II : Quand on est le nouveau (2)
« Si tu pouvais simplement arrêter de nous saouler, tu serais gentille » réplique une fille derrière moi.
Sa voix est si douce, depuis que Barbara m’a humilié, je suis muet. Elle semble croire que ses lois sont plus importantes que le respect, la haine se consume en moi. Je vais lui montrer ce qu'est la souffrance.
« Mais ne serait-ce pas cette très chère Cassy ? Et oui, c’est elle. Qu’est-ce que tu fous là ? Je croyais que tu n’aimais pas la compagnie des filles dites « populaires ». T’es si seule que tu n'as pas d’amis, hormis nous ? » répond Barbara avec un rictus.
- Tu sais très bien que si je ne suis pas là, tu sombres et t’entraînes le groupe avec toi ». la recadre Cassandra
- Haha! J’y crois pas. On a le retour de Miss Défenseure du monde entier, elle m’a pas manquée celle-là, trop raisonnable. Il t’a fait quoi ce gamin pour que tu étales ta bonté devant lui ? » questionne la chef
- Euh ! Je suis là, vous savez.
Elles se retournent vers moi, me dévisageant, j’esquisse un sourire forcé mais je le regrette aussitôt. Car cette simple émotion fait apparaître les vestiges qui marquent mon corps, et surtout mon visage. Je les entends hurler d’effroi, enfin pas toutes.
« AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !
- Qu'est-ce qu'il vous arrive là ? Vous n'êtes pas bien. Bah oui, il est moche » lance Barbara fière d'elle avec son sourire narquois.
[ Tu retires ça tout de suite, ou je t’éclate]
« Regarde son vi… visa… visage » répond Cassandra effrayée
Cassandra semble terrifiée, la pauvre, je l’aurais bien réconfortée. Blottie au chaud dans mes bras musclés qui le seront dans dix ans. Haha ! Elle me pointe d’ailleurs du doigt, j’ai l’impression d’être la nouvelle attraction du moment. Les filles se lasseront de leur nouveau jouet assez vite.
« Bah quoi son visage ? OH ! Ah ouais, t’as pris cher mec ».
Barbara éclata d’un rire me donnant envie de lui enfoncer mon poing dans la gorge et lui arracher sa langue de vipère. Elle ne se rend pas compte qu'elle me blesse, si bien que mes poings serrés, enfoncent mes ongles dans les paumes.
« Que t'est-il arrivé ? »
Oh ! Sa voix enchanteresse, Cassandra. Je tourne ma tête vers elle imaginant un avenir radieux, rien que nous deux. Elle vêtue de blanc, moi de noir, Cassandra. Voulez-vous prendre pour époux Benoît Péruwelz demande le prêtre, et elle répond : Oui je le veux.
« Je te parle. »
Un cri me sort de mes pensées et efface le futur que je m’étais créé. Je vais essayer de me maîtriser, me caser avec la première venue le jour de la rentrée, ce n’est pas signe de maturité. Le ravissant sourire de la jeune fille m’encouragea à répondre.
« Qu’est-ce qu’il y a ? Vous avez vu un monstre ? riait la blonde
- Mais non idiote. Il y a un oiseau qui est passé au-dessus de ma tête, un genre de corbeau. C’est un mauvais présage ». Reprend Cassandra en se recroquevillant sur le banc
- Je ne préfère pas en parler. »
Mon manque de franchise me surprend moi-même, j’aurais voulu lui dire : ma famille a eu un accident de voiture, on a tenté de nous assassiner, cette cicatrice qui part de ma pommette droite et sectionne ma joue s’arrêtant au menton est le vestige de ce drame. Mais non, je n’ai pas pu sortir ces mots.
« Bref ! Tu veux quoi Frankenstein ? »
Je regarde les filles paralysé par la peur, cet événement traumatique me fait toujours aussi mal. Le sujet de la cicatrice fait monter mes larmes. Elles ne décollent pas leur regard de mon visage, attendant, ce qui augmente ma pression.
« Quand j’avais six ans, j’ai eu un accident et j’ai trébuché contre une vitre. Voilà, je n’ai pas envie d'approfondir. Donc changez de sujet et oubliez ça, merci. »
Cassandra me regarde, je sens la pureté de son âme, elle sait que c’est plus compliqué que ça. Mais la souffrance m’empêche de révéler la vérité. Le mensonge est parfois plus utile qu’une révélation ignoble .
Le silence est long et la pique de Barbara me reste en tête. Elle réveille les instincts meurtriers, enfouis en moi. Ce n’est pas une bonne chose mais c’est trop tard. La colère prend le dessus et anime tout mon être.
Je me fous que tu sois une fille, je vais te mettre à terre. Mon bon sens vient de me quitter, désolé maman, je vais tuer pour la première fois de ma vie. Pardon de rejoindre le côté obscur. Mais c’est pour la justice. Elle nous a tous insultés en disant ça.
