I

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Je reprends lentement conscience dans les bruits étouffés de casseroles heurtées et du robinet crachant l'eau dans la cuisine. Je pousse un grognement étouffé en me détournant de la porte entrebâillée de ma chambre et en enfouissant ma tête sous la couette. Mais la musique me parvient désormais entre les chocs des ustensiles. Je reconnais même le jingle de RTL2 puis, en sourdine, les accords monotones d'un tube de Phil Collins qui tourne sans discontinuer depuis trente ans. En tout cas j'ai l'impression que, d'aussi loin que j'existe et entends la radio, cet air irrévocable a toujours été diffusé en boucle.

Bientôt, sa voix se fait entendre, intermittente, un peu en retard parfois, les mots déformés de manière comique par sa méconnaissance de l'anglais. Je ne souris même pas.

Je déteste le dimanche.

Elle aura encore préparé le même genre de repas que depuis toujours : rôti de porc et pommes de terre au four accompagnées de haricots verts à l'ail, le tout dégouttant de beurre. A la rigueur, ce sera peut-être un rôti de bœuf ou un gigot d'agneau. Le rituel n'est pas immuable, bien que l'originalité en soit absente.

Mon estomac gargouille son intérêt traître tandis que j'énumère, hostile, les plats qui nous attendent. Je soupire, résigné. Je sors ma tête et ouvre péniblement les yeux sur ma chambre. Les volets mi-clos laissent entrer un soleil timide tandis que le balancement du tilleul dans le jardin annonce une brise paresseuse qui peine à froisser les feuilles roussies par l'automne.

Bientôt vingt ans.

Je frotte mes paupières avec insistance, pour les décoller comme pour détourner mon attention de cette pensée embusquée dans ma tête. Afin de m'aider un peu plus à quitter mon lit, je tends le bras vers ma lampe de chevet et l'éteins.

Mon regard vagabonde involontairement sur les murs de la pièce, se laissant caresser par les posters de paysages lointains, tel ce panoramique grandiose du Yellowstone, sans même s'arrêter sur les masques colorés d'amérindiens qui ponctuent çà et là les parois. Ces visages de bois, sérieux et colorés, sont des visages amis qui veillent sur moi depuis l'enfance. Et même si mon frère se moque un peu de ma lubie persistante, comme il l'appelle, j'y tiens et ne suis pas près d'y renoncer.

Par la porte à demi fermée, j'entends soudain un bruit de mixeur. Sans doute son implacable gâteau au chocolat... Mon estomac pousse un nouveau grognement et je consens enfin à me dresser hors de mon lit. Je glisse mes pieds dans mes pantoufles et les traîne jusqu'à mon armoire. J'y prends négligemment de nouveaux sous-vêtements et, attrapant au passage mon pantalon et mon pull, je gagne la salle de bain.

Le bourdonnement de l'appareil s'est tu et je perçois maintenant le bruit d'une cuillère en métal raclant un récipient. Du couloir me parviennent les premières odeurs du repas à venir. Malgré moi, alors que je pense à la nausée, je salive. Je pousse la porte et jette mes affaires en tas sur le bord du lavabo. Je me laisse tomber sur le siège des toilettes et tente de réunir quelques pensées positives pour me préparer à affronter cette réunion dominicale rituelle et déprimante.

Demain, on bosse.

Comme d'habitude, on n'aura rien à se dire.

Comme toujours, pour ne pas parler de ce qui compte, de ce qui fait mal, on discutera de la météo. On s'autorisera quelques commérages mesquins sur des connaissances lointaines qui n'en souffriront pas, mais pas trop non plus pour ne pas sentir à quel point on est aussi pourri qu'eux. Et, surtout, on n'approfondira pas, histoire de pouvoir croire encore que rien n'est sombre sous la surface de nos masques placides.

Je tire la chasse et enjambe le bord de la baignoire en évitant de croiser le regard pitoyable et hargneux de mon reflet. Je laisse à peine l'eau humecter ma peau ; de toute façon, elle n'emporte pas les souillures de l'âme. Rien ne le peut : je le sais depuis longtemps. Et elle alimente mon anxiété.

