mourante dans une misérable masure, aurait pu sauver le monde du malheur.
Qu’elle se dépêche un peu de mourir et vous, oui vous, ne seriez pas là, ronger de curiosité malsaine à écouter ce témoignage.
Marie Trapu, de son nom de jeune fille Marie Bourloute, expie sa misérable vie en accouchant d’un horrible petit chiard.
Les hurlements de la mère sont remplacés par les cris de cette vilaine créature.
Je sais que vous êtes là, derrière, sur mon épaule, vous aussi vous le voyez. Regardez comme il est moche. Sa peau fripée, maculée de sang et de liquide amniotique. Regardez bien ces vilains yeux. On le voit déjà, il y a le mal dans ces yeux.
Je sais, mes affreux amis, vous vous demandez si peut-être Marie Trapu, a mis au monde l’Antéchrist, par une Immaculée Conception diabolique. Culbutée par Belzébuth lui-même, ramonée par le grand timonier des enfers.
Et bien, peut-être, peut-être. Car la pauvre Marie Trapu, de son nom de jeune fille Marie Bourloute, partageait sa vie avec un homme si méchant et si mauvais qu’il pourrait bien être le vaisseau, le truchement de ses engeances maléfiques.
Le voilà seul sur ce lit, entre les jambes du cadavre de sa mère. L’origine du monde exposée, ravagée et sanguinolente. Il est sorti sur le ventre, et entre deux cris, sa petite bouche cherche le sein de sa mère.
Mais point de mamelon pour le petit goulu, il ne trouve sous sa bouche qu’un bout de drap imbibé de sang. Voilà que dans le fracas de la tempête, ce petit animal abandonné se nourrit du sang de sa mère. Il tète, il tète. Sa petite bouche fait « mouich mouich mouich »
Tel le Styx, s’écoulant de la porte des enfers, un flot de sang imbibe les draps. Le corps de la mère n’est pas encore froid et l’hémorragie mortelle continue son office. Le sang c’est la mort, le sang c’est la vie. Le gourmand se régale. C’est un festin d’hémoglobine.
Je sais mes amis, vous vous dites. Un nourrisson se nourrissant de sang sans cesse, cela ne se peut. Et pourtant, c’est la vérité toute nue. Il n’y a pas un mot de cette histoire qui peut être mise en doute. C’est l’exacte vérité.
C’est certainement en ce jour maudit, que cet enfant, cet Emile Trapu, a pris goût au sang. Je suis sûr que vous aviez déjà compris qu’il s’agissait d’Emile Trapu mes perspicaces amis.
Il reste seul sur ce lit pendant trois jours et trois nuits, ressuscitant tel Jésus, à la seule différence que lui n’est jamais mort. Pendant ces jours et ces nuits, Dieu seul sait les pensées exécrables que ce petit marcassin a ruminé dans sa caboche.
Annotations
Versions