{VII}
...
Je me suis rallongé, avec Ritedj dans la tête. Alors j'avais pour compagnon un homme brisé aussi. Ainsi allait la vie. On allait continuer cette traversée du désert, avec l'espoir de s'en sortir, un espoir qui nous tuerait.
Espoir...Comme Amel... El Amal...L'espoir.
Alors ainsi Chamsudine était fou d'une Amel, était fou d'un espoir.
...
PDV Chamsudine
Moi aussi, je me suis allongé. Je pensais à Amel, à ses douces boucles brunes, à ses doux yeux verts et noisettes, parfois même orangés. Elle m'avait séduit, je l'avais séduite. Un tort que je n'admettrais jamais. Jamais je ne pourrais assumer ce que j'ai fais, que ce soit devant Dieu ou les gens. J'avais honte. Je regrettais, j'avais mal. Jamais je n'aurais dû. C'était triste qu'une si douce histoire finisse de la sorte, mais c'était ainsi. Si je ne n'avais pas fauté, peut-être cela aurait-il été différent. Peut-être ... Si seulement...
Je ne trouvais pas le sommeil. Elle était beaucoup trop présente. Je la sentais près de moi, je sentais son souffle chaud dans le creux de mon coup, ses petits ronflements... Si seulement cela pouvait être réalité et non pas songe. Elle me manquait terriblement. Pour qu'elle me revienne, les plus belles poésies aurais-je pu lui écrire. Encore faudrait-il que, au milieu de nulle part, j'ai un bout de papier et un stylo.
Sofiane ronflait légèrement, à côté de moi. C'était un bel homme, seulement son teint avait été grisé par le manque de soleil. Mais ici, il ne tarderait pas à retrouver des couleurs. Je l'ai regardé dormir, en ayant pitié. Il ne méritait pas ce qui lui était arrivé. Il avait l'air si gentil. Je le connaissais à peine, mais j'avais envie de le protéger. Il était doux, avec ses grands yeux qui pleuraient quand il pensait à cette femme. L'amour était beau et terrible. Ou alors n'en étais-je pas digne.
Amel...
Son prénom signifiait espoir. Il lui allait tellement bien. J'avais espéré en elle, et elle aussi avait espéré en notre relation. Pour n'aboutir qu'à des éclats de voix.
-"Chamsudine! Pourquoi tu m'as caché ça ? Je ne méritais pas ta confiance, c'est ça ? Pourquoi ? Pourquoi ? Ce secret ne fait qu'ajouter de l'huile sur le feu, tu le sais ça ? "
Elle était en colère. Ses yeux aux multiples couleurs criaient. Ils criaient de colère et ils criaient à l'aide. Je le voyais. Mais c'était trop tard. Le mal était fait et on était dans notre délire.
A force de trop donner pour notre relation, malgré mon amour, j'ai fini par me lasser. C'était terrible de se dire que l'on pouvait être dans les feux de l'amour comme ça, pour terminer par ses crier dessus. Ma vie était terrible. J'étais terrible, un terrible être au cœur insensible à ses pleurs.
J'ai baissé les yeux. Je ne savais pas quoi lui répondre, mais de toute façon, elle avait enchaîné.
-"Tu es fou. T'es complètement taré. Dis-moi où on va, bordel. Tout ce qu'on a construit est devenu poussière. Tout ce qu'il te restera n'est que l'éclat de nos voix.
-Amel... Smehliya...J'voulais pas-
-Tais-toi ! Si c'est pour me dire ça, pourquoi parles-tu ? Ma parole c'est de l'or, la tienne fait du tort ! Je ne veux même plus te voir. C'est fini. "
On s'est quittés sur ça. Sur quelques mots sans sens, sur quelques mots qui ont détruit notre histoire. Certains m'ont dit que ce n'était pas la fin du monde, que je m'en remettrais, alors que je savais bien que sans elle je ne guérirais pas .
Je l'aimais. Mais c'était trop tard pour tout effacer.
" Ma parole c'est de l'or, la tienne fait du tort. "
C'était à 100% réel. J'avais tort, je faisais du tort. J'étais l'homme sur qui il ne fallait pas tomber.
Collé à Sofiane, je le suis senti trembler. Il y avait comme quelques sanglots coincés au fond de ma gorge. Pourquoi était-il avec moi ? Pourquoi me faisait-il confiance? Malheur à nous ! Malheur à nous !
Je savais bien qu'Amel était en cavale, qu'elle me cherchait, je savais bien que elle voulait me rattraper et me faire payer chacun de mes actes et mots en m'égorgeant. Elle était déterminée. Tous les sentiments amoureux l'avaient quittée, laissant place à la haine. Ou alors était-elle si haineuse car elle m'aimait tant ?
Je ne savais pas. Mais quoiqu'il arrive, cet élément ne changerais rien à m situation d'exilé. Mon périple dans le Sahara se résumait à un exil, un voyage forcé, j'avais battu en retraite. Je n'avais pas le choix si je voulais sauver ma peau.
