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Je passais mon temps à me morfondre, rayant les murs de ma cellule à la craie, cherchant à compter les jours, qui n'avaient pourtant plus aucun sens pour moi. Chaque jour me paraissait interminable, j'étais juste noyé dans la souffrance. J'étais noyé dans le regret, dans un regret impossible à effacer, un regret couronné de remords.  J'avais brisé une vie, une âme, volé une innocence, un enfance, pris en otage un bonheur. Et j'étais maintenant prisonnier du sort.

Ce que tu fais on te fera.

Cette phrase était ma réalité. Cette phrase tournait en boucle dans ma tête, me remettait les pieds sur terre. Ma seule volonté se nommait "fin".  Je voulais la fin de ce calvaire éternel. J'étais Sofiane, seul dans sa cellule, seul face à la dureté du monde, seul face à ma réalité. Seul face à mes erreurs  de jeunesse , face à mes erreurs qui suscitaient en moi la plus grande des tristesses existantes, cette tristesse faisant couler une rivière de mes yeux.

J'étais le matricule 29-09-2342 alias Sofiane Ben Salah. J'avais perdu mon identité, j'étais un nombre parmi tant d'autres, la victime du mal parmi tant d'autres. J'étais ordinaire, tant d'autres avaient subi ma situation, mais aucun n'avait été épargné.

Il était quel jour ? De quel mois ? Depuis combien de tant étais-je enfermé ? Quel âge avais -je ? A qui manquais-je ?

Je n'en savais rien. Et c'était sans doute mieux comme ça. Si je le savais, j'aurais assurément été dépité. Je n'avais plus qu'à attendre, repassant en boucle les souvenirs de Ritedj et Nedjma.

-"Pouah, Ritedj, tu sens ! T'es rien, si sincèrement tu penses que quelqu'un te respecte, tu peux bien rêver! "

Tous mes amis avaient ri. Ritedj au centre du cercle, avait les cheveux pleins de boue, arrosant le sol de ses larmes. Ses lèvres s'agitaient, prononçant les plus belles prières. Ritedj était seule, avançait seule. Elle était    vulnérable.   La vulnérabilité atteignait ce genre de personne, non ? Elle était seule, sans défense. Elle était seule, et aimait ça, car ses pensées voguaient librement, sans influence. Et moi , je pensais que c'était l'occasion de jouer. De s'amuser, de sourire, d'enfin dire tous ces mots violents que je me forçais à retenir en moi. D'enfin pouvoir  être craint.

J'avais eu ce que je voulais. Sans me soucier des conséquences. J'étais l'incarnation du sens du mot " justice" .

Les souvenirs restaient. Et plus le temps passait, plus mon remords s'agrandissait. Et des fois, je criait son nom. Leurs noms. Je ne pensais qu'à elle, de temps en temps songeant à ma mère. Ma tendre mère,la plus belle femme ici-bas. La seule femme capable de pleurer autant pour moi, la seule femme que j'ai aimé de la sorte, la seule femme ayant versé des larmes le jour de mon enfermement. Yemma , Ritedj, Nedjma, Yasmine. Yasmine, ma sœur qui me manquait tant. Ma sœur qui avait senti le danger en Nedjma, en cette femme trompeuse.

...

Puis, un jour, vint la lumière dans le noir. La porte de ma cellule s'était ouverte, brusquement, de façon si décisive qui m'avait donné tant d'espoir. Mais l'espoir tuait. 

J'étais à genoux, la barbe m'arrivait au nombril,  emmêlée, sale. Je sortais enfin d'ici. La grande bande de lumière si claire et aveuglante, avait illuminée aussi bien  la pièce que ma vie. J'avais l'impression de revivre, les yeux orientés vers le plafond, faisant l'éloge du ciel.

Un rire moqueur s'est échappé de la bouche du garde. Mais peu m'importait, cette lueur qui caressait mon visage était si douce, que quoi que l'on me dise, je m'en fichais.

Un garde à ma droite et un autre à ma gauche, je fus traîné dans une partie de la prison que  je ne connaissais pas. C'était un endroit fait de couloirs, remplis de portes avec des noms qui m'étaient étrangers. Au bout du couloir, se trouvait une grande porte, estampillée d'un nom et de l'inscription " DIRECTEUR PÉNITENCIER ". 

Les gardes ont toqué, puis ont poussé le  battant de métal, mon cœur battant la chamade. On a franchi le seuil, sans que je regarde devant moi. J'avais si peur, je me mordais la lèvre, dans l'attente d'une parole, d'une sentence, de quoi que cela soit, sentant les regards rivés sur moi, et l'atmosphère haute en pression. 