Barbara continue de se pavaner, de sourire comme la garce qu’elle est. J’attrape mon sac et l’envoie valdinguer d’un coup. Excuse-moi Chrystall, je me ferais pardonner avec une ration de croquettes supplémentaires.
Mon geste fait rire les filles et même Cassandra. Oh ! Je n’ai aucune envie de m’en prendre à elle, c’est seulement la blonde que je veux étriper. Qu’elle baigne dans son sang. Mon regard innocent se change en celui d’une bête assoiffée d’hémoglobine, et remplie de haine.
Je recule de quelques pas, prêt à charger et à embrocher cette pimbêche avec mon corps. Un taureau furieux qui veut écraser le toréador qui se moque de lui, sauf que moi on ne m’exécutera pas avec des piques. Ma colère sera intense et submergera ce petit pensionnat tout tranquille, voire la ville entière.
CHARGEZ ! Ma course s’intensifie à chaque pas, la rage me donne des ailes. Je lui saute dessus la faisant tomber sur le banc en même temps que moi. Elle bouge dans tous les sens, mes ongles se plantent dans sa nuque, tirant ses cheveux. Je la jette au sol.
Les filles à côté sont médusées, elles s’écartent d’un pas et d’autres élèves accourent. Il est clair que voir Barbara être en si mauvaise posture, ça amuse ses détracteurs et interloque ses fans de la première heure.
Elle est face à moi agenouillée au sol en position d’exécution. J’aurais eu un pistolet, son crâne aurait éclaté sous la puissance des balles. Le flash des portables ne m’aveugle pas, je garde mon sang-froid et poursuis mon ouvrage.
Tu vas souffrir pour m’avoir humilié publiquement et traité de monstre. Je la tire par les cheveux, elle crie disant avoir mal. Tu crois que tes insultes ne me font pas mal, pétasse ? Voilà la vraie douleur. Tes pleurs n'y changeront rien.
Je la force à se relever adoptant la même posture et je frappe, je frappe. Son ventre reçoit les coups, j’essaie de viser le cœur, mais elle en est dépourvue. Un coup de poing l’atteint au visage et fait saigner sa bouche de garce. Même son sang pue l’hypocrisie.
Personne ne tente de m’arrêter, le plaisir de voir cette pourfendeuse de joie à mes pieds les fait baver. Un autre coup atteint l’arcade sourcilière droite et ses supplications ne m’arrêteront pas pour autant.
Je saisis avec rage sa tignasse et lui aplatis le crâne contre le bitume. Une. Deux. Trois. Une mélodie me vient et je la chantonne lui éclatant la tête sans retenir ma force. « Un. Deux. Trois. Barbara finira en éclats. Un. Deux. Trois. Barbara finira en éclats. »
Les pieds frappent ensuite son corps inerte brisant au passage quelques côtes ou organes, peu importe. C’est l’hystérie au pensionnat, tout le monde court partout et moi, tâché de sang, je souris. J’aurais peut-être dû lui trancher la tête comme Hercule et l’exposer à la lumière des réseaux sociaux. Méduse est morte.
Oh merde ! J’entends la sirène incessante. C’est les flics. Je dois me barrer. Quelqu’un a ouvert sa gueule et dénoncer mon meurtre justifié, au moins elle n’ouvrira plus sa bouche celle-là.
Il n’y a qu’une seule chose que j’entends dans mon esprit : À qui le tour. C’est comme la loterie, qui finira dans le même état que Barbara ? Je scrute du regard la foule, quelqu’un le mériterait-il plus qu’elle ?
« Ça suffit ! Jeune homme, vous êtes en état d’arrestation pour homicide volontaire.
- Ce n’est pas moi monsieur. Regardez, je n’ai aucune arme et je ne suis pas taché de sang.»
Ma réplique suivie de rires ne convainc personne. Dommage ! Mon périple sanglant s’arrête ici. Je peux voir le directeur derrière la foule d'agents dont celui qui m’a parlé. Il me dit : DEHORS !
J’acquiesce, ma vie va finir autrement, c'est terminé, je me rends. Tendant les bras laissant le soin aux gentils officiers de me menotter et j’envoie un baiser à Cassandra avant d’être conduit à l’extérieur de l’établissement. Dans le parc, les badauds m’attendent, je savoure mon moment de gloire, volé à Barbara.
La presse a également fait le déplacement, je suis élevé au même rang qu’une peinture de ma mère. Sauf que mon art ne sera pratiqué qu'une fois. Mon premier meurtre, parfait et unique.
Je suis devenu un artiste, mon nom sera connu dans toute la ville et à l'international. La police me laisse savourer le fruit de mon travail puisque je peux écouter la déclaration du commissaire Toplaz aux journalistes.
