I - Une rentrée mémorable (5)

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Je veux juste dormir.

Continuant mon chemin, j'emprunte un passage piéton. Puis un autre. Avant d'arriver devant une carte. Selon la flèche entourée qui me représente, je me trouve dans le quartier de Nascombe. Je ne le fréquente que très peu. Le gratin d'Aversionnas siège ici.

Même l'air qu'on respire sent la richesse. C'est le cas. Les maisons sont belles et luxueuses, rien à voir avec notre modeste chez nous. Et encore, on a de la chance de ne pas vivre dans un HLM.

Gladys habite ici tout comme Natalia et les autres fortunés de la ville. Chanteurs ; journalistes ; acteurs ; chefs d'entreprises ; mannequins… Les professions relatives au gagne-pain et à la célébrité sont massivement représentées.

Une vie de rêve comme on peut le voir à la télé. Mais sous cette facette trop reluisante se cache une sombre vérité. Le moindre faux pas est décortiqué, analysé par les gens du coin. Les secrets les plus glauques ne restent pas dissimulés très longtemps. En apparence. Les pactes de fraternité et d'amitié travestissant cette réalité.

Sur le plan apparaissent les armoiries. Le serpent et la croix, on pourrait en faire une fable. Suivant la légende, je vois un rond vert symbolisant ma prochaine destination. Un cercle qui m'invite à poursuivre mon chemin. Le Parc des Oliviers étant de l'autre côté juste après le passage piéton.

Je souris en voyant la ligne bleue qui symbolise la plage On a quand même de la chance ici. Les gens peuvent aller à la mer, courir en forêt et se détendre au parc. Sans parler de la pluralité d'activités.

Quelques pas et je suis au passage piéton. J'attends que le feu passe au vert, ce serait bête de finir ma journée à l'hôpital. Je ne regarde plus ma montre, évitant de voir mon échec me frapper en plein visage.

Les voitures se sont arrêtées et je peux passer. Je vois au loin les feuilles d’arbres dépasser du parc. J'arrive au bon endroit. Une femme manque de me percuter, je l'évite. Ma traversée se fait sans musique, une première. Je devrais fêter cela en arrivant.

Je m'approche de plus en plus du pensionnat. Toujours pas d'appels de l'Épi Noir. C'est quand même bizarre. J'aurais dû être harcelé de messages. Mais là rien. Comme s'ils s'en moquaient. Étrange pour un établissement qui prend à cœur les règles et la ponctualité.

Je viens d'arriver devant un portail vert. Bingo ! L'inscription à l'entrée, « Parc des Oliviers » me l'affirme. Je pousse donc les deux portes avec toute ma force. Elles s'ouvrent et je pénètre enfin dans cet endroit.

Pas à pas, je marche. Mes chaussures se salissent à cause des feuilles mortes. Bordel ! Elles sont toutes neuves. Je les ai spécialement achetées pour cette rentrée. Putain d'arbre à la con, tu ne pouvais pas te les garder, tes feuilles moches ?

Je lui lance un regard accusateur. Il se dresse devant moi dans toute sa splendeur. Sans daigner me répondre. S'il pouvait parler, il dirait « Oh la la ! Quel étrange spécimen ! Je suis bien content d'être un arbre », mais certainement pas « Je suis désolé Benoît. Pardonne-moi. Flagelle-moi ».

OK ! Je crois que je vais arrêter de jouer la nuit. Puisque mon cerveau commence à se détraquer. Ce parc est vraiment grand. J’avais même aperçu une fontaine sur la carte à l’entrée du parc. Et un lac, il me semble. Trop la classe.

J'attendrais la saison chaude pour me baigner, je pense. Les chemins sont nombreux, c'est dur de s’y retrouver. Je ne sais pas du tout où je vais. Qu'est-ce que ?

« Benoît ! Benoît ! Rejoins-moi. »

Mais d'où vient cette voix ? Est-ce que c'est une hallucination ? Je suis aveuglé par un éclair bleu qui m'atteint au visage. Ce serpent azur m’envoie des décharges électriques qui me font hurler, je sens mon cerveau se transformer en bouillie, les informations qui y transitent ne sont plus claires.

