Les spectres du passé : II

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Arawn n’eut pas le temps de mettre ses plans odieux à exécution. La voix pointue de Mana l’en empêcha en venant nous vriller les oreilles. Les dents d’Arawn claquèrent à deux centimètres de ma gorge, et il se retourna d’un seul mouvement, en me jetant au sol comme un vulgaire sac de fret.

Varthiir iv’vin quui’evg’hin’n ! siffla plus ou moins ma sauveuse en pointant Arawn de son doigt griffu. Devant elle, dont le petit visage intelligent et délicat dépassait de derrière son épaule, se tenait Ren, aussi horrifié qu’encoléré.

En voyant mon compagnon, les yeux luisant de fureur meurtrière, je compris que Mana avait manigancé tout ça pour forcer son frère à affronter Arawn. Et si je perdais la vie dans le processus, pour elle, ce serait une pierre deux coups.

— Du khari, grimaça Arawn, les traits crispés. On montre enfin son vrai visage !

— C’est toi qui viens de nous montrer le tien, répliqua Ren, furieux. Tu étais en train de menacer ma femelle !

Arawn éclata de rire.

— Ta femelle ? Ton esclave humaine, tu veux dire ! Ah, quelles surprises ne me réserves-tu pas, Silivren ! Un cair chargé de créatures disparues parmi les plus puissantes et prestigieuses, une harde de femelles khari… Et maintenant, une esclave adannath, que tu as honorée de deux portées ! Tu viens me faire la morale, toi qui utilises le luith pour asservir une humaine ? Combien de petits lui as-tu fait ?

— Baran est ma compagne, grogna Ren, que je sentais de moins en moins enclin à passer outre. C’est la mère adorée de mes petits, et je lui ai donné mon panache ! Montre-lui du respect !

Arawn me regarda, étonné.

— Un sidhe qui donne son panache à une femelle faux-singe ? On aura tout vu !

Cette fois, c’est Mana qui s’avança.

— Pas un simple sidhe, siffla-t-elle, mais le premier d’Æriban ! Demande son pardon à genoux, mâle stupide et arrogant !

L’hilarité d’Arawn redoubla, et soudain, d’un geste rapide comme l’éclair, il me saisit par l’épaule. Ren fit aussitôt un pas en avant. Mais la lame du couteau d’Arawn était apparue sous ma gorge comme par enchantement, et je savais à quel point il coupait bien. Ses doigts aux griffes longues et pointues se refermèrent sur ma carotide, un à un.

— Pas un geste, Ar-waën Elaig Silivren – ou qui que tu sois vraiment. Quant à toi, sorcière, range cette pointe de verre dans tes robes indécentes, si tu ne veux pas que je t’ouvre la gorge après avoir décapité cette renarde. Oui, c’est ça… Reculez.

Ren et Mana s’exécutèrent, leurs yeux luisant de prudence et de rage. Tout autour de nous, dans l’ombre des alcôves, j’aperçus les visages blancs des ædhil d’Arawn, qui assistaient silencieusement à la scène. Ils attendaient la mise à mort des intrus par leur chef, pour pouvoir se précipiter à leur tour à la curée.

— Vous êtes tous témoins, clama Arawn à la foule sans cesser de me tenir contre sa lame. Cette femelle est une humaine. Pas une perædhelleth, non : une véritable humaine. En tant que maître de cette cour, j’ai donc le droit d’en faire ce que je veux. Quant à ceux-là… Ce sont des traîtres qui ont cru pouvoir se jouer de nous et détrôner ma reine : une putain vouée aux démons de l’outre-espace et son âme damnée de mâle. Lui, le treöwan qui se fait appeler Silivren en usurpant sans vergogne le nom d’un des plus grands héros de nos sagas, vit en concubinage avec l’une de ces primitives adannath, qu’il laisse vaquer les cheveux longs, arborant insolemment sa queue et qu’il a eu l’outrecuidance de changer en ædhelleth pour nous tromper. La femelle, dont vous connaissez tous les perfidies, est une sorcière fidèle des sombres voies de l’Araignée. Qu’on s’empare d’eux, et qu’on les jette dans la fosse des Oubliés ! La nuit qu’ils passeront là-bas avant leur jugement les fera réfléchir. Qu’on aille chercher les petits semi-humains et les filles de la sorcière, aussi.

À cette évocation, je poussai un hurlement.

— Non ! Pas eux ! Pas mes petits !

Sans se démonter, Ren vissa son regard sur Arawn.