Une fois sec, je savoure la présence de la buée sur la vitre réfléchissante qui m'épargne une introspection amère, puis j'enfile mécaniquement mes vêtements, juste assez attentif pour ne pas sauter les pieds joints dans mon T-shirt. Enfin, je laisse échapper un soupir laborieux pour tenter d'écarter un peu l'étau qui me comprime le torse, mais c'est peine perdue et je me retrouve en haut de l'escalier presque aussi fatigué et angoissé qu'à mon coucher la veille au soir.

J'approche lentement des marches, convoquant en moi tous mes succès passés en la matière pour parvenir à soulever mes pieds qui pèsent maintenant comme du plomb et, agrippant fermement la rampe à m'en faire blanchir les jointures des mains, j'enchaîne, pas après pas, l'interminable descente. Plusieurs arrêts sont nécessaires, les yeux fermés pour pousser de profondes expirations trop peu salvatrices, mais je parviens enfin en bas, les jambes flageolantes, mon appétit malgré moi féroce ayant laissé la place à l'habituelle nausée.

Nerveusement, j'essuie du bras la sueur qui ruisselle de mon front puis je pénètre dans la cuisine, son fief incontesté. Elle me tourne le dos, mon arrivée ayant été couverte par la radio : un nouveau tube diffusé depuis les années quatre-vingt, peut-être une chanson de U2. Je me laisse tomber sur ma chaise sans pour autant perturber sa concentration et l'observe en silence. La voir s'agiter me calme toujours un peu, comme une berceuse apaise un enfant. Sauf que je ne suis plus un enfant.

Enfin, tournant sur elle-même pour attraper dans un placard une épice dont elle seule connaît le nom et le rôle, elle accuse ma présence par son sourire aimant et comblé des dimanches.

- Bien dormi ? me demande-t-elle, comme toujours.

- Oui, mens-je laconiquement, comme toujours.

- J'ai préparé un rôti de veau avec une ratatouille. Pour le dessert, j'ai prévu un tiramisu aux fruits rouges. J'espère que vous allez aimer !

Au temps pour moi. J'arque involontairement un sourcil, étonné, mais elle est déjà repartie à ses fourneaux sans le remarquer. Mon angoisse remonte d'un cran. J'ai beau mépriser la routine avec la plus hostile haine, c'est tout de même elle qui apaise le plus mes inquiétudes. Partiellement, certes, mais suffisamment pour les rendre supportables. A peu près. La plupart du temps.

Je déglutis péniblement et me redresse, aux aguets. Je l'examine plus attentivement. Sa robe à fleurs habituelle, ses escarpins assortis inconditionnels, ses éternels bijoux en étain... Enfin, cela me frappe. Violemment. En plein estomac et en plein cœur à la fois. Les suées me reprennent.

Elle a changé de coiffure.

Elle est allée hier chez le coiffeur et en est revenue avec une coiffure différente. Ce n'était plus arrivé depuis.

Une chape de plomb s'abat sur mes poumons et, étourdi, je me mets à haleter sur un rythme saccadé, cherchant un souffle qui commence à me manquer, le cœur battant à mes tempes comme un tambour de guerre. Alors qu'un voile noir descend sur mes yeux et que la pièce se met à tourner tandis que je m'agrippe au plateau de la table, je sens sa main fraîche se plaquer sur ma nuque et son autre main appliquer le sac en papier sur mon visage.

Au bout de quelques minutes de lutte au rythme asthmatique de mes respirations erratiques, mon souffle se régule et ma vue redevient plus nette. Elle me laisse avec mon sac sur une caresse fugitive dans les cheveux puis retourne remuer sa ratatouille qui bouillonne sur la plaque électrique.

La crise est passée et s'éloigne doucement. L'angoisse, elle, demeure, froide et acérée, fouaillant mes entrailles. Je gagne les toilettes du rez-de-chaussée pour vomir douloureusement quelques jets de bile acide puis, en partie libéré, je tire la chasse et m'assieds sur le siège pour évacuer les dernières conséquences de ce pic de stress aussi soudain que violent. Par l'entrebâillement de la porte, je la vois qui s'active toujours, imperturbable, blasée.

Je sais bien que cela devait arriver.

Vingt ans quand même.

Déjà.

Seulement.

Je le sais pertinemment, mais je m'aveugle depuis tant de temps... Je méprise ma prison et mes geôliers finissent par me porter sur les nerfs, mais ma cellule dorée est tout ce qui me protège de mon enfer...

