II - Quand on est le nouveau (3)
« Donc, casse-toi, et laisse-nous régler cette histoire de fresque de notre côté.
- Cherche un autre pigeon, il y en a plein ici. »
C’était la fille aux cheveux clairs qui avait parlé, moi qui la trouvait différente de Barbara. C’est exactement son clone. Ses cheveux sont coiffés en un carré mais dégradé, elle a les yeux noirs. Des habits simples, cardigan violine avec un haut assorti et un jean bleu. Le petit groupe s'envola en une poignée de secondes, entraîné par la blonde aux mèches de givre.
Qui va me faire visiter maintenant qu’elles sont toutes parties ? Pff ! Je retourne donc à ma première position, admirant le bâtiment que je trouvais banal quelques instants plus tôt. Cette statue-là en marbre noir, je l’ai vue tout à l’heure. Quels secrets peut-elle me dévoiler ?
Je m'en approche, oubliant l’heure de la rentrée et l’examine. Elle est de taille moyenne et représente un épi de maïs ? Pourquoi ce symbole ? Ce n’est pas un établissement de paysans pourtant.
Il y a une plaque de forme rectangulaire sous l'épi, couverte de poussière, je n’arrive pas à lire ce qui est inscrit. Je souffle alors sur la plaque, puis ferme les yeux et toussote ne la supportant pas. Mes paupières s'ouvrent quelques secondes après.
L’écriture est très ancienne et date sûrement d’avant le XXIe siècle. La forme des lettres me rappelle celle des parchemins du Moyen-âge :
[ Le pensionnat l’Épi Noir a été fondé en 1968, historiquement cet ancien château logeait les chevaliers de tout pays. Il appartenait autrefois au duc Oscar Seymond et à son épouse Jacinthe.
Un architecte polonais, Albert Tseuch l’a racheté avec Jeanne Camarilla, qu'il épousera bien assez vite. Une modeste Suédoise et fille de bonne famille. Le couple étant ainsi les propriétaires de cette glorieuse bâtisse, qui redécorée était somptueuse. Deux garçons naîtront de cette idylle: Jules et Simon.
Ceux-ci s’engagèrent dans l’armée à l’âge de 21 et 19 ans, ils n’en reviendront jamais, perdant la vie lors de la bataille de Wissembourg contre les Allemands. Jeanne Camarilla leur mère dépressive s’est pendue dans les sous-sols du château, trois ans après.
Son mari dévasté par le chagrin demandera la construction d’une statue en marbre noir représentant un épi de maïs. Le dernier souvenir d’une mère endeuillée et passionnée par la nature. Elle sera placée dans la cour du château pour que les générations suivantes la voient et connaissent la triste histoire de l’Épi Noir.
Albert Tseuch se noiera dans les douves s’y jetant quelques années plus tard. Son enterrement sera un événement important de la ville et pour lui rendre hommage, les architectes réaliseront son œuvre : une école, mais pas n'importe laquelle. Un pensionnat privé et prestigieux.
Les douves seront remplacées par du béton, les différents sous-sols restèrent intacts, les salles d’entraînement des chevaliers devinrent des salles de classe pour accueillir les futurs élèves. L’architecte défunt avait laissé son empreinte avec l’installation de passages secrets et d’énigmes cachées dans le pensionnat.
Il était passionné de métaphysique et croyait en la magie noire. Édouard Morris ancien pensionnaire prendra la direction de l’Épi Noir et rendra ses fonctions en 1980. Il partira à la retraite après onze ans de bons et loyaux services laissant son frère cadet Isaac à sa tête en 2004.
Il devient le plus jeune principal, à l’âge de 22 ans. Mais de mauvaises langues racontent des rumeurs et évoquent des légendes, le bâtiment serait hanté par les fantômes des anciens propriétaires, il serait un ancien site extraterrestre, la reine d’Angleterre y aurait même séjourné, de nombreux suicides d’élèves ont eu lieu, ou que les professeurs sont des créatures sorties des enfers pour châtier l’être humain et absoudre ses péchés.]
Et bah, il y en avait de la lecture, je n’ai pas tout compris, mais ce pensionnat réserve quelques surprises. Concernant les enfers, c’est Barbara qui est la mieux placée pour cette fonction. En regardant au bas de la plaque, je peux admirer la dernière inscription : BIENVENUE A L’ÉPI NOIR.
