Le trajet
La pluie bave sur les vitres et le pare choc de ma voiture, le ciel est plus menaçant que jamais, d'un gris noir cachant la beauté du ciel bleu. Je déteste conduire lorsqu'il pleut, non pas que la pluie me dégoûte, mais justement, parce qu'elle m'apaise. Le clapotis virulent des gouttes sur le toit de ma voiture me procurent un sentiment similaire à l'endorphine. Un frisson durcit mon épiderme, et je sens comme un voile de fatigue se déposer sur mon âme. Je dois pourtant lutter, à cent-dix kilomètres par heure sur l'autoroute, fermer mes paupières serait du suicide, et Dieu sait que je n'ai pas envie de mettre fin à mes jours. Je suis en route depuis maintenant plus d'une heure en direction d'une vieille bâtisse appartenant à feu mon grand-père qui eut la bonne idée de mourir.
Je lui avais toujours dit que passer sa retraite perdu dans une colline, à l'horizon boisé, sans aucune source de vie à moins de quatre kilomètres autour de soi, était déraisonné. Bien sûr, comme il en était coutume dans cette famille, personne ne m'avait écouté. Et bien voilà ! Il s'est vautré dans les escaliers, un soir, en voulant se chercher à manger dans le réfrigérateur, aucune chance de survie. Evidemment, il vivait seul, et on s'inquiéta au bout de six jours sans nouvelles. Oui, je sais, on aurait pu réagir avant, mais ce n'est pas faute de l'avoir prévenu !
C'est dans cette dite colline perdue au milieu de nul part que je dois donc me rendre, pour faire l'état des lieux de la demeure, avant d'en décider si je me l'approprie, ou si je la vends. C'est un vrai dilemne, qui plus est cornélien, qui se pose à moi. J'ai vingt-six ans, au sommet de ma forme, de mon sex appeal, de ma motivation, et à vrai dire, l'idée d'être déjà propriétaire si jeune ne m'effraie pas, bien au contraire ! Là où certains croupissent dans leur taudis de neuf mètre-carré à Paris qu'ils payent cent vingt fois trop cher, j'hériterai d'une belle baraque style manoir avec un terrain non négligeable de trois hectares en payant juste les charges et la taxe d'habitation. Mais d'un autre côté, ais-je vraiment envie de me perdre au fin fond de la forêt ? A devoir rouler sur quatre kilomètres pour trouver du WIFI ? A faire une à deux heures de trajet tous les jours pour aller travailler ? Bien sûr que non ! L'essence coûte assez chère comme ça. Du coup, je me suis résigné à la vendre si son estimation est évaluée à quatre-cent-mille euros minimum. Cela me permettra de m'acheter quelque chose de convenable en ville. Je trouve le deal acceptable, pas vous ? (Je vous demande, mais en vérité, je n'ai pas besoin de votre avis, on ne se connaît pas après tout).
Je quitte l'autoroute pour me retrouver sur une départementale, traversant ensuite un petit village pittoresque où la proportion de vieux doit être affolante. J'en profite pour m'arrêter brièvement devant une petite boulangerie. En bon Français, je dois avoir ma dose de baguette quotidienne, et bien que je sache que le pain fasse grossir, je ne peux pas faire l'impasse. Surtout que mon corps est assez entretenu pour que je me permette certains écarts. J'ai un ventre plat, des pectoraux qui font bien sur la plage, des épaules de nageur, des jambes de randonneur qui accouchent sur un petit fessier de rodin. Alors si je veux m'acheter du pain, je le fais. La pluie s'est un peu calmée, même si elle continue à nous cracher dessus. Ma veste est dans le coffre, tant pis, on fera T-shirt mouillé, ça rajeunira les petites vieilles qui attendent sous le porche de la boulangerie. Je sors de la voiture, posant mes lunettes de soleil sur mon nez... Merde... Y'a pas de soleil, j'ai l'air ridicule. Je les jette sur le siège passager, et je marche en dandinant du postérieur dès que je croise du monde.
Homme ou femme, j'aime qu'on me contemple, et les deux genres ne s'abstiennent pas de regarder mes rondeurs de callipyge. Je ne pensais pas que les mâles "hétéros" seraient si enclins à baisser les yeux sur mes atouts, comme quoi, la sexualité n'obéit à aucun paramètre. Et là, vous vous dites, mais lui alors ? Il est quoi ? Gay ? Bi ? Bi c'est sûr. Et bien, rien que pour vous faire déchanter, je dirais que je ne me range dans aucune case. Je sais admirer la finesse d'un visage qu'il soit masculin ou féminin, la beauté d'un torse viril ou d'une poitrine voluptueuse, j'ai un faible pour les jambes musclées des hommes, et les ventres tout doux des femmes et enfin, oui, j'ai exercé mes talents charnels avec les deux, sans jamais trouver de préférence. Si j'ai été surpris de découvrir que les hommes excellent bien mieux que les femmes dans l'art de la fellation, je suis toujours en extase dans les cuisses de ces dernières. Mais assez parlé de ça ! Cette discussion va finir par éveiller l'édifice immense de ma virilité, et je ne voudrais pas choquer les pauvres dames qui attendent devant moi. J'achète ma baguette en bombant le torse à faire pâlir le boulanger, et je retourne telle une mystérieuse créature dans ma voiture.
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