Je me frotte énergiquement le visage pour chasser les vestiges de nausée et de crispation.

J'inspire.

J'inspire longuement.

J'expire.

Lentement.

Je me relève et tire la chasse. Me lave les mains. Fixant l'eau qui coule pour ne pas voir le miroir. Fixant l'eau qui coule avec répulsion.

Je quitte la petite pièce carrelée d'un blanc froid et je prends la direction de la porte de derrière. Une fois dans le jardin, je me redresse un peu.

Je contemple la végétation : massifs, buissons, arbres, arbustes, haies... Même les ridicules petites jardinières roses de ma mère me font du bien. Tout ce vert rafraîchissant et vivant, ce bruit de feuilles et de branches agitées par la brise, leur lente danse dans le vent, les senteurs terreuses et florales, les touches de couleur mouvantes des papillons, des insectes et des coléoptères...

Ce petit carré de nature est mon coin de paradis, mon sanctuaire.

Depuis l'édification de la haute et infranchissable clôture.

Je m'installe sur mon banc, dos contre l'écorce rugueuse du tilleul et, tête renversée contre son écorce, je ferme les yeux et me laisse pénétrer par les parfums, par les sons, par la vie qui m'entoure.

Rouvrant les yeux, j'observe le ballet des stratus qui dérivent paresseusement dans le ciel bleu. Je me détends dans un soupir. Un peu.

Un avion jaillit soudain d'un nuage, répandant sa traînée grise dans son sillage. L'angoisse m'étreint à nouveau.

Je sursaute soudain aux bruits de gravillons écrasés et d'un moteur qui me parviennent de l'avant de la maison.

Il vient d'arriver.

Je soupire, résigné, et, à nouveau crispé et anxieux, je me dirige à pas lourds vers la maison.

J'entends d'abord la voix énergique de ma mère riant à un commentaire de mon frère. Il a toujours su trouver les mots, les gestes pour lui rendre sa bonne humeur. Il avait été particulièrement précieux il y a vingt ans. Il avait alors à peine cinq ans et m'avait supplanté dans à peu près tous les domaines.

Je ne suis pas jaloux. Je l'ai été, c'est sûr, mais cela m'est vite passé. J'ai eu bien d'autres chats à fouetter. Bien trop de problèmes dont je ne peux l'accuser pour lui en vouloir.

Mais son assurance m'agace, malgré moi. Sa gaieté, surtout. Elles me renvoient à mon insignifiance, à mes ténèbres intérieures.

Lui s'en fout. Du moins, il fait mine de ne pas s'en occuper. Mais je sais qu'il cherche à compenser mes faiblesses pour que je me sente mieux. Il a toujours été comme ça et c'est aussi pour ça que je ne peux pas ne pas l'aimer.

Mais, n'empêche, il m'agace.

Sûrement son côté fils parfait...

Vingt-cinq ans, énergique, plutôt sportif avec ses footings quotidiens et ses matches de volley, plutôt beau et aimable, un boulot peu prestigieux mais tout à fait sérieux et rentable : dépanneur informatique. Mais tout n'est pas rose pour lui, je le sais. À toujours se préoccuper de lui-même après s'être occupé de nous, il est passé à côté d'une partie de sa vie. Sa vie amoureuse en particulier. Il est amoureux depuis le collège de Céline, une voisine du quartier, mais il ne s'est jamais accordé le droit de sortir avec elle.

Surtout à cause de ce qui s'est passé.

Surtout à cause de moi, en fait.

Depuis, ils sont devenus amis et, avec Thomas, ils forment un trio inséparable. Les meilleurs amis. Mais des amis. C'est tout. Mais j'ai bien vu Thomas, moi, et je sais qu'il est dans la même situation que mon frère. Mais lui se retient de la courtiser par loyauté envers Alexandre.

Et la belle règne sur leurs cœurs sans même s'en rendre compte. C'en serait presque comique. Mais c'est surtout triste.

Comme toujours, après avoir embrassé maman, Alexandre vient me saluer et, après une virile tape dans le dos, me dit que j'ai bonne mine. Mensonge.

- Alors, Baptiste ? T'as passé une bonne semaine ?

- La routine, dis-je dans un soupir pour me débarrasser de cette formalité. Et toi ?

