Partie VII

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La petite fille ne sait même plus si elle respire encore. Ses bras ballottent au gré des vagues folles, les os brisés sur les pierres. Tel un bois mort, son corps flotte sur l’écume. La plus infime étincelle d’énergie l’a abandonné. Aussi se laisse-t-elle aller, trop faible pour penser. Les échos de souvenirs sont devenus une partie d’elle. L’enceinte de la citadelle démolie vidée, son identité avalée par la vague, dissoute dans ses eaux, vaporisée dans l’air chaud du désert. Elle ne sait plus qui elle est. Mais l’a-t-elle jamais su ?

La douleur et la peur, ses éternels compagnons. Les seuls qui lui sont fidèles. Tous les autres l’ont abandonnée. Elle-même s’est abandonnée. La déesse n’est plus. Celle que l’on appelle Kali ou Némésis a été emportée. La petite fille n’est plus qu’ombre fondue dans un infini néant, sa conscience effacée. Ne reste qu’un instinct primaire, noyé d’effroi et de solitude. Une souffrance incommensurable et éternelle. Mais peut-être l’a-t-elle méritée ?

─ Je t’interdis de penser ça !

Tic tac !

Les voix sont chassées par un souffle puissant. Si puissant qu’il déroute le cours de la Rivière et le temps lui-même se disloque avant de se reformer en un nœud croisé.

Soudain, le jeune garçon l’aperçoit, pâle silhouette battue par le torrent, fondue dans l’écume bouillonnante. Une mince fumée blanche s’en échappe. Il accélère encore, se servant de la vélocité du courant. Arrivé près de l’ombre blafarde immobile, il tend le bras. Sa main frôle les doigts froids mais ne parvient pas à s’assurer une prise. Une pierre les sépare, l’obligeant à s’écarter pour ne pas la heurter. Son cœur bat plus vite que les pulsions du courant dément.

Seconde tentative. Cette fois, ses phalanges agrippent les cheveux. Un obstacle invisible le fait sursauter. Il manque de plonger mais se rattrape au dernier moment. Un goût ferreux sur la langue, il regarde ses doigts et découvre la mèche qu’ils emprisonnent. Poussant un gémissement furibond, il s’élance de nouveau. La vision du corps qui s’enfonce le fait redoubler d’acharnement.

Autour de lui, l’Univers n’est plus qu’un entrelacs de fils rouges, bleus et jaunes. L’écume blanche s’est peinte en noire. L’eau azurine : un mélange translucide.

Ses yeux sont rivés sur la silhouette qui ne cesse de rapetisser, grignotée par les bulles de chaos. Dans un ultime effort, le jeune garçon plonge en avant. Il atterrit sur le maigre buste de la petite fille. L’écume noire commence à le consumer. Il sent l’acide déchirer ses vêtements comme une infinité de dents minuscules. Il hurle, et son cri fait à nouveau trembler le tissu de l’Univers. Une onde se propage à la surface de la tapisserie. Le jeune garçon s’en sert pour les éjecter tous les deux hors de l’eau. Puis le souffle universel les propulse sur la berge.

Ses doigts tremblants caressent le limon jaune-brun. Il constate qu’il a cessé de voir la nature primaire de l’être. Le Désert de Désolation s’étend partout avec ses colonies d’insectes titanesques. Sous l’effet des vagues chaotiques, les couleurs changent à chaque battement de paupières.

Le jeune garçon observe la petite fille dans ses bras. Il pose ses doigts sur sa gorge. Aucune respiration. Conservant son calme, il joint ses lèvres aux siennes et insuffle son énergie en elle. Son corps maigre et froid se met à tressauter. La petite fille suffoque, puis une marée de souvenirs s’écoule de sa bouche et de son nez avant d’être avalés par le limon. Le frère rassure sa sœur, sa main caressant avec tendresse le dos parcouru de tremblements.

─ Tout va bien à présent. Tu es chez toi, susurre-t-il à son oreille d’une voix qui trahit la peur l’ayant étreint quelques instants plus tôt.

La gamine dresse son regard vers le visage du garçon. Ses yeux sont encore voilés par les dents de l’écume. Peu à peu, la brume se dissipe. Elle le voit enfin tout entier. Une nouvelle vague l’immerge. Un profond soulagement qui étreint tout son corps. Ses bras serrent le cou du garçon qui répond par le même engouement. Par ce lien étroit, leurs énergies transitent entre eux, via des faisceaux de lumière.

─ Comment est-ce possible ? prononce la petite fille d’une voix faible. Je me suis sentie disparaître.

─ Je t’ai ramenée grâce aux précieux souvenirs que j’ai conservés de toi, lui explique le jeune garçon.

─ Je me souviens maintenant.

L’enfant éclate en sanglots.

─ Pardon ! Pardon de t’avoir oublié !

─ Tu t’es retrouvée perdue dans un monde inconnu. Aucun de nous ne savait à quoi s’attendre.

Pour la rassurer, ses doigts caressent les cheveux foncés par l’eau et salis de limon.

─ J’ai eu tellement peur ! J’étais toute seule. Je t’entendais mais je ne savais pas où te chercher.

─ Je suis désolé d’avoir mis tant de temps.

La sœur desserre son étreinte pour constater le visage larmoyant de son frère. Elle le rassure en posant sa paume froide sur sa joue chaude et humide.

─ Voyons. Le temps est aléatoire, lui remémore-t-elle sous un doux sourire, le premier qu’elle affiche et qu’il contemple depuis une aube lointaine.

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