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...

-"Ca va Sofiane ? Tu as crié, ça m'a réveillé.

-J'ai...J'ai crié ?

-Oui, un nom. Celui de Ritedj. Qui est-elle ? "

J'ai fait le tour de la pièce avec mes yeux, pour m'assurer que personne hormis mon amine s'y trouvait. Je ne pouvais plus lui cacher les raisons de Nedjma, les raisons pour lesquelles j'étais brisé. Je devais bien lui avouer, tôt au tard, que moi aussi j'étais un connard.

-"Bon..."

...

-"Tu vois...fis-je prudemment. La femme qui m'as brisé, qui m'as détruit, qui m'envoyé au habs en complotant ? Elle m'a fait tout ça pour Ritedj. Elles sont sœurs. Ritedj, c'était une sans-famille, à la base. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé. J'n'en sais rien et je n'en veut rien savoir, sans ne ferait qu'amplifier ma malheur. 

-Mais tu as fait quoi à Ritedj ? 

-Dans mon rêve où dans la réalité ? 

-Ah parce que tu lui as fait quelque chose dans ton rêve ? 

Je suis devenu tout rouge. Pourquoi avais -je posé cette question stupide ? 

-Aller, range ta fierté et dis-moi tout, insista Chamsudine. Imagine que j'ai une paire de lunettes sur le nez, que je ne sers à rien. Je suis ton psychologue. OK ? 

-Ok, approuvais-je. Ritedj elle était amoureuse de moi, au collège. Elle m'a donné son cœur sur un plateau d'argent, et moi je lui ai donné ma haine sur un plateau d'or en retour. 

-Grrr, bourreau des cœurs. Sofiane le tombeur. Cœur sur plateau d'argent. Plus sérieusement, se reprit-il. La suite ? 

J'ai gardé le silence. J'avais l'impression de ne plus avoir d'existence. 

-Arrête de me laisser danser dans tes silences, Sofiane. Parle avant que j'aille chercher la babouche avec la semelle de bois. 

-Chamsudine la menace, lui ai-je dis ironiquement. Je l'ai harcelée en retour, j'ai ruiné sa scolarité, sa réputation, sa vie, et peut-être même ses études supérieures. J'ai lancé des dizaines de rumeurs sur elle. J'ai monté tout le monde contre elle, dans les couloirs, elle se faisait pousser, même le personnel du collège souhaitait s'éloigner d'elle. J'crois même qu'un moment elle avait fait une phobie scolaire, elle ne voulait plus aller à l'école, on la frappait pour qu'elle y aille. "

Chamsudine avait la bouche grande ouverte. Peut-être ne me pensait-il pas comme ça. Il s'est levé faisant le tour de la pièce, tel Victor Hugo dictant ses romans. Il avait la main sur le menton. Ses boucles étaient déformés, il avait de grosses cernes, on aurait dit qu'il était défoncé. 

-"Sofiane... T'es un gros connard en fait. 

-Nan, jure Wallah ? Tu m'apprends vraiment quelque chose. Merci pour ton soutien. "

 je me suis retourné sur le sedari, regardant le mur. Je savais que Chamsudine avait raison, et c'était ça qui me blessait. J'avais besoin de me voiler la face. J'avais besoin de me dire que je n'étais pas celui que j'étais. J'avais besoin de me dire que tout allait bien qu'on allait m'aimer. 

-" Donc toi aussi t'es parti jouer  avec des cailloux alors que ça se voit, Ritedj c'était une perle. Elle a enduré tout ce que tu lui as fait, en continuant à t'aimer, alors ? 

- Oui. Elle préférait ça plutôt que j'ignore son existence. Je suppose qu'elle était aveuglée par les sentiments parce qu'elle savait que je n'étais pas vraiment comme ça. T'as raison, j'suis un connard, j'aurais dû te le dire plus tôt. 

-Eh bah, Sofiane, ne te reste plus qu'à te lever avant l'aube pour que le ciel te pardonne. "

Il est venu s'assoir avec moi sur le sedari. 

-"Fuis le passé, il te rattrapera. Trouve- toi mille et une excuse et enchante t'en pendant mille et unes nuits comme Shéhérazade l'a fait avec le contes pour son mari, tu seras quand même coupable. Fallait réfléchir avant d'agir pour éviter de fini brisé. T'es devenu le reflet de Ritedj. "

Une larme a coulé sur la joue, sans qu'il le voit. Ma tête résonnait, les mots de Chamsudine se cognant à ma réalité. Tout était vrai, j'avais détruit deux vies, la mienne et celle de Ritedj. Était-elle encore vivante ?  J'avais construit ma propre perte. Au final, pourquoi devrais-je vivre ? 

Il s'est levé et est reparti sur son sedari pour retaper un somme. Le soleil n'avait même pas commencé à se lever. Je me suis levé, pour faire face à la fenêtre. J'ai regardé le ciel. Ya rabbi *, où allais-je ? Vers où le destin que tu m'avais préparé allait-il me mener. J'allais devenir fou. 