Une claque atterri dans ma nuque, avec l'ordre de regarder devant moi. Je me suis retrouvé face à un homme ayant entre quarante et cinquante ans, au nez aquilin, et une petite barbe poivre et sel, bien taillée, assortie à ses cheveux. 

-"Faites vos adieux à cette prison. " 

Il jeta un document devant moi, que je pris du temps à déchiffrer, tant j'avais perdu mes capacités, j'étais presque devenu analphabète. Puis, je pus lire le mot qui me sauvait. 

J'avais été innocenté. 

Le directeur me regarda, impassible 

-"Ce n'est pas pour autant que tu retrouveras ta vie d'avant. Ne t'attends pas à ce que tout redeviennes normal. Cela ne se passera pas comme ça. " 

Les yeux vairons de l'homme me toisaient, avec mépris. Mais, j'allais sortir d'ici. 

Sortir

Sortir...

Je pourrais devenir fou. J'allais sortir de  là, troquer l'air vicié marin contre l'air pur de dehors. 

En deux ans, je n'avais même pas fait une promenade, j'étais flasque, mon cœur, mon corps et mon âme étaient amochés, cherchant quelque réconfort dans l'espoir, dans les rayons de soleil qui s'infiltraient à travers les barreaux de mes fenêtres. 

-"Remmenez-le à sa cellule. Pour la dernière fois. "

Avais -je bien entendu ? Pour la dernière fois ? Peut-être que j'allais brusquement me réveiller, et réaliser que quatre années m'attendaient encore ? Serais-je capable de trouver le sommeil, malgré cette excitation? 

Je n'en savais rien, j'avais même un petit peu d'appréhension à l'idée que tout pourrait s'envoler en fumée. Mes pieds traînaient sur le sol, mes bras étaient tirés par les gardiens, je me sentais comme un pantin désarticulé. 

Mais c'était fini. Cette sensation de froid que je ressentais chaque soir, emmitouflé dans une maigre couverture, à même le sol, n'allait subsister qu'en  souvenir.  

Allongé sur le sol, j'ai caressé la pierre, ancrant chacun de ses détails dans mon esprit.

J'allais devoir regarder en arrière pour garder les pieds sur terre. Je devais apprendre de mes erreurs. Regarder en arrière me montrerais ce qui m'attendais, j'avais en moi cette intime certitude. J'avais aussi la certitude que mon teint était blafard, sans couleur, presque gris. 

Il ne me restait plus qu'à dormir. A attendre. 


...

C'était chaud. Je sentais du chaud, brûlant même, contre mes mains, contre mon corps. J'avais la tête qui tournait, je la sentais encerclée d'un tissu lourd. 

Où étais-je ? Tout était brûlant autour de moi, et je percevais quelques petites choses se déplacer. 

Je me suis relevé tant bien que mal, cherchant appui dans...Le sable ? C'était du sable? 

Oui, c'en était. Tout n'était qu'étendue de sable d'or autour de moi. 

J'ai levé les yeux. Pour les rebaisser, le soleil qui rayonnait m'aveuglant. L'air  était lourd, chaud, asphyxiant. J'ai regardé autour de moi. J'étais de nouveau seul. Seul dans une étendue si paisible, dans un silence total. C'était une solitude douce. Si la soif n'avait pas été présente, je serais resté ici des heures et des heures, contemplant les grains monter au ciel, soulevés par un léger vent. 

Une douce brise chaude fit trembler mes vêtements. J'étais vêtu d'une tenue bleu roi, contrastant avec le désert aride. 

J'ai commencé à avancer. Pour aller où ? Je ne savais pas. Mais il fallait bien aller quelque part. J'irais là où personne ne m'attendrait. Peut-être que demain serait meilleur. Peut-être un jour recroiserais-je Ritedj et lui présenterai-je mes excuses. Ou peut-être qu'à sa vue, mes lèvres trembleraient. Tant de haine, pour aboutir à tant de regret. Tant de mépris, pour aboutir à tant de karma. 

J'étais loin d'elle, mais elle était près de moi. Elle suivait chacune de mes pensées. Elle était dans mon ombre, me guettant. Elle était en moi, elle était dans ma peau, sans que je l'aime. 

Les seuls sentiments que j'éprouvais envers elle étaient de l'empathie et du remords, et pourtant, ces seules choses suffisaient à faire d'elle un fantôme hantant mon âme. 

J'avançais. Je regardais le sol, dans lequel les chaussures de cuir marron reliées de fil de couleur laissaient de profondes traces, presque immédiatement recouvertes. J'errais . 