Quand on ne sait pas quoi dire ou qu'on n'a pas envie de parler, rien de tel que de cultiver des relances qui, savamment disposées, permettent d'entretenir une conversation loin de soi sans trop d'efforts. Et avec Alexandre, ça marche presque toujours.

Sauf lorsqu'il est seul avec moi. Alors, il ne me laisse pas fuir ainsi. Là, il joue le jeu sans se faire prier.

- J'ai pas chômé cette semaine ! Avec l'épidémie de chevaux de Troie qui sévit en ce moment, tout le monde a besoin d'une intervention urgente pour nettoyer son ordinateur et pour récupérer les données perdues ! Sans compter les amateurs et poissards de d'habitude ! A ce rythme-là, je vais bientôt pouvoir embaucher ! Sinon, j'ai vu Céline et Thomas mercredi. On s'est fait un ciné. Un film d'action assez nul, en fait, mais on s'est beaucoup amusé, au final, à se moquer des répliques et du jeu des acteurs... J'ai même cru qu'on allait finir par se faire sortir !

- Comment va Céline ?

Je suis sournois, parfois, mais tous les coups sont permis pour survivre. D'ailleurs, je ne désespère pas de parvenir un jour à pousser mon frère à ouvrir les yeux sur ses sentiments envers elle...

- Elle va bien. Elle était en forme. Apparemment, son nouveau chef d'équipe respecte leur organisation et les laisse travailler à leur façon. Il paraît que son équipe est de toute manière la plus efficace de la boîte. Elle semblait heureuse.

La voix et le regard de mon frère se sont faits distants. Ça a marché ! Il va en avoir pour un moment avant de redescendre.

- Sinon, Thomas aussi se portait bien. Il m'a demandé de tes nouvelles !

Merde ! Il est revenu plus vite que d'habitude !

- Tu lui répondras que je vais mieux que les machines dont il s'occupe !

C'est un coup bas, ça aussi, mais il y a toutes les chances que ça passe pour de l'humour. Thomas travaille comme programmeur dans une société qui conçoit des robots ménagers et, il y a quelques mois, il a fait une erreur heureusement sans conséquence grave, mais pour laquelle on se moque de lui depuis lors. Bonne pâte, il a trop fait confiance à son stagiaire et lui a laissé une partie du code à programmer. Il l'a ensuite vérifié avec trop d'indulgence. Lors des essais, le hachoir a tourné trop vite et la machine a explosé, projetant la lame comme une étoile de ninja à travers le labo. Elle s'est plantée dans le mur sans faire ni dégâts ni victimes, mais la panne électrique de deux heures qui a résulté de l'incident n'a laissé aucun de ses collègues dans l'ignorance de cette bévue.

C'était mon joker. Il faudra que j'en trouve un nouveau.

Alexandre sourit malgré lui et, d'une bourrade amicale dans mon épaule, me fait comprendre que ce n'est que partie remise et qu'il ne m'oublie pas.

Il se tourne néanmoins vers la maison et, félicitant ma mère pour les odeurs de cuisine, lui crie que nous mettons la table.

Obligé de suivre, je lui emboîte le pas vers les placards à vaisselle.

Trois assiettes s'entassent dans ma main. Puis trois fourchettes, trois cuillères et trois couteaux. Trois verres viennent les rejoindre.

Vingt ans et ça continue d'être dur.

Mon frère s'empare de la carafe et, tandis que je me traîne vers la salle à manger, je l'entends la remplir d'eau.

Disposant les couverts sur la table, j'arrête mon regard un instant sur la quatrième chaise. L'autre chaise. Qu'on n'a plus utilisée depuis.

L'irruption de mon frère dans mon champ de vision me fait sursauter et je fais involontairement tinter une cuillère contre un verre, comme pour porter un toast.

Le son, cristallin et violent, résonne dans le silence de la maison figée.

Il avait l'habitude de commencer tous les repas par un toast fantaisiste qui nous faisait beaucoup rire.

Je croise le regard de mon frère, voilé. Il pense à la même chose que moi.

Certains souvenirs ne s'estompent pas.

Certaines plaies ne se referment pas.

Sa main serre mon épaule, longuement, et, après un hochement de tête grave, il pose la carafe au centre de la table et m'entraîne vers le jardin.