Une phrase très ambiguë, car le sens est bienveillant, mais la forme l’est beaucoup moins. Les lettres ont été transformées en dessins terrifiants de créatures : dragons, crânes, diables et diverses créatures mythologiques.
Génial ! J’ai atterri chez Satan ce qui explique pourquoi Barbara est si mesquine. Bon ! Maman dis moi, tu ne voudrais pas que je rentre à la maison ? J’essaie de rester calme, mais la panique me saisit.
[Ces rumeurs seraient vraies ? Ou certaines sont fausses. Après tout si la reine d’Angleterre était élève ici, ça doit signifier que je ne crains rien. Ou pas]
C’est moi ou cette ville est vraiment maudite ? La mort et le malheur semblent hanter chaque recoin d’Aversionnas, du Boulevard de l’Espoir à ce petit pensionnat tout tranquille, serait-ce un mauvais présage me concernant ?
Je chasse ces idées macabres de mon esprit. Ce ne sont que des ragots pour créer une atmosphère de mystère et inciter les gens à aller s’inscrire, ou les décourager. Quoi qu’il en soit, les fantômes doivent se réjouir de toucher l’argent de Pénélope Ramirez, gagné grâce à la vente de ses belles peintures.
Je me demande où sont les toilettes, il faut que je remette le chat en place ou je vais finir avec le dos écrasé. Mes yeux parcourent la cour, pas de trace de ma nouvelle amie. C’est une bonne chose.
Une jolie fille brune s’assoit sur un banc, ses cheveux longs sont bien coiffés et ses vêtements alternant le bleu et le violet m’attirent personnellement. Vais-je faire une infidélité à Cassandra ?
Je m’approche d’elle avec mon sourire ravageur, confiant et prêt à tout. Rien ne me fait peur. Mes pas additionnés me permettent d’atteindre le banc, je suis proche d’elle, son odeur de fleur m’enivre. J’ai envie de la cueillir et de la serrer contre moi, la gardant tel un trésor. Posant un genou au sol, je refais mes lacets.
« MIAOUUUU! »
| Merde ! Elle ne pouvait pas fermer sa gueule. Surtout au moment où j’allais tenter une approche avec cette jolie fille. Pff ! Chrystall, tu fais chier].
Bougonnant, je me relève et pars en quatrième vitesse. La fille ne le remarque même pas, occupée à écouter de la musique, son casque violet vissé sur ses oreilles.
PFOU ! J’ai eu chaud, si elle avait entendu son cri, ça aurait été la merde. Elle m’aurait dénoncé dès le premier jour vu que je ne respecte pas la règle : pas d’animaux dans l’établissement. Ce serait dommage d’avoir fait tout ce chemin pour rien.
Les toilettes n’étaient pas loin de la statue en fait, elles sont dans un bâtiment de couleur crème situé à quelques mètres. Je rentre jetant un petit regard au panneau représentant deux symboles noirs. Mars et Vénus.
Je m’enferme dans une cabine et pose le sac. J’ouvre rapidement ce dernier et observe la situation. Haha ! Elle dort cette petite peste alors que je l’entendais y a deux secondes.
Voilà c’est bon, la chatte est en meilleure position, mais elle devra perdre du poids pour que ça aille mieux. Je sors des toilettes au moment où le haut-parleur se déclenche et que j’entende pour la première fois la voix de Monsieur Morris.
« Chers pensionnaires de L’Épi Noir, bonjour à tous, positionnez-vous devant le bâtiment principal en colonnes et en lignes, les plus jeunes devant et les plus grands derrière. Vos professeurs et moi-même nous vous répartirons dans les groupes. Bonne rentrée et à tout de suite »
Maintenant, je ne peux plus reculer. La rentrée va commencer et je n’ai même pas ma clé. J’avais zappé ce détail. Il est temps de régler ce problème et avant qu’il ne descende dans la cour.
[ Zut ! J’ai toujours pas ma clé et la réunion va commencer, il faut que je trouve le bureau de la direction ]
J’analyse les bâtiments de la cour que je n’ai pas encore remarqués, essayons le blanc avec les fenêtres symétriques. J’ouvre la porte et pénètre dans le couloir, il est grand avec des escaliers de tous côtés. Je suis totalement perdu.
« Eh ! Qu’est-ce que vous faites là ? »
Quelqu’un m’interpelle, une femme en haut des marches qui s’approche . Assez âgée et portant des lunettes, elle ne me paraît pas du tout accueillante. Et je n’ai pas du tout envie de l ‘analyser vu la froideur que je ressens en la voyant.
