Le message
Depuis notre retour sur le vaisseau, Ren m’évitait. Je tentai de tirer les vers du nez à Elbereth, qui m’avoua à mi-mots que celui qui était désormais mon époux avait encore ses fièvres et qu’il préférait attendre leur fin dans son coin, afin d’éviter, notamment, de me mettre de nouveaux marmousets dans le tiroir. Je savais que ce n’était qu’un prétexte.
Mais l’information la plus importante me vint de Dea. Cette dernière alla me trouver dans la salle de commande, se débarrassant du même mouvement d’une paire de gants stériles.
« Le commandant va bien. Son état est stable. Je lui ai administré les premiers soins, et Tanit est avec lui. »
Je lui confiai la barre et me précipitai dans les appartements amiraux, passant devant l’arbre-lige sur lequel brillait désormais le rubis d’Adræsh : Ren avait donné son corps à l’arbre. Mon mari était en sous-vêtements sur notre lit, à moitié K-O, en train de se faire bichonner par Tanit qui lui passait un espèce de baume sur le ventre avec application.
« Qu’est-ce qui se passe ? m’enquis-je d’un ton plus dur que je ne le souhaitais.
Tanit releva le visage vers moi.
— Alfirin s’est pris un mauvais coup dans ces horribles souterrains, m’apprit-elle, la bouche en cœur, en désignant une plaie suturée. Il pensait que la blessure était bénigne, et il l’a refermée lui-même dans le bain tout à l’heure, avant le dîner. Mais les pédipalpes de la créature contenaient un venin puissant, qui provoque de violentes contractions musculaires. On lui a donné un anti-poison, et je suis en train de soulager ses crampes et de faciliter l’évacuation des toxines en dehors de son tissu musculaire.
— Laisse-moi faire, lui intimai-je en me plaçant à côté d’elle.
— Il vaut mieux que ce soit moi qui le fasse, osa-t-elle prétendre sans cesser de caresser le ventre de mon compagnon. Les mains d’une ædhel sont plus grandes et habiles que celles d’une humaine. En outre, nous apprenons à masser depuis notre plus jeune âge, et avons une connaissance du corps de nos pairs que tu ne possède pas. Puisque tu es une si bonne pilote, ta place est à la barre. Notre Maître compte sur toi : tu ferais mieux d’y retourner. »
Interdite, je fis demi-tour et retournai à la salle des commandes. Me sentant coupable pour avoir laissé Ren avec une entaille dans le ventre, j’avais été incapable de m’affirmer face à elle : Tanit venait de remporter une sérieuse bataille. Mais depuis quand, au juste, était-elle ma rivale ? Et par quel tour de passe-passe, au juste, Ren avait-il acquis le statut de « maître » ?
Désœuvrée, je repartis dans mes anciens quartiers. J’y trouvais mes affaires : les quelques machines que j’avais trafiquées, ma vieille combinaison et deux ou trois artefacts militaires qui, s’ils ne dataient pas de cette époque, me rappelaient mes classes. Je me surpris à penser à tout cela avec un certain regret. À ce stade précis de mon existence, je pensais tout savoir de l’amertume de la vie : j’étais une orpheline dont la famille entière avait été exterminée par l’Inquisition, puis ce fut le tour de mes parents de substitution, Yany et Zebra, assassinés par d’impitoyables mercenaires. J’étais seule au monde, poursuivie par le SVGARD, obligée de m’incorporer à l’Infanterie Mobile, larguée au milieu de toutes les pires zones de guerre de la galaxie… Et pourtant, j’ignorais tout, alors, des horreurs de l’univers.
Me sentant un peu nostalgique du monde humain et de ses lois simples, je décidai d’ouvrir les dernières émissions enregistrées sur la fréquence de l'Holos par l’Ultimate Quest, le vaisseau disparu que nous avions tenté de secourir en vain dans le Grand Vide, Ren et moi. Prise par toutes sortes de péripéties diverses, je n’avais jamais eu le temps de décompresser l’historique des communications de ce tragique bâtiment. J’espérais y trouver des nouvelles – un peu datées, certes – sur la situation dans la république galactique. Je ne m’attendais pas du tout à ce que j’allais y trouver. Pendant des millénaires, alors qu’il dérivait aux frontières du monde connu, cet astronef avait intercepté malgré lui toutes les ondes éléctro-magnétiques qui lui étaient parvenues. Les toutes dernières émissions de l'Holos captées par l’Ultimate Quest contenaient en effet un message privé de l’amiral Varma à notre attention :
La République est en proie à un chaos qu’elle n’a jamais connu. Afin de faire face à cette situation de crise inédite, Singh vient d’être investi des pleins pouvoirs par le Sénat et je suis devenue chef des Armées Unifiées. J’ai besoin de toutes les bonnes volontés, et j’ai proposé aux rebelles padmiens et aux indépendantistes l’amnistie gouvernementale s’ils venaient combattre à nos côtés contre les troupes hérétiques qui ne cessent de déferler de la cicatrice laissée par l’Abîme dans l’Ethereal. Je vous fais cette proposition également, et je vous garantis, à vous et à Ar-waën Elaig Silivren, la citoyenneté totale si vous acceptez.
Annotations