J'avais été jeté dans le désert, dépourvu de tout, muni de ma seule et unique volonté de survie. Parfois, je regardais à l'horizon , et je voyais quelques oiseaux. Leur doux pépiement remplissant de temps en temps l'atmosphère. 

Puis la nuit tomba. Je n'avais fait que marcher, aucune source ne s'offrant à moi. Je marchais dans la nuit noire, guidée par la seule lumière des étoiles et de la Lune qui brillait. Elle était si ronde et belle, projetant sa lumière sur moi, le désert devenant ma scène. J'étais sous les projecteurs, sous les projecteurs du ciel, chacun de mes faits et gestes étaient observés. Peut-être elle aussi était-elle au ciel, me regardant de près, admirant l'homme qu'elle avait tant aimé, devenu si pitoyable. Pensait-elle à moi ? 

Une étoile brillait dans le ciel, plus grosse que les autres. C'était elle qui projetait le plus de lumière, me guidant dans le noir. C'était si paisible d'être ici. J'avançais lentement, détaché de tout, avec un mal à saisir le présent. 

Pourquoi marchais-je ? A quoi cela servait -il ? Où allais-je ? Si quelques heures plutôt j'en avais eu la réponse, elle s'était envolée. 

Je me suis assis dans le sable, en plein milieu de l'étendue de sable. La tête me tournait, était-ce à cause de la fatigue, de la soif ou de Ritedj ? J'avais complètement changé d'idée entre ce matin et  maintenant. 

J'ai récité quelques versets, implorant le ciel et celui qui se trouvait au-dessus des sept couches de cieux superposées. Mes paupières sont tombées et je me suis senti partir. 

-"Sofiane, So..Sof...Sofiane..."

La voix de la jeune fille était hachée de sanglots. Elle se tenait debout devant moi, tremblante et baissant les yeux. Je ne voyais rien de son visage, et rein non plus de son regard vert à l'éclat terni. Personne ne me connaissait comme elle me connaissait. Elle avait vu- même subi- mon côté malsain. Elle était l'incarnation du manque de confiance que j'avais en moi. Je lui passais tout dessus. 

Elle, son moyen de s'évader, d'oublier sa nullité était d'écrire. Moi, c'était de lui faire du mal. C'était dur  à dire, honteux à avouer, mais j'aimais la voir dans de tels états. C'était si bon de se sentir craint. Dès que je m'approchais d'elle , elle baissait les yeux, et je pouvais y apercevoir de la peur. Elle était si oppressée par ses sentiments. Elle m'aimait. C'était triste pour elle, inutile pour moi. 

Je tenais sa feuille dans la main. Une demi feuille, remplie de son écriture, une écriture vive et noire. Les premières phrases était si ridicules mais si poétiques : " Tu es si près de moi, mais moi je suis si loin de toi. Pourquoi ne puis-je être réunie avec toi ? Pourquoi le destin s'est montré si cruel ? Mais l'amour impossible, notre amour impossible, restera le plus bel amour possible à vivre.  " 

Des phrases "made In bel 3abas". C'est ce que j'ai tout de suite pensé. Cette fille s'inventait des vies, cette fille se voyait à travers des gens inexistants, des gens faits de mots. C'était une fille faite de solitude. Une fille faite de rien, faite d'envie, faite de désir. 

Elle me désirait moi. Un désir impossible que jamais elle n'assouvirait. 

Je l'ai regardée. Elle pleurait, attendant une nouvelle torture, tout les collège en cercle autour de nous, les adultes inattentifs à sa misère. 

-"  Ecoute-moi bien Ritedj. Ritedj sans famille, Ritedj sans nom. Ecoute-moi. Tu ne vaux rien. " 

J'ai prononcé ces mots comme un juge prononçant une sentence. Je l'avais condamnée. Un rire s'est élevé dans la cour de récréation, les murmures se faisaient nombreux, et certains demandaient " il a dit quoi ? " et réponse leur était donné, et raison m'était donnée , à moi. 

"J'l'ai brisée. " 

C'était ce que je me disais chaque soir. Et chaque bout d'elle s'attachait à une chose différente, chaque morceau s'attachait à un de mes mots, à un des mes regards. Et Ritedj endurait ça. Parce qu'elle aimait que je lui parle, elle aimait que je lui témoigne de l'attention. Elle aurait voulu de l'affection, mais elle avait de l'attention. N'était-ce pas mieux que rien ? Je lui faisait vivre la misère, mais n'aurait-elle pas été plus malheureuse si je ne lui avait témoigné aucune attention, si j'avais ignoré son existence ? 

