I - Une rentrée mémorable (4)
B - T’as vu, c’est du délire. Alors c’est une preuve du hasard ? Ou est-ce un signe ?
N - Je vais pas pouvoir t'être d'une grande utilité. Désolé mec !
B - Bah pourquoi ?
N - Y a le directeur qui m'appelle. Je te reparle plus tard.
B - Okay! Ciao Nathan.
Bon ! Bah ce mystère restera tout entier et hors de question de déranger le docteur Doxe, elle est sans doute en séminaire. Je vais prévenir maman, j'anticipe déjà sa réaction.
B - Maman ! J’ai besoin de tes lumières. Voilà ! Un contact inconnu m’a envoyé ce message et je souhaiterais connaître ton avis : Benoît ! Vous êtes bénis par les astres ces jours-ci, je sens une grande force planétaire s’exercer autour de vous, la fortune vous sourit aujourd'hui, car une personne de votre passé tentera de communiquer avec vous, ne lui tournez pas le dos, saisissez la chance de connaître votre rédemption ! Merci à toi. Bisous. Je t’aime.
La réponse ne tarda pas et elle fut piquante. J’aurais peut-être dû la prévenir que ce contact inconnu est un voyant. Le genre de personnes qu’elle aime prendre dans ses bras et inviter à boire un café.
M - C’est une blague ? Tu m’envoies un SMS de ces pourritures ? Comment peux-tu croire un traître mot de ces salauds? Ils ne sont bons qu’à soutirer du fric et à happer ton énergie vitale. Tu te rappelles qu’à cause d’eux, je n’ai pas pu monter ma galerie ? Que j’ai dû demander à Gladys un prêt de 35 000 € pour la location du bâtiment. Heureusement qu’avec l’argent restant, elle a assuré ma petite boutique. Mais sans elle, mes rêves d’artiste peintre tombaient à l’eau. Je serais repartie jouer la réceptionniste de musée.
B - Oui maman, je sais ce qu’ils t’ont fait. C’était injuste et immoral, mais là je sens que ce n’est pas ça. Le message semble vrai et il me touche personnellement. Surtout vu la suite des événements.
M - Quelle suite d’événements ? Raconte-moi tout.
« Porte de Villiers. Terminus. Les voyageurs sont invités à descendre. »
Comme par hasard, je ne serais donc pas encore la victime de l'éruption volcanique. Suivant le mouvement , j'arrive rapidement dehors. Le nez devant l'écran , je lui réponds pendant que je descends les escaliers de la station Chancy.
Le quai est bondé me laissant la possibilité d'admirer l'art urbain. Bof! Pourquoi n'ont-ils pas demandé à ma mère de leur produire une peinture, elle aurait dit oui sur le champ. Les tags illisibles sont la seule oeuvre dans les sous-sols de la ville. J'essaie de me trouver un petit siège confortable pour finir mon message.
Longeant le quai, je me désespère. Un smartphone d'une telle valeur ne peut pas être montré en public, ce serait de l'inconscience. Et puis c'est trop tard, le métro arrive, je l'entends de loin. Il faut prier pour trouver une place , le voilà.
Il s'arrête et laisse descendre un tas de personnes. Je me fraie un chemin dans la galerie des visages et atteins le wagon. Me collant au fond dans une rangée de six sieges.
Récupérant l'Astralys, je réponds à ma mère. La conversation a déjà tourné en ma défaveur, que réserve la suite ?
B - Bah ! Depuis ce matin, il se passe quelque chose d'étrange. Tout a commencé avec le bus qui s'est arrêté sans raison au Boulevard de l'Espoir. Puis Éclipse d'Aurora s'est lancée. La musique que j'écoutais pendant l'accident. Mon tel a vibré, je n’y ai pas fait attention. C'était le message du voyant que je t'ai envoyé. Les images du samedi de la dispute des jumelles avant l’accident me sont revenues. Et quand j'ai repris mes esprits, le bus ne redémarrait plus. Jean-Jacques m'a averti que le moteur a lâché. J'ai donc dû descendre pour attendre le prochain. Tu t'en rends compte ? Toutes ces coïncidences ?
M - Quel endroit de malheur ce Boulevard de l’Espoir. J’attends tellement sa démolition. Fanny Evensield est plus préoccupée à animer la ville avec son projet de redynamisation de la culture que de le détruire. Il s’est passé tellement de drames là-bas. Notre accident, une collision, des suicides, des affaires de meurtre, de viols. Woah ! L’Enfer à côté c’est le Club Med.
Je me mis à rire en lisant ce que disait ma mère. Même si le sujet est grave, ses comparaisons me font toujours autant sourire.
B - Tu penses que la disparition de Julia pourrait être d'origine surnaturelle ?