Je pense que je suis resté une bonne heure devant cette vitre, à contempler les paysages comme j'avais contemplé le déhanché de Nedjma et les larmes de Ritedj. On toqua à la porte, alors que Chamsudine ronflait. Je l'ai secoué et il m'a giflé. 

-"Est-ce que c'est légal de réveiller les gens de la sorte, même ? J'vais l'dire !"

J'ai claqué mon meilleur fou rire, sous les yeux indignés du vizir qui était entré. Chamsudine et son insolence nous mettaient parfois dans des situations désolantes. Nous avons de nouveau suivi cet homme à travers son labyrinthe. Je n'en pouvais plus de ces couloirs sans fin. Il nous amené dans une pièce pleine de vêtements et a dit quelque chose à Chamsudine. 

-" Il a dit que aujourd'hui, c'était les préparatifs de son mariage. Il veut que nous l'aidions. 

-Ca ne me dérange pas, répondis-je. "

Si, ça me dérangeai, mais cet homme était de pouvoir, il pouvait m'arriver malheur si l'idée de le contrarier me prenait. J'étais fou, mais pas à ce point-là. 

On est sorti dans la grande cour. Le peuple s'affairait, disposait des tables, faisait de la place. Tout allait être plus que somptueux. L'espace d'un instant, j'ai vu Nedjma et moi sous l'arche qui était préparé. Ca aurait dû être nous. C'aurait dû être nous qui célébrons nous union, devant Dieu et nos familles. Mais malheureusement c'était impossible, je le savais bien, je pouvait le nier autant que je voulais, elle est moi, c'était une histoire sans début ni fin. Chamsudine s'est penché vers moi:

-"Tu penses à quoi ? 

- A ton avis, yel hmar ? J'suppose que toi tu penses à Amel. " 

Il avait une petite larme à l'œil  à cause de moi. 

Amel... Je me demandais comment elle était. Pourquoi Chamsudine l'aimait tant. 

Les gens étaient bien trop rapides, nous ne servions à rien, alors on s'est assis. J'ai pris mon courage à deux mains. 

-" Dis, Chamsudine ? Pourquoi es -tu aussi fou d'Amel ? 

- Parce que. Elle était belle, douce et gentille. Elle riait facilement. Elle prenait en charge toutes les responsabilités nécessaires, elle m'aimait plus que sa propre vie. J'étais l'homme idéal à ses yeux, mais j'ai abusé d'elle. On est pareil toi et moi, on a foiré nos relations. "

J'ai regardé les larmes couler sur les joues de Chamsudine. Doucement. Je les ai essuyées, et il m'a souri. C'était triste. On était des shmetts, des hommes sans virilité. On avait tout perdu, alors on s'en fichait un peu. 

Un nouveau festin nous attendait pour ce soir. Je n'y suis pas allé. Je ne supportais plus les évènements mondains. J'avais juste envie d'un bol de harissa et d'un sommeil. Celui cette nuit avait été agité dans tous les sens du terme. Je l'avais revue, de nouveau soumise à moi. Cette sensation d'être craint me manquait. Je me rappelais clairement de la peur qui envahissait ses yeux verts, de cette sensation de domination... 

Ca me manquait, j'en redemandais. Aussi terrible que cela puisse paraître, ça m'avait donné confiance en moi d'avoir ce comportement, que quelqu'un me craigne m'avait fait me sentir puissant. Puis, quand Nedjma m'avait voulu, j'avais eu l'impression d'être le roi du monde. J'avais eu l'impression d'être le plus beau, le plus désiré, alors que je n'étais qu'un homme ordinaire. 

"-Allez, Sofiane, à probablement jamais. "

Ce fut ces seuls mots qui sortirent de sa bouche lorsque les autorités me menottèrent après mon procès pour m'emmener en prison. La juge avait tapé la table avec son petit marteau, proclamant 6 ans de peine ferme et 3 ans de sursis. J'avais été accusé d'avoir participé à un attentat terroriste. Je n'avais rien fait de tel, mais Nedjma s'est chargée de s'occuper du cas pour que je finisse derrière ses barreaux noirs faits de métal incassable. Un complot. Voilà ce que c'était. Et moi, je l'avais regardée, avec mes grands yeux peinés, éperdument amoureux. Elle était belle. Même avec son sourire satisfait machiavélique elle était magnifique. C'était la plus belle femme que j'ai jamais croisée. 

J'étais bête. Pauvre de moi, pauvre de ma bêtise. Moi, seul, enfermé dans cette pièce, à l'écart des gens, moi pauvre Sofiane Ben Salah. J'étais triste. Mais heureux de me retrouver un moment avec moi-même. J'acceptais enfin de devoir me construire seul, de me bâtir seul. Je n'avais pas d'ami portugais, alors je devrais pour de vrai me bâtir et me consolider seul. Mais je savais que le ciel veillait sur moi. 

La porte s'ouvrit brusquement et Chamsudine apparut, les cheveux en bataille et de l'huile d'olive dans la barbe. J'ai ri. 

-"Nan sérieux Sofiane, viens, la fiancée du vizir est arrivée. "

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