Quelques larmes ont coulé sur mes joues. Des larmes de tort, de regret et de tristesse, au goût plus amer que salé. Avoir tort était un sentiment horrible, un sentiment incurable, amer, difficile à vivre. Etre triste affaiblissait, ôtait toute force. Et regretter me faisait avancer à reculons. Je me suis blotti contre Sofiane, cherchant les étoiles du regard, me demanda si j'n'avais pas fait n'importe quoi, Amel serait -elle une étoile dans la nuit noire pour moi ?
...
Le soleil brûla ma peau. Il était haut dans le ciel et j'étais couvert de sable. Il devait au moins être midi. Sofiane s'agitait à côté de moi et se grattait. Je l'ai secoué.
-" Lève-toi Sofiane !
-Orrrh, Bella3fomok, 3afak ! "
Quelle était donc cette agression?
-" Toza3likoum, akhi.
-Nordin bebek el kelb ! "
Je lui ai jeté mon regard noir le plus sombre possible, puis nous avons ri. Le sort avait beau avoir été méchant avec nous, nous essayions de rester épanouis. Effort sur nous, mais non ! J'ai encore ri, sèchement. Puis Sofiane m'a regardé et m'a réinsulté. Je lui ai craché dessus avec mon plus joli " Tfou". Il a eu un fou rire après une moue de dégoût.
J'ai sorti de mon sac un peu de pain et je lui en ai donné. Il le mangea vivement pendant que je pliais la couverture et la secouait. Je la remis dans mon sac et fit signe à Sofiane de venir avec moi. Nous avons repris notre traversée, dans une ambiance amusée mais nuancée de tristesse. J'avais trouvé quelqu'un qui partageait mes souffrances, au milieu de nulle part. Comment croire au hasard après tel miracle ?
Sofiane marchait de travers, il avait un peu la tête qui tournait, qu'il me dit. Il regardait l'horizon. Il regardait l'horizon, un horizon que lui et moi espérons être meilleur.
Pourquoi j'espère tant ? Je sais très bien que tout est déjà foutu, que quelque part les autorités m'attendent, que elle, elle me cherche. J'suis brisé, c'est terminé. Je suis brisé et mes éclats ont été couverts par le sable. Je suis l'oubli, je suis le prix, je suis la chute du livre. Un chute travaillée, une chute terrible et aberrante, mais méritée.
Mon compagnon me regarda tout à coup. Ses yeux me disaient qu'il voulait parler, qu'il se sentait seul, abandonné. Je voulais bien lui parler, mais de quoi ? Je n'étais certainement pas capable de lui conter mon histoire, de lui dire que une femme nous cherchait, qu'elle avait la haine, l'envie de tuer, la rage de venger. La vengeance est un plat qui se mange froid, alors j'allais manger du surgelé, je suppose. je n'avais même plus la force de fuir.
On a continué à avancer, le silence occupant nos paroles. Puis, Sofiane brisa cette quiétude.
-" Ainsi, tu es fou d'un espoir... me fit-il, cherchant clairement à me cuisiner pour en savoir plus.
-Ainsi, je suis fou de regret. Ainsi, j'ai eu tort, ainsi, je suis détruit. Ainsi... Tu partages mes peines. "
J'ai été sec avec lui, mais ça ne l'a pas dérangé. Rien ne le dérangeait. En même temps, après ce qu'il avait vécu ...
On a avancé, avancé, se racontant quelques anecdotes sans valeur. La nuit tomba très vite. On a encore marché un peu, parce que Sofiane était déterminé. Je regardais le sol, quand il m'appela.
-"Chamsudine ! Regarde au loin ! "
J'ai regardé là où il me pointait du doigt. Une fumée s'éleva de là-bas. C'était comme si un feu de camp brûlait. Sofiane a commencé à courir, en soulevant des nuages de sable qui m'atterrirent dans les yeux, m'aveuglant temporairement. J'ai couru aussi, sans vraiment voir où j'allais, erreur que j'ai payée. J'ai trébuché et j'ai dévalé une pente en roulé boulé. Des rires se sont élevés, nombreux. Moi aussi j'ai ri, tellement je devais être ridicule. Ma djellaba devait être jaune soleil. J'ai frotté mes yeux, et ça y est, miracle, j'ai retrouvé ma vision. Une vingtaine de personnes étaient en cercle autour d'un feu de camp ardent. Sofiane se tenait debout, devant eux, les boucles lui cachant le visage.
Chacun des hommes portait un turban et du khôl, et tous avaient le teint caramel, voire métissé. Nous avions à faire à des nôtres, à de joyeux arabes, munis de babouches aux pieds. "Gare à nous", me souffla Sofiane dans l'oreille avec un sourire jusqu'aux joues.
-"Assalamu a3leykoum, nous salua celui qui était au centre du cercle.
-Wa a3leykoumu salamu, avons-nous répondu en chœur, Sofiane et moi.
-A qui ai-je l'honneur ?
-A Chamsudine et Sofiane, répondis-je, faisant semblant d'être calme devant son air grave.
-Asseyez-vous. "
Nous avons obéi, en stress, tout se déroulant très vite. Sofiane commençait à douter de sa bonne idée d'aller vers eux et leurs caravanes alignées et leur chameau. Lui et moi échangions des regards attentifs.
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