Mes yeux sont bombardés par cette intensité électrique et j'ai la tête qui commence à tourner, je vois lentement le paysage se déplacer.

Je pousse des hurlements à l’agonie tandis que mon corps chancelle, mes pieds n’arrivent même plus à toucher le sol.

La douleur est si forte qu’elle m’en rend partiellement aveugle. Qu’ y a t-il autour ? J’essaie de toucher le sol avec ma chaussure, sans grand résultat. Une dernière étincelle m’atteint et me coupe la respiration.

À cet instant, je m’effondre sur quelque chose et mes cris sont l'unique musique de ce lieu funeste. L’hymne de ma probable fin.

« PUTAIN ! Que ça fait mal!»

Les minutes passent, je ne sais combien, je n’ai plus la notion du temps. Et là miracle, la lumière revient. Le parc réapparaît avec ses arbres en tout genre, mais plus aucune trace de l'énigmatique voix.

Me relevant avec difficulté, j’observe les alentours. Rien d’étrange, il n'y a pas l’ombre d’un éclair bleu, je n’y comprends rien. Et merde ! J’ai tâché mon beau jean bleu foncé, avec de la boue, super. J’espère pouvoir le laver au pensionnat.

Maudites feuilles, partez, vous avez assez fait de mal comme ça. Je les arrache avec rage et essaie de réfléchir à ce qui vient de se passer.

« Mais c’est quoi ce délire ? »

En entendant l'écho, je m’aperçois que j’ai du parler un peu trop fort. Que personne ne m’ait entendu, par pitié. Je n’ai pas pu halluciner à ce point, cette douleur était bien réelle, ma vue s’est vraiment troublée.

Cette journée est de plus en plus bizarre, j'ignore où elle m’emmène mais ai-je vraiment envie de le savoir ?

« Benoît ! Benoît ! Rejoins-moi. »

La même tonalité. On dirait un enfant qui parle. Détestant rester dans l'incompréhension, je suis à mes risques et périls la chose. Les minutes passent. Et je suis encore plus en retard qu'avant. Qu'est-ce que je fais là ?

Sans trop savoir, je viens d'arriver devant un chemin. Il n'est pas ordinaire. Des arbres sont plantés et forment une ligne. On dirait des personnes qui attendent quelque chose, un genre de temple de la nature formé par leur feuillage.

J'avance, perdu et les arbres défilent face à moi. Ils sont symétriquement positionnés. Pas une fausseté. Je trouve ça mystique. Si c'est un rêve, laissez-moi le poursuivre.

Le chemin franchi, ce qui est derrière est sûrement aussi somptueux. Ma tête heurte quelques branches. J'arrive enfin de l'autre côté. Jamais, je n'ai vu quelque chose d'aussi beau. Une scène équivalente à mon jeu de Tower Defense, Fountain of Paradise. Une étendue d'eau claire qui reflète la lumière du soleil.

Marchant plus vite pour ne pas rater ça, je souris. La journée avait mal commencé, mais là, elle tourne en ma faveur. C'est magnifique. Une variété d'arbres identiques à ceux qui me guidaient entoure l'eau.

Il doit s'agir du lac qui était sur la carte. Un vrai décor de carte postale. Je partirais bien en vacances dans un lieu comme ça. Pourtant, une question me taraude : où est la voix inconnue ?

Elle me répond. L'aurais-je invoquée ? Une créature garde cet endroit paradisiaque ? Dans un rêve, il s'agit sûrement d'une fée ou d'une nymphe. C'est le cas dans Fountain of Paradise.

« Approche ! N'aie pas peur Benoît Péruwelz. Je sais que tu dois trouver ça étrange, voire terrifiant. Suis simplement ma voix. Les réponses à tes questions viendront d'elles-mêmes. »

Une jolie voix. RAH ! Ça m'agace. Je veux savoir de qui il s'agit. Bon ! Cette chose semble amicale, je ne risque rien en l'écoutant. Et si elle me dit qui elle est. La vérité sera dévoilée.