Je vois déjà ma mère s'arracher les cheveux en lisant mon message. Ce n'est pas trop sa tasse de thé les délires paranormaux.
M - Tu plaisantes ? C'est impossible, tu le sais très bien. Les fantômes et tous ces trucs c'est bidon. Faut vivre dans le monde réel Ben, c'est une réalité, Julia nous a quittés.
Je serre les poings inscrivant l'empreinte des ongles dans la peau et me mord la langue pour ne pas craquer. Respire Ben.
B - Je vais te laisser, je n'ai plus trop de batterie. Bye maman.
Préférant me taire plutôt que de lui rentrer dedans, j'admire mon sang-froid. Si tu savais la longue liste d'insultes que j'ai en tête.
Je balaie l'écran affichant ma conversation avec le docteur Doxe. Rien que de voir son nom me fait sourire, une psy de talent.
Il y a beaucoup de choses à dire sur cette femme, j'ai de la sympathie pour elle..
Quand Axelle et Malia, mon ex et celle de Nathan ont quitté la ville après l'accident, j'ai eu du mal à m'en remettre mais Marjorie Doxe était là, bienveillante : connaissant la plupart des gens de la ville. Des moins connus aux stars. Sa renommée est impressionnante, elle ne fait qu'écouter et conseiller mais est aussi adulée qu'une célébrité.
La liste de ses clients dépasse celle des insanités que je veux balancer à ma mère: Gladys Lovelace et sa famille ; Natalia Perclawez ; nous… Dire qu'elle a la même fonction qu'un prêtre à entendre les confessions de chacun.
Combien de secrets sordides lui ont été révélés ? Des histoires de famille complexes, des envies sanguinolentes ou sexuellement répudiées. Qui sait si un assassin ne court pas les rues. Elle doit avoir souvent envie de prendre l'air et son métier l'interdit de briser le lien établi avec le patient.
Mais si jamais sa vie était menacée, que ferait-elle ? Je devrais peut-être arrêter de consulter la rubrique des faits divers même si j'adore réfléchir à la psychologie humaine.
Ah ! Un message de Célia, je souris voyant son nom apparaître sur la notification. Hier j'ai pas été le plus cool des grands frères, elle m'avait interrompu en pleine partie me disant : « Te couche pas trop tard, grand frère. Tu as ta rentrée demain. Te bousille pas trop les yeux ».
Ma réaction a été de lui gueuler dessus lui demandant de s'éloigner de l'écran.
C - Coucou Ben ! Maman m'a raconté tes mésaventures de la matinée. Eh bah Quelle histoire ! Haha ! Bref ! Sinon les nouvelles. Je suis avec Noémie et Sophie, mes deux copines. On est dans la cour et on attend Madame Truchaud pour son discours de rentrée. Toujours en retard, celle-là. Et toi comment se passe ta rentrée ?
B - Salut Célia ! Ouais je sais, cette histoire est vraiment bizarre. Mais pour elle , c'est une coïncidence et rien ne relie Julia à ça , même le message du voyant. Bref! Elle me saoule avec son réalisme. Sinon, c'est cool que les filles soient avec toi. Je me souviens que tu avais peur que Noémie change d'école. Haha ! Pauvre madame Truchaud, tu la laisses jamais tranquille. Moi, j'arrive bientôt au pensionnat.
C - Ouais ! Donc tu crois que c'est Julia qui est liée à tout ça ? D'ailleurs, j'ai rêvé d'elle cette nuit. On était dans le parc où on a nos habitudes et on pique-niquait en famille. Julia s'est levée pour chercher quelque chose ; elle s'est éloignée peu à peu et on ne l'a jamais revue. Je me suis réveillée en sursaut. J'ai la haine. Tout comme toi, mais ne t'en prends pas à maman, elle n'a rien fait. Le fautif c'est celui qui a coupé les câbles.
B - Je le sais bien ! Mais je n'arrive pas à lui pardonner. C'était sa voiture. On lui a conseillé d'aller chez le garagiste après l'épisode du pare-chocs.
C - En parlant d'épisode. J'ai quelque chose à te dire.
Quand elle parle d'épisode, ça ne concerne jamais une série. Elle liste seulement les nouvelles frasques de l'autre tâche. Qu'a donc encore fait mon enfoiré de père ? Cela ne lui suffit pas de martyriser ma mère ?
B - Tu en es à quel épisode ?
C - Au début de la saison , le trois. Le titre de celui-ci est « Le poste de télé de la chambre parentale ».
B - Il a fini comment ?
C - En pièces. Et sur la voiture de Monsieur et Madame Johnson.
B - Merde. On va avoir des problèmes avec les voisins.