— Ne menace pas mes enfants, Arawn Fin-ardhan, dit-il calmement, sa voix plus froide que les sources souterraines de Mars. Ne commets pas cette erreur. Pense à ce que les bardes raconteront sur toi, quand je t’aurai vaincu. Ils pourront dire que le seigneur Arawn s’est battu et est mort honorablement, ou qu’il a connu une fin atroce et dégradante. Réfléchis à cela. Et rappelle-toi que mon cair est défendu par deux maîtres de guerre et deux wyrms, et qu’il possède le meilleur armement qui existe actuellement dans cette partie de l’univers : sur ceci au moins, crois-moi sur parole. Personne ne peut y entrer sans ma permission, et Elbereth a déjà pointé ses armes sur vous. Tu veux donc voir ta cour se faire anéantir ?

Ren avait parlé doucement, d’une voix posée et maîtrisée. Sa dernière menace provoqua un bruissement dans les rangs des ædhil, qui suivaient les échanges avec passion, leurs yeux affamés, brillants comme des lanternes, passant d’un belligérant à l’autre.

— Tu n’ordonneras pas à ton Elbereth de tirer sur nous, fit Arawn. Pas avec tes deux femelles présentes sur le Mihrendelas !

Ren secoua la tête, un air faussement désolé sur son visage froid.

— Si c’est pour sauver la vie de mes enfants, je sacrifierai tout ce que j’ai, Arawn… Même la vie de mon épouse et de ma sœur. Même la mienne.

Je soupirai de soulagement. Les petits se trouvaient tous à bord et Elbereth et Dea avaient les cartes en main. Les deux navigatrices étaient des machines froides et logiques : si elles estimaient les risques trop élevés par rapport aux gains, elles allaient tirer à pleine puissance sur le vaisseau d’Arawn et le démolir.

En attendant, Ren était pieds et poings liés. Littéralement, puisqu’on s’approcha de lui pour l’emmener dans cette prison qu’avait mentionnée Arawn.

C’est à ce moment-là que Tanit intervint.

— Attends, Arawn : selon les règles en vigueur depuis toujours, Ar-waën Elaig Silivren a le droit de défier l'ar-æl, s'il conteste son pouvoir.

Arawn laissa échapper un soupir théâtral, qui me sembla fort incongru, associé à un visage si terriblement cruel et inhumain.

— C’est vrai. J’avais l’intention de te laisser repartir avec ta femelle khari si tu me laissais ton esclave. Qu’en penses-tu ?

Les yeux de Ren flamboyèrent.

— Jamais. Je refuse tout ce que tu me proposeras !

— Qu’est-ce que tu proposes, alors ? demanda Arawn d’un ton agacé.

Ren le regarda en silence.

Cathel ! lâcha-t-il finalement.

La guerre. Évidemment.

Mana, satisfaite, tourna le dos à Arawn et sa compagnie, glissant un mot bien intelligible à son frère au passage :

— Les combats de coquelets ne me plaisent guère : j’attendrai le départ sur Bronagh. Inutile de te souhaiter bonne chance...

Elle fit une petite pause, avant de jeter un dernier regard à Arawn, les yeux plissés.

Détruis-le, susurra-t-elle à l’oreille de Ren.

Et elle quitta la salle, ses hanches pleines ondulant à chacun de ses pas.

Arawn n’avait plus le choix. Il était obligé d’affronter Ren.

— Le choix des armes ? lança Arawn d’un ton insolent. Tu connais les règles de ce genre de combat, j’imagine ?

— Configurations limitées à trois occurrences très basiques, toutes différentes, combat à l’arme blanche, récita Ren sur un ton sinistre.

Arawn eut l’air content de ce rappel.

— Voilà. J’ai été formé par un maître spécialiste du double-sabre : c’est donc ainsi que je vais configurer mon sigil, mais en remplaçant le deuxième par un couteau, car j’ai développé mon propre style. Et toi ?

— J’ai été formé par un maître spécialiste de la lance, mais comme je pense par moi-même et que je me suis approprié son savoir sans l’imiter, je vais combattre avec deux sabres : c’est ainsi que je vais configurer mon sigil, répliqua Ren.

Un petit rire discret s’éleva dans l’assemblée, sans que je puisse déterminer d’où il venait exactement. Ren avait bien mouché Arawn. Ce dernier, beau joueur, émit un petit rire à son tour.

— On a la réplique agile et le ton sarcastique, à ce que je vois, sourit-il. Seras-tu aussi adroit avec deux lames dans les mains ?

— Je ferai de mon mieux, grinça Ren, affichant un rictus carnassier.

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