{VI}
J'ai sursauté. Je sentais de nouveau le sable chaud, étouffant sous la chaleur moite. J'étais fatigué, mais pas autant que tout à l'heure.
Prudemment, j'ai ouvert les yeux. Une silhouette était au-dessus de moi, une silhouette que j'avais du mal à distinguer.
-" Ah, tu es réveillé. "
La silhouette me parlait ? Je parlais avec un Inconnu au milieu du désert, avec quelqu'un dans le Sahara ? Il y avait quelqu'un dans cette étendue de sable ? Mais qui était-ce ? J'hallucinais ?
...
J'ai frotté mes yeux, erreur que j'ai bien regretté. Le sable avait pénétrer mes yeux, me piquant et me faisant pleurer. Horrible sensation, mais je n'étais plus à ça près. La tête me tournait et je voyais très flou.
Un main se posa sur mon front, doucement.
-" Tu es brûlant, le frère. "
Je l'ai regardé, avec de grands yeux. C'était la première fois depuis deux ans qu'une peau entrait en contact avec la mienne. C'était doux, de redevenir humain.
La voix de la silhouette était un peu grave, on saisissait que c'était un homme, avec un fond d'amusement enfantin.
"-Reste allongé, ajouta la voix. "
Une giclée d'eau bien fraîche atterrit sur mon visage. C'était si doux, cette sensation qui m'avait tant manquée. Je ne revenais pas de tant me réjouir de cela. C'était de l'eau, j'en avais bu toute ma vie , mais une fois privé d'elle, je comprenais son importance, qu'on s'était pourtant efforcé de m'inculquer toute ma vie. C'était si triste de savoir que tout se retournait contre moi de telle manière.
J'ai entendu l'homme s'assoir à côté de moi et j'ai rouvert les yeux. Je le voyais à présent. Il m'a souri.
C'était un homme de mon âge, peu fourni en barbe, avec de jolie boucles châtains, à la peau caramel.
-" Ca va mieux ?
-Oui, répondis-je, troublé par sa familiarité. "
J'ai crié, surpris qu'il me parle. Il m'a regardé en silence, un sourire sur les lèvres, en cherchant mon regard que je détournais. Puis, finalement, incapable de résister à ma curiosité, je lui ai demandé:
-"Qui êtes-vous et qu'est-ce que vous faîtes ici ?
-Tu peux me tutoyer, et je te retournes la question. Si cela t'est réellement utile, je m'appelle Chamsudine. Je suis ici, c'est tout, je ne sais même plus comment. "
Il mentait, je le voyais dans ses yeux, ils avaient une lueur triste le trahissant. Pourtant, je n'ai fait aucune remarque.
-"Moi c'est Sofiane. "
Je lui ai juste dis ça, et il approuvé de la tête. Et ces seuls mots ont suffi à me donner envie de tout lui dire. J'ai hésité, me murmurant à moi-même qu'il ne fallait pas, sous son regard doux et compréhensif, lui qui pourtant ne saisissait pas un mot de ce que je disais.
J'ai expiré et inspiré.
-"J'ai été jeté ici par le directeur de la prison où j'étais détenu.
-Seigneur ! Qui m'as envoyé! ? "
J'ai ri. Malgré le malheur auquel j'avais à faire, j'ai ri. Il a dit ça si spontanément, comme si il ne croyait pas à ce que je disais. Pourtant, je savais qu'il était sérieux, il avait retrouvé ses airs stricts juste après.
Une petite brise est venue agiter ses cheveux, et le soleil rendit le châtain marron. Je me posais mille et unes questions sur lui, mais j'hésitais à les poser. A n'importe quel moment, il pouvait s'avérer un danger public. Mais il avait l'air si drôle.
Je me suis redressé. Je n'avais plus mal, j'étais juste engourdi.
Chamsudine dessinait dans le sol avec un bâton, comme un gamin dans un bac à sable. Il traçait des mots en arabe, et dès que j'essayais de les lire, il les effaçait, et je voyais comme une goutte de sueur perler sur son front.
D'un coup, il m'a regardé, la curiosité au fond des yeux.
