{XI}
...
La porte s'ouvrit brusquement et Chamsudine apparut, les cheveux en bataille et de l'huile d'olive dans la barbe. J'ai ri.
-"Nan sérieux Sofiane, viens, la fiancée du vizir est arrivée. "
...
-Et donc?
-Bah, viens la voir ! Tu vas juger sa beauté par toi-même. J'ai pour obligation de te ramener avec moi. "
J'ai suivi Chamsudine à travers les couloirs. Il courait, je ne savais pour quelle raison. Ca puait, tout ça.
-"Comment tu fais pour te repérer dans ce labyrinthe sans fin ?
-J'y vais au feeling !"
On était bien foutus, dites donc. Il déambulait sans savoir où il allait, mais pourtant il trouva quand même le bon endroit. C'était la grande salle aux battants de métal, dans laquelle nous avions soupé le premier soir. Nous avons reprit nos places de cette fois-là.
-"Prépare-toi, me souffla Chamsudine à l'oreille. Elle va entrer. Voyons si le vizir a raison de se vanter. "
Des bâtons martelèrent le soleil, les tambours retentirent et les mains claquèrent pour l'accueillir. L'entrée opposée de la salle fut ouverte, et un cortège entra. Une vingtaine de femmes en accompagnait une autre, qui pinçait sa robe du bout des doigts et dont la traîne était soulevée par deux autres femmes. Son visage était caché par un mince voile presque opaque. Elle portait une couronne de saphir, et sa robe était du même joyau et d'argent. C'était trop de majestuosité pour moi. Elle était éblouissante, plus belle que Nedjma. Elle vint s'assoir au bout de la table, à côté de son bien- aimé au regard ébloui. A vrai dire, chacun l'admirait, sans même qu'elle ait dévoilé l'entièreté de sa beauté. Une des femmes qui soulevait sa traîne vint derrière elle, et lui ôta doucement et prudemment le voile qui couvrait sa face.
Ma cœur a fait un bond. Sous les regards indignés, je me suis précipité hors de la salle. J'ai vomi toute la harissa que j'avais engloutie. Ca m'a brûlé, plus la harissa que les sucs gastriques. Agenouillé dans le couloir j'ai senti les larmes déborder de mes yeux. Tant d'ironie du sort.
J'ai entendu des bruits de talons, je me suis retourné. La fiancée était là, tenant sa robe. Elle me regarda avec pitié, comme elle l'avait toujours fait.
-"Fuis le sort, et il te rattrapera. L'ironie te tombera toujours dessus. Tu es condamné. "
Elle prononça le dernier mot avec lenteur et gravité. Je sentais mon âme chavirer, mon cœur se briser. Il était si serré dans ma poitrine, il était comme pris dans un étau. Quand ce calvaire finirait-il ? J'étais sien à jamais, je le savais.
Elle s'est tournée, après m'avoir considéré, moi Sofiane Ben Salah, pitoyable. Aurais-je de nouveau droit à la distinction et l'honneur ?
Je me suis écroulé, les quatre appuis au sol, l'arrosant de mes larmes. Pourquoi? Pourquoi ? Au final, n'aurais-je pas pu éviter tout ça en restant seul ?
Chamsudine m'a rejoint. Me voyant pleurer, il a tout compris. Il m'a caressé le dos, m'apportant tout le soutien qu'il pouvait. Je l'ai regardé, sans vraiment le voir, tant ma vision était brouillée.
-" Ya, Soufiene... Tout ira bien... Tu la voulais, mais tu ne peux pas l'avoir. Elle est avec un autre, c'est la fin pour votre histoire... Ca y est, elle va t'oublier et tu vas pouvoir faire une croix dessus. C'est fini. Hatha huwa al-nihayah. C'est la fin. "
J'étais secoué de spasmes. Elle avait vengé en brisant, avait commis le pire des vices, et elle avait droit à tant de distinction, tant d'honneur, tant de bonheur, tant de confort.
Hatha huwa al-nihayah
Mais moi, je ne voulais pas que ça se finisse. Je voulais la ressentir près de moi, revoir celle que j'ai aimée. Pas la sorcière qui a comploté, mais la femme tendre qui sommeillait dans ce corps si délicat. Si c'était la fin de notre histoire, alors c'était aussi la fin de ma vie.
...
J'ai sursauté, me débattant dans le vide. Une grosse claque atterrit sur ma joue.
-"Calme-toi yel hmar !"
C'était Chamsudine. Toujours, mais toujours de la violence !
-"C'est bon Sofiane, t'es là, t'es à l'intérieur, t'es avec moi, allongé dans un sedari de velours ! Calme-toi, akhi, arrête d'être sur le qui-vive comme ça. Je ne comprends pas que ça t'ai fait vomir de la revoir.
-De la revoir ? ...
-Oui, Nedjma. La fiancée du vizir, allô à l'huile.
-D'olive, ai-je ajouté.
