Le gros Baldrik
Ren ne voulut rien savoir et se rendit seul à terre. Je restai sur le cair avec les autres, inquiète et un peu triste. Je ne pouvais pas me confier à Dea sur le mauvais coton que je voyais Ren filer, car cette dernière lui vouait une telle adoration qu’il était devenu impossible d’émettre la moindre critique sur « le commandant » devant elle : elle lui trouvait toujours une bonne excuse. Tanit, c’était hors de question également : je trouvais son comportement envers Ren bizarre, à défaut d’autre mot. Il restait Isolda, qui ne comprenait pas grand-chose de toute façon, et à qui tout passait au-dessus. En outre, j’appréciai sa franchise et son bon sens de cultivatrice humaine.
— Ren se fourvoie en pensant que son père l’accueillera à bras ouverts, ronchonnai-je en changeant mon dernier-né, assise sur l’aire de jeu avec Isolda. Il l’accueillera d’un coup de lame crantée à l’iridium, oui ! Puis il lui prendra toute sa tribu, femelle comprise. En admettant qu’on le retrouve un jour, et ça tu vois, ça m’étonnerait bien.
Isolda releva les yeux vers moi.
— Son père, c’est ce beau seigneur aux longs cheveux blancs qu’on a vu dans la salle la dernière fois ?
Je hochai la tête à l’affirmative.
— Śimrod Surinthiel, acquiesçai-je. Un sidhe parmi les plus brutaux, qui a impitoyablement violé une malheureuse humaine à son service et lui a fait une portée de huit petits… Huit petits, tu te rends compte, Isolda ? J’ai eu deux portées, une de deux et une de un seulement. Je peux te dire qu’il faut être une sacrée guerrière pour survivre à la mise-bas de toute une portée de huit petits ældiens, et à leurs morsures répétées huit fois à chaque tétée, au rythme de plusieurs occurrences par jour ! Entre ça, l’accouchement et les prouesses athlétiques qui l’ont précédé – même le Président Singh n’est pas assez souple pour prendre un ældien – cette pauvre fille devait avoir le corps dans le même état qu’un rocher récalcitrant après le passage d’un VTA de terraforming.
Isolda secoua la tête.
— Au village, je connaissais une femme qu’en est morte, m’apprit-elle. Un ælfe l’avait entrollée et lui avait mis tout une portée de marmousets dans le tiroir. Elle a réussi à s’enfuir de son gîte, mais elle a rendu l’âme peu après l’accouchement. Les petits changelins lui ont ouvert la gorge pendant son sommeil, en s’emparant d’un couteau bien tranchant.
Je la regardai en levant un sourcil, avant de comprendre ce qui s’était réellement passé.
— C’est son père ou un autre homme de sa famille qui a dû tuer cette malheureuse, lui appris-je. Des petits ældiens n’auraient jamais fait une chose pareille, et encore moins avec un couteau ! Ils sont turbulents et parfois durs à gérer, mais toujours très attachés à leur mère.
Isolda haussa les épaules.
— C’est vrai que ces p’tits sont pas bien méchants, reconnut-elle en frottant le ventre de Caëlurín, qui roulait sur le dos devant elle. Et puis, être troussée par un ælfe, même si vous dites qu’ils en ont une grosse, c’est sûrement pas pire que de l’être par tous les gars du village à chaque Saint-Jean, et à la Noël par dessus le marché. Les ælfes, au moins, se lavent, et puis, ils ne sont pas si moches à regarder, en dépit de leurs grandes dents !
Je lui jetai un regard alarmé. Elle semblait parler d’expérience !
— Le problème des ældiens, lui murmurai-je, c’est qu'ils ne se rendent pas compte de notre fragilité physique. Mais si on sait comment leur parler... on peut tout obtenir d'eux, même une certaine forme de douceur.
Sans savoir vraiment pourquoi, je doutais que la douceur soit une qualité caractérisant Śimrod Surinthiel.
— Pour ce qui est de la taille, le gros Baldrik n’était pas mal loti non plus, dans le genre, renchérit Isolda. Bon, je sais pas comment sont les ælfes sous la ceinture, mais le gros Baldrik...
Je me mis à pouffer, et Isolda, après m’avoir jeté un de ces regard rusés et vieux comme le monde – alors qu’elle semblait ne pas avoir plus de vingt ans – éclata de rire. Je l’imitai bientôt, et nous nous retrouvâmes hilares, sous les yeux de Caëlurín qui nous regarda d’un air inquiet avant de pousser lui-même un glapissement ravi.
— J’aurais jamais cru rire de ça un jour, fit Isolda en reprenant le nouveau-né contre elle. Et ça fait drôlement de bien !
J’acquiesçai avec un léger sourire. J’ignorai si je serai un jour capable de rire de la taille du sexe de mon agresseur orcanide, alors que j’avais échappé à ce qu’avait subi Isolda.
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