-" Et comment as-tu fini en prison? "
Je suis resté silencieux. J'avais peur de sa réponse, j'avais la peur du ridicule. J'ai senti ma voix de casser dans ma gorge et j'ai lutté contre les pleurs qui faisaient trembler ma mâchoire.
-" Une...Une femme... Elle m'a envoyé là-bas... J'ai été accusé du jour au lendemain... "
Je parlais difficilement, alors que tout était net dans ma tête. Pourtant, il me comprenait. C'était écrit au fond de ses yeux. Et dans les miens, des larmes débordaient, confirmant la véracité de mes faits. J'ai baissé la tête, laissant le silence s'installer, un silence pourtant plein de paroles.
Lui souriait, et j'ai pris le temps le temps de le regarder. Il était marocain, c'était écrit sur son visage. Il était bien beau, et bien jeune pour se retrouver ici. Il devait avoir deux ans de moins que moi. Il portait une grande abaya blanche, brodée d'or et salie par le sable, comme celles que l'on portait lors de la prière du joumouaa, le vendredi à la mosquée. Elle allait parfaitement bien avec ses cheveux châtains aux filaments dorés. Il murmurait tout bas, en arabe, chantonnant.
J'ai soupiré. Voyant que je m'ennuyait, Chamsudine engagea la conversation.
-" Je suis marocain, et toi ?
-Tunisien, ai-je répondu, pensif.
-Je suis désolé, j'ai pas de harissa sur moi, fit-il avec un petit rire. "
Je l'ai regardé de travers. Avait-il un problème avec la harissa ? Si oui, on allait se battre. La harissa c'était très bon, elle était piquante comme moi, fraîche comme Nedjma.
Nedjma... Une larme a coulé sur mes joues à sa pensée. Chamsudine l'a vue et s'est penché sur moi pour l'essuyer. C'était doux. Cet homme était doux, j'en avais la forte impression.
-" Et cette...femme, comment était-elle? me questionna-t-il.
Nous étions au milieu du désert et voilà que j'allais lui raconter ma vie. Mais bien sûr ! Et le plus ironique est que je le fit.
-" Elle était belle. Elle était belle et trompeuse. Elle avait de doux air arabes, des cheveux auburn qui cascadaient sur ses épaules. C'était une artiste incomprise, une femme dont la parole était mélodique. Le soir, parfois, elle jouait au piano quelques chansons, et je l'écoutais secrètement, sans qu'elle le sache. Jamais je n'aurais cru qu'elle était telle. Elle était douce, ses doigts souvent parés de faux ongles glissaient sur les touches, et sa voix s'élevait, tel un instrument, et produisait le plus beau son du monde. Ses chansons étaient tristes, reflétaient la vie. Un jour, elle a dit ' Tes mots avaient comblé les fissures de mon cœur pour finir par les approfondir '. Ca m'a marqué, parce que c'est exactement ce qui s'est passé avec moi. Je pensais qu'elle allait me tirer vers le haut, me faire oublier un peu tout... "
Je me suis arrêté net. Chamsudine me regardait, et je voyais la compréhension dans son regard. Sans rien me dire, il s'est levé. Il revint, un peu d'eau fraîche entre les mains et me fit boire. Je ne savais pas vraiment qui il était, et lui non plus, et pourtant, il était là, à m'aider, m'avait même soigné, et maintenant m'écoutait raconter ma vie qui avait basculé du jour au lendemain, la vie d'un connard fini à la pisse qui ne savait pas se tenir, qui avait ressenti le besoin de passer son manque de confiance sur les autres. Sur Ritedj.
L'espace s'un instant, j'ai revu son visage, aux yeux rougis par les larmes, aux joues gonflées. Elle n'était pas moche, c'était moi qui l'avait enlaidie avec mon mal. Et avec tout ça, jamais elle n'avait cherché à se venger.
NON. Nedjma l'avait déjà vengée.
Chamsudine s'est approché de moi. Il a posé de nouveau ma main sur mon épaule, espérant une parole de moi. A la place, il eu droit à un rejet total, je l'ai repoussé du bras. Il m'a regardé avec ses grands yeux verts aux reflets noisette. Il savait bien que quelque chose n'allait pas. Il n'avait sûrement pas le cardio pour me follow.