Avançant timidement, j'atteins le lac manquant de m’y noyer. La voix s'exclame à nouveau : « Bien ! J'aime que l'on me fasse confiance. Le reste de ton voyage ne peut être décidé que par toi. Au revoir Benoît Péruwelz. Nous nous reverrons bientôt. »

C'est vraiment dingue ce qui m'arrive. Une « entité » que je ne connais ni d'Ève ni d'Adam me parle. Je ne peux que rêver. C'est impossible que cela soit réel. Je vais me reposer un peu avant de reprendre la route. Un dialogue qu'on aurait pu entendre dans un jeu de rôle.

Assis sur l’herbe, je pense à ce qui vient de m’arriver. Cet éclair bleu qui m’a rendu aveugle, mais en fait non, cette voix inconnue et la douleur qui s’est envolée comme s’il ne s’était rien passé.

Mais où ais-je atterri ? Je jette un regard à ma montre, le cadran se déforme et prend une teinte verdâtre associée aux couleurs du parc. Que voulait dire la voix en parlant de mon voyage: je ne peux le décider que seul.

Il est neuf heures. Neuf heures Benoît Péruwelz. Tu vas arriver en retard. Ah mais non. TU ES EN RETARD !

Qu’est-ce que ? L’eau s’agite avec frénésie, les ondulations secouent le lac qui s’éclaire soudain d’une lumière bleutée. Je me lève d’un coup et m’avance vers cette étendue aquatique qui veut garder ses secrets.

Je saurais un jour qui est cette mystérieuse voix et les arcanes de ce lieu seront percées, à tout jamais. Mes pas s’accélèrent et je contemple ce géant des mers, ce trésor au fond de ce parc qui le rend extraordinaire.

Portant une main à ma poche, je sors mon téléphone et me rend sur l’appareil photo. Ainsi, la créature du lac sera démasquée. C’est donc cette pierre qui provoque cette clarté. Mes yeux la fixent et je m’agenouille pour prendre en flagrant délit, la chose.

CLIC ! CLAC ! Démon des mers, tu seras bientôt démasqué. L’eau s’agite plus vite, ses mouvements semblent être ceux d’une créature prisonnière. Qu’importe la photo, je veux toucher cet être de plus près.

Je jette mon téléphone derrière moi et plonge ma main dans l’eau, mes doigts effleurent le néant, seul le liquide me touche et il est identique à l’acide. Je retire brutalement ma main, elle est comme déformée.

Des petites tâches bleutées rondes apparaissent en ligne droite sur le revers, mes doigts en sont recouverts. Sacrilège ! Des verrues des mers. Je secoue ma main pour faire partir ces horreurs. Incrédule, je vois les gouttes tomber et regagner le lac avec rapidité.

Ma main redevient intacte et je renouvelle l’expérience, ignorant l’eau qui me frôle. Quelque chose de rugueux est à ma portée, il semblerait que ce soit la pierre. Mon index tape dessus trois fois.

Mon corps est parcouru par une énergie mystique qui me fait trembler, identique à un choc foudroyant. Je me redresse. Les paroles ne passent plus, mon souffle est coupé et la sensation de vertige me reprend.

Les cris sont de l’histoire ancienne, vais-je rendre l’âme ici, au beau milieu de ce paradis ? Tué par ma propre curiosité. Le serpent azur revient, sacré reptile, il ne me laissera jamais tranquille.

Il ne s’agit pas d’une anguille, ou d’un animal électrique, alors qu’est-ce que c’est ? Le serpent se démultiplie, les éclairs sortent de l’eau et se dressent devant moi menaçants, verticaux. Les lignes pâles foncent en piqué sur moi.

Cinq. Il y en a cinq, ceux du milieu se rejoignent pour former une flèche, les deux autres partent à toute allure en ma direction. Ils m’encerclent et commencent à me donner le tournis, leur course frénétique ne s’arrête pas encore.

La flèche plonge dans l’eau qui étincelle, les vagues électriques continuent d’avancer vers moi et sont sur le point de m’atteindre. Je suis médusé, impossible de bouger, cette chose ne m’en donne pas l’autorisation.

Je suis devenu le pantin de ce lac, le jouet du parc tout entier. Les arbres qui auparavant me semblaient amicaux se transforment en adversaires redoutables. Un cri sort de ma bouche avant l’impact final qui me projette vers l'arrière.