J’espère qu’elle va se barrer. Oh non ! La voilà devant moi, me scrutant avec ses lunettes rondes noires et la serpillière sur sa tête. Qui est cette vieille bique ? Ma future prof principale ? J’espère pas.
« Bah ! Je cherche le bureau de Monsieur… Saucisse… Pardon ! Monsieur Morris
- C’est là-haut, troisième étage.
- Excusez-moi madame, mais qui êtes-vous ? »
- Madame Germaine Trouchelon, professeure d’espagnol du COXY. Au revoir. »
Madame Trouche… me dépasse et quitte le bâtiment disparaissant dans la cour. C’est bien l’ancêtre, restes-y. Bien ! Troisième étage, il est temps de faire un peu d’exercice.
Je m’avance vers l’escalier, montant les marches deux à deux. La réunion va bientôt commencer et je n’ai aucune envie de croiser Germaine professeure d’espagnol du COXY. D’ailleurs c’est quoi ce nom chelou pour nommer sa classe ?
[ Le COXY. Quel nom étrange ! Pourquoi pas le COCCYX aussi ?]
Ma plaisanterie me fait rire tout seul comme un abruti jusqu’au dernier étage. J’arrive essoufflé, aussi crevé que dans le parc après avoir été sous l’emprise de ces lumières bleues. Faut que j’arrête de tout lier à ce phénomène.
Une femme est à l’accueil en train de répondre au téléphone, assez jeune, et plutôt pas mal. Encore une brune, je vais faire une overdose à force. J’aperçois les chaises vides, visiblement un genre de salle d’attente.
Je me stoppe devant le bureau de celle-ci. Sur son bureau il y a une plaque avec son nom : Sandra Nabush, secrétaire d’Isaac Morris. Et bah. Elle n’est pas n’importe qui.
Peut-être que monsieur Morris me laisserait la lui voler de temps en temps, une sorte d’alternance entre deux hommes. Ouh là ! Mes hormones bouillonnent, stop. Ça devient gênant. Surtout si elle est mariée, mais je ne vois pas de bague à son annulaire.
Les filles avec la terminaison en A me plaisent vraiment, Cassandra, Sandra, Barba… Non pas elle ! Elle repose le téléphone sur le combiné et me regarde avec un grand sourire, que je lui rends. Elle se lève du bureau et se met en face de moi. Ciel ! Qu’elle est grande !
Son teint de pêche met en valeur ses beaux yeux noisette, elle doit avoir une vingtaine d’années, ses cheveux mi-longs et bruns tombent sur son cou. Je baisse mon regard vers sa poitrine masquée par un chemisier noir uni, où j’imagine le reste.
Ses belles jambes sont cachées d’un jean rouge arrivant aux mollets et une ceinture noire à boucle en métal cloutée soutient ce dernier. Des bottines couleur jais emprisonnent ses pieds de déesse.
[ Mais qu’est-ce qu’il m’arrive, je sais qu’Axelle est partie depuis un an, mais bon ! Je ne vais pas sauter sur tout ce qui bouge, surtout les brunes aux cheveux longs.]
« Bonjour !
- Bonjour madame.
- C’est pour quoi ?
- Je venais pou… pou… pour chercher ma c… c… clé
- Hum ! fit-elle en repassant derrière son bureau, les yeux sur un document. Benoît Péruwelz, je présume ?
- Non ! Enfin oui, oui c’est moi. »
Je manque de rougir dès qu’elle s’approche de moi, oh mon dieu, comment je vais faire pour garder mon calme. Elle revient vers moi avec un sourire et me fait signe de la tête, m'indiquant un long couloir avec de multiples portes.
« Bien ! On t’attendait. Monsieur Morris espérait que tu viennes avant le début de la réunion. Il y a eu quelques petits problèmes d’ordre administratif et on comptait sur toi pour les éclaircir. Tu peux le rejoindre dans son bureau, il t'attend, c’est la porte tout au fond à côté de celle du CPE, Monsieur Vorn.
- Merci madame.
- Et appelle-moi Sandra, ici tout le monde le fait. Bon ! Je te laisse, je vais me servir une tasse de café, il m’en faut encore une » me quitta-t-elle avec un sourire atteignant mon cœur.
- Merci Sandra. Au revoir »
J’ai de la chance moi avec les filles d’ici, j’ai une Cassandra dans le viseur, plutôt jeune et charmante, mais son modèle plus adulte du nom de Sandra Nabush me plaît tout autant.
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