-Zit Zittttttttttoun, fit-il, sans joie. "
Je me suis assis au bord du sedari. La tête me tournait. J'ai réalisé que j'étais torse nu. Chamsudine me regardait, un sourire aux lèvres. La main sur le visage, je me remémorais la soirée de la veille. J'espérais que tout ça ne soit qu'un mauvais rêve, mais j'avais forcément vomi au vu de la façon dont mon estomac se contractait sur lui-même. Pourquoi c'était si compliqué de vivre ? Il n'y avait qu'une seule option pour en finir.
Chamsudine me tendit une djellaba, que j'enfilais à toute vitesse. Puis, il est sorti de la pièce. Je ne savais pas où il allait, mais peut-être était-il mieux que je ne le sache pas. Je me suis posé quelques minutes. Comptais-je réellement faire ça ? Y étais-je prêt ? Je n'avais pas le choix. Quoi qu'il arrive, l'issue serait la même, la vie n'est que vanité. Personne ne pensait à moi, nulle part. Alors autant mettre fin à ça.
Je suis sorti, après avoir passé vingt minutes dans les couloirs à chercher l'issue qui menait à la cour bétonnée. Le palais était composé de plusieurs bâtiments, à l'architecture des plus incroyables. Et chacun des bâtiments se constituait d'un escalier sur le côté. J'ai emprunté celui plus haut, prenant conscience de l'acte que j'allais commettre. Mais qui s'en soucierait ?
Une fois arrivé en haut, j'ai de nouveau pleuré. Pire qu'une gonzesse j'étais. Au final, que je sois vivant ou mort, inerte, c'était la même chose. Alors autant en finir avec la misère que je traînais sur mon dos. J'ai tendu les bras, fermant les yeux. Alors que je m'apprêtais à me jeter dans le vide, une main saisit mon col et des lèvres se collèrent à mon oreille.
-"Sofiane... Tu penses sincèrement en finir de la sorte. C'est moi qui t'achèverais. J'achèverais l'homme pitoyable que tu es. Tu vas vivre. Tu vas vivre pour moi, me murmura la voix.
-Nedjma... Personne ne penses à moi nulle part, crois-tu réellement que je resterais en vie rien que pour tes beaux yeux, lui répondis-je, désespéré. L'homme pitoyable que je suis ne te demande que de le pousser.
-Détrompe- toi, elle, elle pense à toi. Où qu'elle soit tu es avec elle, parce que tu l'as brisée, parce que tu as ruiné sa vie et ses rêves, et pourtant elle a continué à t'aimer parce qu'elle savait que tu n'étais pas celui que tu paraissait être. Tu as décoloré sa vie, l'as rendu noire et blanche, et maintenant je peint la tienne en rouge. En rouge sang. "
Comme pour appuyer ses paroles, elle enfonça ses ongles dans ma peau et me griffa. Le sang coula. Mais je ne sentais plus la douleur.
Je savais à cent pourcent qu'elle parlait de Ritedj, mais je continuais à nier que quelqu'un se souciait de moi. Ca me paraissait impossible.
-" Tu es vraiment un terroriste, Sofiane. N'as-tu pas honte de ta misérable existence ?
-Si, et c'est pour ça que tu vas me lâcher, Nedjma. Je veux mettre fin à la honte que je mène. "
Elle m'a retourné pour que je la regarde dans les yeux. Elle portait une grande couronne, d'or et de saphirs. Ses cheveux lui arrivaient presque aux genoux, et elle portait une belle robe bleue nuit agrémentée de fils d'or. On ne pouvait que l'admirer, elle avait la prestance d'une reine. Je l'ai saisie par les hanches, comme je l'avais toujours fais. Nos visages se touchaient presque. J'avais l'impression qu'elle allait m'embrasser, mais elle me repoussa au contraire. Je suis tombé sur les fesses, comme un gamin.
-"Aie honte de toi, Sofiane Ben Salah. Aie honte de la vie que tu as mené jusqu'ici. Je te souhaite de mourir le plus tard possible, en vivant un long et sanglant calvaire. Je m'en chargerais personnellement. "
Nedjma bombait le torse, fière de dénigrer les gens. Mais me dénigrait-elle vraiment ? En réalité, elle avait purement et simplement raison. Je le savais mais je le niais. J'ai tourné la tête, et elle n'était plus là, je ne pouvais la voir qu'au milieu de mes rêves.
-"Sofiaaaaaaaaaaane ! "
J'ai penché la tête, après m'être relevé. C'était Chamsudine qui m'avait appelé.
-"Descends ! Demain, nous repartons ! "
Je l'ai rejoint en bas, dans la magnifique cour fleurie.
-"Nedjma a dit qu'elle ne voulait plus de nous ici. Alors va manger de la harissa et demain nous repartons après une bonne nuit de sommeil.
-Ca marche. On va continuer d'avancer sans savoir où nous allons. "
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