Ma tête rencontre le bois dur d’un arbre et m’assomme un léger instant. Une sensation qui disparaît bien assez vite. Pourquoi me fais-tu cela maudite créature, toi qui m’a appelé par mon prénom. Fée de malheur.

Je reprends mes esprits assez vite ce qui m’étonne et observe les changements de l’eau. Des lumières bleutées en sortent et se dirigent vers les arbres, des insectes brillants, seraient-ce des lucioles ?

C’est encore le serpent azur mais sous forme de feu-follet, bizarre. Qu’est-ce qui se passe dans cet endroit ? Je sers de balle de flipper à la nature ou quoi. Mais attends une minute… l’éclair est rentré en contact avec l’eau et je ne suis pas mort ?

Les ondulations du lac reviennent et les insectes brillants dansent dans les arbres, dessinant un motif. La chorégraphie des bestioles me fait penser à celle des jumelles avant notre accident. Décidément. Encore lui.

Une nausée se déclenche, c’est sûr que servir de projectile à une végétation sadique, ça donne des envies de vomir. D’ailleurs, je dois arrêter ce phénomène, ce n’est pas le moment, c’est trop tôt.

La mystérieuse voix m’a pénétrée, elle contrôle mes faits et gestes. J’essaie de garder le contrôle de mon espr… Stoppez le phénomène. Stoppez le phénomène. Le voyage ne doit pas être ainsi.

Mais tais toi succube. Tu dois m’obéir Benoît Péruwelz, je suis ton ange gardien. Arrête le processus ou ce sera la fin pour toi. Les phrases tournent en boucle, mes yeux prennent une teinte bleutée, le reflet du lac le montre clairement. Je dois obéir.

« Benoît ! Tu es le seul à décider de la suite de ton voyage. Mais laisser le phénomène se poursuivre n’est pas une étape du périple. Alors, cesse ça tout de suite.

  • Je veux bien mais comment ? Et pourquoi dois-je obéir ? Je croyais que c’était moi qui décidais de la suite de mon voyage.
  • Certes. Mais les forces du destin sont nos dieux à tous. Tu ne peux aller contre leur volonté ».

Ne pouvant pas contrer la volonté des dieux, j’obéis et laisse la créature me contrôler. Elle chuchote « Laisse toi faire » et mon corps s’avance jusqu’à la pierre bleutée, ma main caresse la roche et l’index tape trois fois dessus comme précédemment.

La voix me remercie d’avoir laissé le contrôle au destin et tout s’évanouit. Je cesse d’être matraqué par les éclairs, le lac perd même sa belle couleur bleutée pour redevenir grisâtre. Et je pars comme si rien n’avait existé.

« Woah! C'était intense. »

Les arbres sont redevenus normaux, ils ne me paraissent même plus imposants. J’ai dû halluciner à cause de la fatigue. Un sentiment de déception m’envahit, je pensais que j’avais assisté à un miracle.

Je n’ai ni le courage ni l’énergie de retourner là-bas, même si je le voulais. Mes pas continuent à progresser jusqu’à une haie au loin, le pensionnat doit être dans les environs.

En arrivant à sa hauteur, je constate qu'elle renferme… une porte. Grande surprise. Je mets ma main dessus touchant cette dernière. Elle est métallique cette porte. J'enlève quelques branchages pour découvrir sa couleur. Noire.

Le portail du pensionnat, je présume. En l'examinant, j’observe que la peinture n'est plus aussi éclatante. Tiens ! Il y a des dorures dessus. Des symboles, dont celui de la ville. Si je compte bien, j'en dénombre douze.

Un serpent enroulé à gauche, une croix à droite, séparés par un soleil. Je suis impressionné. Au-dessus de la porte, il y a un arc de type baroque. C'est un ancien château, il me semble.

Je n'en saurais pas plus à moins de faire quelques recherches. Au CDI ou à la bibliothèque. Je percerais peut-être le mystère de ces dorures ou de ce lac mystique.

Ma main descend sur la poignée et j’ouvre. Gonflant la poitrine et le regard droit devant, j’affronte ma première journée à l'Épi Noir. La Porte des Ténèbres claque et je pénètre dans la cour de récréation. Prêt à faire une rentrée qui serait mémorable.

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