Chapitre 4

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Avançons un brin dans l’histoire. Vous vous rendez bien compte qu’un nouveau-né, si méchant et diabolique qu’il soit, n’a pas vraiment de ressort pour être retors. Certes, à peine ses premières canines sorties, il cisaillait, têtu et tatillon, le téton de sa tutrice Macarel, assaisonnant ainsi le blanc et doucereux élixir d’un peu de délicieux sang.

Bien nourri, le petit escogriffe grandit vite, et nous allons passer rapidement sur les premiers mois de sa vie. Maintenant que vous savez tout de la tragédie de sa naissance, nous pouvons directement aller au début de sa carrière criminelle, de son œuvre honnie, de son génie horrifique.

Nous voilà rendus deux ans plus tard, et le galopin marche et court. Il se balade de-ci, de-là, de la cour à la boutique. Pourtant, ce qu’il préfère de loin, c’est traîner dans les pattes du boucher. Et le bon Marcel Macarel apprécie le petit bougre. Il n’y a pas un de ses propres enfants qui semble admirer son ouvrage avec autant d’enthousiasme.

Ce que Émile adore, c’est vider le cochon après qu’il a été saigné. Il plonge ses petites mains au fond de l’abdomen encore chaud de la bête. Il attrape un bout d’intestin et tire, il tire et tire et tire. C’est une vraie guirlande de Noël. Parfois même il se l’enroule autour du cou comme un collier. Le vieux Marcel rigole avec lui et lui pince l’oreille affectueusement. Dès que le vieux a le dos tourné, le petit glouton lèche ses mains avec gourmandise, ses doigts couverts du sang du pauvre animal. Quel délice !

Voilà encore quelques mois qui passent et Émile est pris d’une véritable passion pour la boucherie et l’abattage. Le Macarel voit dans cette petite fripouille le futur de sa famille. Ses enfants à lui sont des fainéants, des ingrats. Il n’y en a pas un pour lui venir en aider — la boucherie n’est pas assez bien pour eux. Voilà qu’ils rêvent d’épicerie, de boulangerie et même que sa grande fille n’aime pas la viande. C’est décidé, Émile sera son apprenti.

Pour fêter les trois ans du petit Émile, le bon Marcel veut lui faire un joli cadeau. Ce sera un grand couteau de boucher, bien aiguisé. Arthur n’a pas eu plus de joie en retirant Excalibur qu’ Émile en saisissant ce bel objet de mort. Aussitôt qu’il le peut, il s’échappe de la maison, son tranchoir sous le bras. Il espère trouver quelques bêtes, un chat ou un petit chiot.

Il sort du village et marche en direction de la ferme de Grumelou, Antoine Grumelou. C’est un domaine isolé, uniquement gardé par ce vieux croûton. Il y a là-bas plein d’animaux, tout ce qu’il faut pour s’entraîner. Il pense que ce couteau va faire des merveilles. Il gambade sur le sentier qui longe les bois et la rivière.

Au détour d’un arbre, il croise le fils du forgeron. Un petit gars de cinq ans qui n’arrête pas de le prendre de haut, de le traiter de petit bâtard, de fils de catin. Émile le déteste, mais l’autre est costaud. Il n’a jamais osé faire quoi que ce soit, de peur d’être corrigé d’importance. Et bien mes amis, voyons comment cela se passe aujourd’hui.

Alors que le garçon s’approche à moins de quinze pas, Emile l’interpelle.

« Eh Robert ! Tu sais ce qu’on m’a dit, ta mère s’est fait baiser par un âne. C’est pour ça que tu es bête comme une enclume et aussi moche qu’un cauchemar. »

Certains pourraient s’interroger, à juste titre, sur la qualité du français d’Émile, 3 ans. Je ne vous en veux pas, c’est naturel. Certes, certes, je retranscris plus l’esprit que les mots. C’est en tout cas ce qu’il s’imaginait dire, et c’est l’essentiel. Pour Robert en revanche, je préfère conserver la verdeur fleurie du langage de la campagne.

« Nom d’Dieu, Emile, v’la que si je t’attrape, j’te f’rai passer l’envie d’dire des menteries. Je vais te presser la tête jusqu’à t’sortir du jus du cul. »

Mais Emile s’enfuit en courant, s’éloignant de la route en direction de la rivière. Robert n’attend pas son reste et le suit, furieux. Le grand court plus vite que le petit et, après une poursuite d’une minute, il talonne le petit démon. C’est ce qu’attendait Emile. Oh qu’il est malin le gredin, il connaît son vocabulaire mieux que le petit Robert.

Il se retourne brusquement, le large coutelas en avant, et cueille le pauvre Robert comme une fleur. La lame pénètre dans son abdomen de la même manière que dans du beurre, disons, comme dans du mascarpone, car la lame était pointue et tranchante. Sinon, ce serait du beurre qui a un peu traîné dehors. Pas le beurre qui arrache la mie de pain quand on veut le tartiner, non, un beurre mou, disons.

Le petit forgeron écarquille les yeux, incrédules. Emile lui sourit tout en cisaillant de grands coups dans les tripes du pauvre enfant. Celui-ci tente de saisir le col d’Emile, mais il est pris d’un haut-le-cœur. Il vomit un flot de sang sur la tête de l’assassin et s’effondre au sol.

Laissez-moi terminer cette scène par une seule image. Fermez les yeux et imaginez : Emile, 3 ans, le couteau à la main, le visage couvert de sang chaud. Un rouge profond et luisant, carmin comme un démon des enfers du neuvième cercle. Au milieu jaillissent ses yeux pleins d’une joie impie, ses babines retroussées exposent ses petites dents blanches et sa langue, sa petite langue lèche langoureusement le liquide succulent qui coule le long de la commissure de ses lèvres.

L’irréparable était fait, le destin scellé. Emile découvrait enfin l’exaltation du meurtre, le plaisir du mal. Le voilà, ce chérubin, cet enfant de Dieu reniant sa nature humaine. Il est là, son euphorie déborde comme la mousse d’une bière tiède.

Autour de lui, les feuilles des arbres bruissent, et une douce brise lui touche la peau comme une caresse érotique. Quelles sont ces sensations qui l’envahissent, ces papillons dans le ventre? Il est bien, il est vivant ! Il existe ! Au sol, le petit cadavre est couché dans les herbes, telle une nature morte. Emile écoute le silence assourdissant de la mort. Quel pouvoir, quelle ivresse. Supprimer une vie, c’est altérer le futur, fermer les toutes possibilités d’une existence. La vie c’est le chaos, l’incertitude, le changement. La mort c’est la constance, le calme. La mort, c’est beau.

À présent, il sait. Il sait pourquoi il est là.

Et il rit, les bras dressés vers le ciel, un rictus qui aurait terrifié sa mère, qui l’aurait assurément tuée une seconde fois.

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