Mais je n'aurais jamais pu ignorer son existence. Elle était si remarquable, si pitoyable, à rester assise seule, sur un banc, dans sa solitude, parlant dans le vide, s'imaginant à la place de ses personnages. S'imaginant dans leur bras, s'imaginant dans les miens. Elle imaginait mes lèvres contre les siennes, dans un baiser si doux, si passionné, un baiser qui la comblerait pour toute la vie. 

Elle a tremblé, puis s'est écroulée. Elle a tremblée, puis a encore pâli et a abandonné toutes ses forces, secouées de spasmes. Elle s'était évanouie. 

Plutôt que de me blâmer, les gens ont ri. 

-"Regardez comme elle est ridicule" 

-"Pouhahahhaaa"

-"Bah, comme elle est faible! " 

-"Sofiane a raison sur toute la ligne ! " 

-"Bah, elle croit vraiment avoir les sentiments de Sofiane, cette conne? !"

Quelques uns se sont  avancés pour donner un coup de pied dans son corps. Elle allait se réveiller avec de vilaines marques de bleus. Mais était-ce mon dos ? Était-ce mon corps ? Non. Moi, je ne subissait rien. 

...

Je ne subissait rien. Le passé était parfait à employer. 

Quel rêve j'avais fait. Même dans mes rêves, les souvenirs revenaient. Même dans mes rêves, j'était le mal. Il fallait que je rêve du passé...Alors que je tentais de  l'oublier. 

Au dessus de moi, le ciel s'éclaircissait, le soleil se levant , mais il faisait tout de même nuit. J'étais couvert de sable, et mes yeux me piquaient. Pourquoi tout ne pouvait-il pas s'arrêter ? Pourquoi ? Dans cette étendue de sable, il n'y avait donc pas une seule personne pour me venir en aide ? Pourquoi étais-je tant en détresse ? 

J'ai défait mon turban et j'ai agité mes boucles brunes. Elles n'avait quasiment plus de formes. J'ai touché mon visage, réalisant que ma barbe avait été coupée, ainsi que mes cheveux. J'avais retrouvé une allure d'adolescent. Je me suis relevé, titubant comme un ivrogne, cherchant mes repères, la tête tournant et les yeux voyant flou. C'était dur. 

Alors, c'était ça la Solitude. Alors, c'était ça la Détresse. Alors, c'était ça la misère, c'était ça la punition. C'était cela que ça signifiait "payer les frais".  

J'étais plein de courbatures, mon ventre était vide, ma gorge assoiffée. Mais aucune source, aucun gibier ne gisait ou ne coulait ici. 

Comme moi avec Ritedj. Aucune tendresse, aucune pitié n'avaient fleuri dans mon regard, ne l'avaient ne serait-ce que traversé. Rien. Nada. Walou. Je méritais ce qui m'arrivait, je méritais ma souffrance, je méritais. C'était un mérite que je pouvais largement m'attribuer, un mérite dont personne d'autre ne voudrait. 

J'ai recommencé à marcher. Sinon , j'allais passer le reste de ma vie à me morfondre, et je devais bien aller quelque part . 

Quelque chose m'a grimpé dessus, me chatouillant dangereusement. J'ai baissé le regard, un cri s'échappant immédiatement de ma bouche. Une grosse mygale velue montait sur moi. Mon petit doigt me disait que Ritedj aurait bien aimé être à la place de cette géante araignée. J'ai secoué chacun de mes membres, en vain. Elle est rentré dans mes vêtements. Elle a fait le tour de mon corps. J'étais parcouru de frissons, en pleine phobie, sans pouvoir agir. L'idée de la toucher me dégoutait. Puis, je l'ai sentie s'arrêter dans mon dos pour me piquer. Elle m'a mordu, j'ai eu la magnifique chance de devenir Spider-Man. Plus sérieusement, j'ai senti mon corps s'affaiblir, secoué de spasmes. J'étais maintenant allongé au sol et l'araignée était partie, je la voyais courir sur le sable, tandis que moi je glissais pour avancer, perdant mes forces. Mes paupières étaient lourdes et je me suis de nouveau senti m'envoler, inerte. 

...

J'ai sursauté. Je sentais de nouveau le sable chaud, étouffant sous la chaleur moite. J'étais fatigué, mais pas autant que tout à l'heure. 

Prudemment, j'ai ouvert les yeux. Une silhouette était au-dessus de moi, une silhouette que j'avais du mal à distinguer. 

-" Ah, tu es réveillé. " 

La silhouette me parlait ? Je parlais avec un Inconnu au milieu du désert, avec quelqu'un dans le Sahara ? Il y avait quelqu'un dans cette étendue de sable ? Mais qui était-ce ? J'hallucinais ? 

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