C - Je ne te le raconterais pas en détail pour éviter de te spoiler… Haha ! T'affoler. Mais j'ai pris des notes sur son comportement. Je fais comme toi. Moi aussi, je m'interroge sur la psychologie des malades mentaux. Bastien Péruwelz est un cas complexe, docteur Péruwelz.
Je ne peux éviter une crise de fous rires. Les personnes me regardent bizarrement. Son surnom me rappelle nos jeux de rôles d'enfants. On se prenait pour des médecins. Julia était l'infirmière, moi le médecin généraliste et Célia la psychologue.
On s’échangeait nos diagnostics. La famille jouait le jeu et les peluches complétaient le tableau. C'était le bon temps. Maintenant, je suis trop vieux pour jouer à la poupée. L'enfance est malheureusement passée.
La folie ancestrale a bien dévoré mon père. Il a changé du tout au tout. Son comportement s'est aggravé. Bref ! Je réponds à Célia, inquiété par ces révélations.
B - Bon ! D'autres choses à me dire sinon ? Histoire de changer de sujet.
C - Euh ! Avec les filles, on va tenter de briguer le poste de délégué. J'ai toujours rêvé d'être une femme de pouvoir. Non sérieusement, c'est pour ma campagne de sensibilisation à l'environnement.
B - Ton projet de développement durable ? Tu vas te faire taper sur les doigts si tu leur annonces ta mesure principale : la lutte contre l’hyperconnectivité.
C - Bah quoi ? Faire annuler son forfait téléphonique et leur abonnement Internet, ça leur ferait du bien. Et puis qu’ils sortent de leur grotte, la vraie vie ce n’est pas les réseaux sociaux et le web. La vraie vie c’est la découverte du monde, des nouvelles cultures et l’évasion.
B - On dirait maman quand tu parles comme ça.
C - Faut croire que j’ai hérité de son côté aventurier. Et toi de son gêne artistique.
B - Bref ! Madame, il faut être en communion avec la nature, tu crois que Julia est responsable de mes malheurs ou j’exagère ?
C - Je ne sais pas trop. Tu connais mon avis sur le surnaturel. Je suis comme maman, plus réaliste que toi ou Nathan.
B - OK ! Bon bah moi je file, mon prochain arrêt arrive bientôt.
C - D’ac ! Goodbye le sceptique
B - Ciao la défenseure de la planète. Bisous. Bisous.
La lumière éclaire l’intérieur du wagon. Les gens commencent à se lever, certains manquent de tomber. Je secoue la tête. L'impatience est vraiment inscrite dans nos gênes.
Lorsque les portes s'ouvrent, tout le monde se précipite dehors. Pas moi. J'attends que le calme revienne avant de descendre. Ma tête tourne des deux côtés. Quelle sortie prendre maintenant ?
Jetant un coup d'œil aux alentours, je remarque la pancarte « Légion de la Croix ». On retrouve une nouvelle fois notre symbole adoré. Il remplace le O. J'ignore si c'est un tag ou si c'est voulu.
Je suis donc les panneaux indiquant les sorties. Direction Parc des Oliviers. Je vais dans la bonne direction. Me mettant à courir pour aller à droite, je me rappelle un détail. Je vais réveiller l'espionne à l'intérieur de mon sac.
Pour marquer le coup, j'ai eu l'idée un peu folle de ramener une invitée surprise. Elle viendrait vivre avec moi au pensionnat et me tiendrait compagnie. Pas de fille. Un chat seulement. Le mien.
Il m'accompagne dans ma triste vie et est le seul rempart à ma solitude. Cet animal m’a permis de traverser des moments difficiles, de moins souffrir de la méchanceté des autres. De supporter la vie en elle-même quand j’avais les idées noires.
Je l’ai appelée Chrystall, référence à la pierre précieuse. Une gracieuse chatte de gouttière noire et blanche. Aux yeux d'émeraudes. Un peu grassouillette et âgée de huit ans. Je l'ai eu jeune.
Je marche avec prudence pour ne pas réveiller, madame la Chatte. Oui ! Elle devait être une mondaine dans une vie antérieure. Puisqu'elle a gardé les attitudes de noble. Cette anecdote avait fait rire la comtesse elle-même.
L'escalator en panne. Décidément ! Tout pour plaire. Je monte donc. L'épisode 3 que m'avait raconté partiellement Célia ne m'étonnait guère. Mais j'ai peur, peur qu'il s'en prenne à elle ou à ma mère. Mon ressentiment envers elle doit s’estomper, pour sa survie et celle de notre famille.
Pfou ! Je suis enfin en haut. Le vent m'atteint à nouveau, mon manteau me protège. Je sors gravissant d'autres marches. Le périple s'achève bientôt. Je n'en peux plus de cette journée.
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