-"Ecoute, Sofiane, c'est pas toi qui va donner la météo, fit-il , non pas agressif, mais plutôt doux. Je suis pas à ta merci, et crois-moi, ça t'arrangerais bien de m'avoir auprès de toi. "
J'avais envie de me tirer une balle. C'était si réel ce qu'il me disait. J'avais quoi à lui donner, moi ? Alors que lui connaissait cet endroit. Il connaissait ce désert aride. Le pire dans tout ça, était que malgré tout, j'étais ridicule. J'étais sorti de la prison, j'était libre, je goutais à l'air chaud, mais je ne représentais toujours rien.
Chamsudine me fixait. Il me fixait de ses prunelles si claires, si captivante. Il avait un peu de bleu dans l'iris. Cet homme était un mélange de tout, intouchable, incernable.
Il s'est levé, me faisant signe de le suivre. Très bientôt, une source apparut, et nous avons bu un peu. C'était bon, de s'hydrater.
On a continué à marcher, sans savoir où nous allions réellement, je me contentais de suivre Chamsudine, qui lui avait un petit sac à dos. Puis vint le soir, sans que nous ayons échangé ne serait-ce qu'une parole. Je brûlais d'envie d'en savoir plus sur Chamsudine, mais je ne savais pas vraiment comment l'aborder.
Quelques rochers se trouvaient là où nous nous étions arrêtés pour passer la nuit. Il a sorti la petite couverture sur laquelle j'étais allongé ce matin et nous l'a partagée, et on s'est allongés, en silence. Je pense qu'on a tous les deux fait semblant de dormir, plongés dans nos pensées troublantes chacun. On pensait tous les deux à nos vies, dos à dos, pensant que l'autre dormait. Parfois même Chamsudine murmurait quelque chose, murmurait un nom, sans que je le saisisse, et c'était toujours le même qui revenait. Tandis que moi, je pensais à Ritedj, n'éprouvant toujours rien envers elle, si ce n'était du regret. A un moment, il a commencé à s'agiter, pensant que j'étais dans un sommeil profond, et il s'est assis. Il murmurait de plus en plus fort, et je l'écoutais.
-" Ya... Amel... Pourquoi... Pourquoi suis-je devenu cette rature et toi ma plus grosse blessure ? Pourquoi le mal est-il si irréversible... Pourquoi es-tu devenue mon enfer ? Pourquoi? Pourquoi ai-je fauté ? Où n'es-ce pas plutôt toi qui a fauté ? A qui la faute ? A qui les peines ? Toi ou moi ? Cheplu... Putain je t'aime. "
Il s'est tut. Je l'ai senti trembler, et il a reniflé. Je me suis assis aussi, le surprenant. Lui aussi était un homme détruit.
J'ai soupiré. Il m'a demandé si j'avais tout entendu, et je ne lui ai pas répondu, je ne voulais pas lui mentir, mais je n'avais pas le courage du lui dire que oui. Je ne sais pas comment il a interprété mon silence, mais cela importe peu, puisque au final, on partage la même peine.
J'ai fini par briser le silence :
-"Au final, on est pareil. J'suis comme toi aussi, en moins amoureux.
Il m'a regardé, une larme à l'œil.
-Les femmes parlent de nous, mais elles ne sont pas mieux, en réalité, lâcha-t-il. "
On a ri. D'un rire triste et noir, d'un rire sanglant, qui montrait nos peines.
Puis, j'ai senti qu'il voulait ouvrir la bouche, qu'il voulait me parler, mais qu'il n'osait pas. C'était comme si il cachait quelque chose. Mais bon, à chacun ses secrets, je n'étais pas bien placé pour parler.
Je me suis rallongé, avec Ritedj dans la tête. Alors j'avais pour compagnon un homme brisé aussi. Ainsi allait la vie. On allait continuer cette traversée du désert, avec l'espoir de s'en sortir, un espoir qui nous tuerait.
Espoir...Comme Amel... El Amal...L'espoir.
Alors ainsi Chamsudine était fou d'une Amel, était fou d'un espoir.
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