V
Une fois seul, je repense soudain au contrat et à la clef USB qui attendent que je les inspecte au fond de mon sac et, par ricochet, à Béatrice avec qui je pourrais en discuter. Ou qui m'a peut-être déjà appelé !
Je redescends aussi vite que mon vertige me le permet sans m'évanouir et ramène mes affaires dans ma chambre où je m'écroule, en nage.
Après un moment, je me jette fébrilement sur mon portable que je retrouve éteint et déchargé. Je peste in petto et farfouille dans mon bureau à la recherche de mon câble de branchement.
Une fois retourné et étalé le contenu de deux tiroirs, je tombe enfin dessus et mets mon téléphone en charge. Je l'allume, la crampe au ventre.
Aucun message.
Déçu d'être sans nouvelles mais soulagé de n'avoir pas manqué son appel je me concentre sur mes deux autres tâches, en commençant par mon contrat.
Cette fois-ci, tout est en ordre, même si la mention de mes objectifs me remplit d'appréhension et que la menace de licenciement est on ne peut plus explicite en cas d'échec... Néanmoins, c'est absolument réglo en apparence et, de toute manière, pourquoi nous échouerions ?
La clef USB me donne plus de fil à retordre eu égard à la quantité de fichiers à ouvrir d'une part, et à la disparition des extensions de certains noms qui me force à tester plusieurs logiciels avant de trouver le bon. Sans compter que nombre de documents sont incompréhensibles à cause de leurs lacunes – ou des miennes. Je comprends vite qu'Hinergeld, peu familier avec l'informatique, ou bien paranoïaque, avait apparemment pour habitude de sauvegarder les différents états d'un même document sous différents noms plutôt que de continuer et modifier un seul et unique document. D'où la difficulté de saisir le sens de certaines séries de colonnes de chiffres en l'absence d'en-tête... Je décide, faute de pouvoir m'assurer de rien en la matière, de ne pas tenir compte de ces fichiers.
Arrivé vers le milieu de la liste, je tombe sur un nom moins sibyllin et plein de promesses : "fichesperso.doc". Je clique.
S'affiche devant moi un document d'une centaine de pages, chacune dédiée à un employé du service.
Curieux mais nerveux, je recherche la mienne.
Et la trouve.
"Baptiste Roths. 13 juin 1984. Entrée 2007. Profil H (phobies multiples : foule, hauteur, noir, espaces clos...). Efficacité basse mais quotas. Docile. Ponctuel."
Peu flatteur, certes, mais pas mensonger non plus. Rien de sulfureux, si ce n'est la mise en évidence de mon handicap qui confirme implicitement ce que je pensais quant à cette promotion visant ma démission. Hinergeld aura été renseigné à ses frais quant à ma docilité !
Plein de culpabilité mais incapable de me contenir, je fais défiler jusqu'à la fiche de Béatrice.
"Béatrice Rézon. 18 mars 1980. Entrée 2008. Mère célibataire. Efficacité moyenne. Docile. Ponctuelle."
Pas bouleversant d'inédit, mais c'est étrange de lire ce qu'un autre retient de nous et note en secret... D'autant plus que j'ignore si "fichesperso.doc" signifie "fiches du personnel" et a été transmis ailleurs ou s'il veut plutôt dire "fiches personnelles" et est resté dans le secret d'Hinergeld...
Rien de très compromettant, d'ailleurs et de toute façon.
Je soupire de frustration et achève ma lecture des derniers dossiers.
À minuit passé, j'ai les yeux qui brûlent et se ferment seuls, et il semble que je me sois épuisé en vain.
J'éteins.
J'avale mon comprimé et m'écroule dans mon lit sans demander mon reste et sans éteindre la lumière, mais cette fois-ci plus par habitude que par nécessité.
Mais c'est la dernière pensée qui traverse mon esprit avant qu'il ne sombre dans l'inconscience.
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