Nous marchons lentement, épaule contre épaule, en direction du tilleul. Simultanément, nous nous laissons tomber sur le banc et contemplons le bleu du ciel, strié irrégulièrement de nuages et de traînées de fumées d'avions.

- J'y pense beaucoup, en ce moment.

Sa voix vibre faiblement dans le bruissement de nature qui nous entoure.

- Moi aussi.

De nouveau, notre silence se fond dans la respiration du jardin.

- Ça fera vingt ans demain.

- Ouais.

- J'ai pourtant l'impression que c'était hier...

Il se tourne vers moi et, posant à nouveau sa main sur mon épaule pour l'étreindre comme on s'accroche pour ne pas tomber, il me regarde dans les yeux, cherchant mon approbation à une question qu'il ne pose pas.

Ma poitrine se serre et ma tête se met à bourdonner. Ce regard, c'est un regard neuf. Un que je ne connais pas. Et j'ignore comment réagir. Enfin, il se racle la gorge.

- J'ai beaucoup réfléchi ces temps-ci. Je gagne bien ma vie, mais je vis seul. Depuis trop longtemps. Et il y a quelqu'un avec qui j'aimerais vivre.

- Tu vas enfin tenter le coup avec Céline ?

Ma réponse fuse, instantanée, poussée par la joie autant que par le soulagement tant je craignais la gravité de sa déclaration.

- Comment tu sais ça ?

Son expression sidérée est si drôle que j'éclate de rire tandis qu'il rougit un peu plus.

- Tu es fou d'elle depuis la cinquième ! Il était temps !

- Tu le sais depuis tout ce temps et tu ne m'en as jamais parlé ?

- Que voulais-tu que je te dise ? Ce n'est pas moi qui pourrais te donner des leçons en la matière...

Il esquisse une grimace gênée et baisse les yeux.

- ... Qu'est-ce que t'en penses ?

Je lui adresse mon plus beau sourire.

- Qu'il était temps que tu te jettes à l'eau avant que Thomas ne craque !

Là, sa brusque perplexité me fait partir dans un tel fou-rire que des larmes d'hilarité coulent sur mes joues.

- Mais... Quel est le rapport avec Thomas ?

- Lui aussi est raide dingue d'elle ! Mais comme vous êtes amis et que c'est plus récent pour lui, il n'ose pas te voler ta chance.

Comme assommé, Alexandre reste bouche bée quelques secondes, ses yeux repassant intégralement ses souvenirs au prisme de cette révélation. Puis, l'examen semblant concluant, il referme la bouche, déglutit, ferme les yeux et se laisse retomber contre le dossier.

- Il va me le payer, ce faux-frère !

- Comment ça ?

- Cinq ans qu'on est amis et il n'en a jamais rien dit !

- Que voulais-tu qu'il te dise ? « Tiens, au fait, je t'ai pas dit ! Tu sais la fille dont t'es dingue depuis dix ans ? Elle me plaît aussi ! » ? Qu'est-ce qui se serait passé alors ? Vous vous seriez battus ? Vous auriez fait une compétition romantique ?

Ma logique sans faille le laisse muet.

- L'enfoiré, quand même ! murmure-t-il après un moment.

- Tu lui en veux ? dis-je avec l'inquiétude coupable de celui qui a lancé un pavé dans la mare et s'étonne soudain de voir que les grenouilles se sont tues.

- Nan. C'est à moi que j'en veux. Il a agi en frère et je suis tellement égocentrique et empoté que ça fait des années qu'il souffre pour rien ! C'est dit : ce soir, je donne rendez-vous à Céline dans un coin romantique et je lui déballe tout.

- Pas trop quand même ! dis-je d'un ton grivois.

- T'es con ! me lance-t-il en riant et me bourrant l'épaule de coups de poings.

Puis nous restons côte à côte, silencieux et mélancoliques.

Je me raidis contre l'épaule de mon frère à l'aboiement soudain d'un chien du voisinage. Il passe son bras autour de moi et me serre contre lui. Je fixe le mur qui entoure le jardin, cherchant à y puiser un réconfort suffisant pour maîtriser l'accès de panique. Heureusement, le cri du chien était isolé et je parviens à me contenir, voire même à me calmer.

Enfin, la voix de maman nous parvient par la porte-fenêtre restée ouverte. C'est l'heure du repas.

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