« Aujourd'hui nous arrêtons un dangereux criminel qui commence fort sa vie. Son nom est Benoît Péruwelz et à peine âgé de seize ans, a déjà commis un meurtre. En assassinant froidement une de ses camarades. On ne peut révéler l'identité de cette dernière par sécurité, mais sachez une chose: ce crime ne restera pas impuni. Benoît Péruwelz passera par la case procès. Merci à tous de votre attention ».
Les menottes me broyent les poignets, ces débiles d'officiers n'arrêtent pas de me tirer. Comment osent-ils me définir comme un criminel, je suis un artiste, pourquoi personne ne me croit ? Et c’est l’autre qui est considérée en tant que "victime" non, mais dans quel monde vit-on ? Pathétique !
Je n'irais pas devant le tribunal pour enfants pour un meurtre justifié quand même. La voiture de police m’attend, bras ouverts. Ils me jettent à l’intérieur et referment la porte d'un coup sec. Le véhicule démarre assez vite et je vois le pensionnat s’éloigner. Adieu Cassandra. Je sais que je te reverrais un jour. À ma libération.
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« YOUHOU ! Allô la Terre, vous me recevez ? »
Une voix émerge dans mon esprit et balaie toute la scène. Oh ! J’étais plongé dans mon fantasme si profondément. Il n’est pas réel, zut. Le décor de la cour réapparaît avec les élèves, les arbres en fond et les bâtiments. Le banc se matérialise avec la bande des filles au complet. Barbara est toujours là. Elle continue de me regarder et je peux sourire en revoyant Cassandra, cette fille m’a tapé dans l’œil. Quelle mauvaise chose !
« Hein ? Quoi. dis-je
- La bête était déconnectée. Son minuscule cerveau n’a pas dû faire le poids. répond Barbara mesquinement.
- Tu vas te taire, oui ? » réplique Cassandra irritée
Serait-elle en train de me défendre ? J’espère que je n’ai pas perdu de temps à rêvasser et que la réunion n’a pas commencé. Je jette un coup d’œil discret à ma montre, 08 h 45, bientôt 09 h 00.
« Bon ! Je venais juste vous demander s’il était possible de me faire visiter le pensionnat. Voilà ! Je suis nouveau et j’aimerais prendre mes marques ici. Surtout que je dois aller voir le directeur Monsieur Matrice pour récupérer la clé de mon dortoir. »
Les filles explosent de rire en m’entendant. J’ai dit quelque chose de mal ? L’hilarité s’étend même aux autres élèves restés passifs. Ils se foutent encore de ma tronche ? Cette journée est longue et devient infernale à chaque seconde qui passe.
« Quoi ? J’ai dit quelque chose de drôle ?
- C’est Monsieur Morris. me corrige Cassandra
- Ah ! Haha ! Il avait qu’à trouver un nom plus simple à prononcer. » justifie-je
Je me mis à rire également de ma bêtise, suivi par les filles, enfin sauf une. La victime de mon trip reste égale à elle-même, maîtresse de ses émotions. Dépêchez-vous, j’en peux plus d’avoir ce poids sur mes épaules, littéralement. Tu seras bien dans la chambre, Chrystall, ne t’inquiète pas.
« Okay ! Alors...
- Cassy ! Règle numéro 1 : Ne parle pas aux aux inconnus. C’est interdit dans le règlement.
- Et tu oublies la 28 : interdiction de porter une attention à un garçon surtout si… intervient l’autre brune en tournant une mèche entre ses doigts
« Il tente de vous draguer, je sais. » répondit Cassandra en soufflant et haussant les épaules
J'ai senti de l'ironie dans la phrase de l'amie de Cassandra, comme si ce règlement les agaçait toutes mais qu'elles n'en disent rien, de peur d'attiser la colère glaciale de leur mentor. La jeune fille a de longs cheveux ondulés et des yeux verts plus doux que ceux de son acolyte.
Sa tenue se différencie des autres, notamment par ses teintes plus sombres, ce qui se prouve par sa veste en cuir noir fermée et son jean pourpre. Pas d'accessoires, aucune volonté d'affirmer sa féminité. Une rebelle dans l'âme, c'est sûrement ce qui a intéressé Barbara.
« Désolée ! Nous ne pouvons t’aider, la prof d’arts plastiques nous a chargées avec l'accord de la direction, de la production d'une fresque murale. Elle remplacera l’ancienne rappelant de mauvais souvenirs à tout le monde. »
- Et vous faites ça à la rentrée ? »
Mon aplomb surprend Cassandra qui ne sait pas quoi répondre, elle tente un regard vers ses amies, mais c’est Barbara qui répond pour mon plus grand malheur. Une fresque, des mauvais souvenirs. Un nouveau mystère à résoudre pour Ben Jackson, le détective privé.
« SILENCE ! On ne te connaît pas, donc on ne te doit rien. Fin de la discussion. »
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