II - Quand on est le nouveau (6)
Julia. En vie. Dois-je connaître ma rédemption aujourd'hui ? Mais que fout la direction ? Ramenez vous, putain, ne me laissez pas là à souffrir seul comme un imbécile, changez moi les idées. Ils connaissent pas la ponctualité ou quoi.
[ Faîtes que cette journée s’achève. Et si je suis déjà mort, achevez moi encore.]
La peine que je gardais au fond de mon cœur se libère, inondant tout sur son passage. Tâchant mes manches, les gouttes se répandant de mes yeux au sol. Si mes larmes peuvent aider la planète, que les arbres poussent dans toute la cour.
Célia serait fière de moi, je fais quelque chose d’utile pour sa cause. Pleurer. Et imaginer que ça serve à quelque chose, à part me soulager. C’est mieux que d’arracher un pavé et de le lancer au premier élève du coin, évitons de cibler celle que j’apprécie peu.
J’ai envie de l’incendier par message, lui dire qu’elle n’avait aucun droit de faire ça, de me faire endurer une telle souffrance. De plus, on a dépensé de l’argent inutilement pour une cause perdue. Les bibelots qu’elle a acheté au voyant, les séances de spiritisme, d’exorcisme… on croyait naïvement que c’était la maison qui était maudite.
Mais qu’est-ce qu’on a pu être cons. Je me dis que mon père a du en avoir assez de cette quête illusoire. La recherche de la pierre philosophale à côté de ça, c’est du gâteau. Je ne veux pas de ses explications. Qu’elle reste dans son silence.
Bon, on en est où avec la réunion, là ? Je rouvre mes yeux mouillés, quelques larmes continuent de couler, j’ignore et je me concentre sur les élèves. Ils sont regroupés en bandes, discutant comme toujours. Je ne vais jamais réussir à me frayer un chemin dans ce labyrinthe.
« Votre attention s’il-vous-plaît. La rentrée est reportée à 10h00, nous avons un élève qui fait une crise de panique. Actuellement il est à l’infirmerie, mais il demande la présence de Sandra. Nous devons également nettoyer les dégâts causés. Excusez nous encore pour ce retard. »
Je reste la bouche ouverte, ce n’est pas possible. Donc je ne suis pas en retard depuis le départ, vu que la réunion a été décalée. Pauvre Monsieur Morris, il est débordé, je comprends pourquoi il se détend avec des Sudokus. Le directeur fait lui même la femme de ménage, c’est comique. À moins que ce ne soit une exception.
Ma curiosité sans limite me fait demander: Pourquoi le directeur a t-il fait cette annonce ? Pourquoi ne surprend t-elle personne ? Je n’ai pas le temps de dire quoi que ce soit, Barbara le fait pour moi.
« C’est encore ce débile mental d’Ahinora qui en fait des siennes. Quelle idée ils ont eu de faire une classe cas spéciaux.
- Barbara. Dois-je te rappeler que le débile mental comme tu l’appelles est autiste ? Tu critiques ce handicap et t’en moques ouvertement sans penser que tu peux blesser les personnes qui sont dans ce cas de figure. répondit la fille aux lunettes
- Ferme là Sturdum. J’ai aucune leçon de morale à recevoir d’une binoclarde qui se croit meilleure que tout le monde.
- Viens Léonie, perds pas de temps avec elle. »
Une fille du même gabarit que Léonie la prit par les épaules et l’éloigna de Barbara. J’assiste médusé à la scène, cette impression d’être dans la fiction m’agace. Aurais-je basculé dans un monde parallèle ?
Je ris dans mon for intérieur, les mondes parallèles ça n’existe pas. Mais dans le cas contraire, ça expliquerait le retour inattendu de Julia et le phénomène du lac. Le surnaturel englobe ma journée depuis son commencement. Bon ! J’imagine qu’on peut s’écarter des autres, vu que la rentrée est reportée. Première fois de ma vie que ça arrive.
Des élèves sautent de joie en l’apprenant, ils n’avaient apparemment pas compris. Et si j’allais discuter un peu avec la populace, la fille du banc par exemple, celle avec le casque violet.
J’essaie de reprendre un air plus avantageux, me forçant à sourire et essuyant les yeux larmoyants. Ignorant la possibilité de me planter comme avec Barbara, je me relève et la cherche du regard.
Elle est là. À nouveau sur son banc, le casque vissé sur les oreilles, repartie dans sa bulle protectrice. Et comme par miracle, il y a une place. Je traverse toute la cour à vitesse normale et m’arrête pour surprendre une situation qui me déplaît.
« Arrête Damien.
- Laisse moi m’asseoir à côté de toi au moins.
- Non! Dégage. Laisse moi tranquille. »
Elle fait un geste menaçant et repousse un garçon blond, il paraît insistant mais abandonne très vite, partant rejoindre un groupe d’élèves dont une rousse qui m’ensorcelle dès que je pose mon regard sur elle.
La place enfin libre, je sors de ma cachette ; derrière les toilettes. Elle est concentrée sur sa musique mais je peux jeter quelques petits regards discrets sur tout son corps. C’est parti pour l’analyse. En mode rapide, comme un antivirus. Pour Barbara c’était plus une version complète avec l’abonnement.
La jolie demoiselle est dans ma tranche d’âge, pas plus de seize ans. Elle mesure dix centimètres de moins que moi. Ses longs cheveux ravissants et bruns sont ondulés avec une frange rebelle qui lui frappe le front.
Elle va se retourner dans deux secondes et je vais me prendre une claque. Arrête de te concentrer sur ses yeux, cet océan de bonheur. Bleus foncés, la couleur du saphir, ma pierre précieuse préférée.
Sur son cou s’agite un pendentif argenté, je peux voir les trois spirales violettes tournoyer à cause du vent, on se croirait dans une séance d’hypnose. Ses vêtements sont plus simples que ceux de la reine des lieux, mais restent chics pour autant.
Blazer prune, ceinture dorée, jean noir et converses azur. Un joli mélange de couleurs, sur son poignet droit, un bracelet rose avec un éclair argenté. C’est original comme motif et ça lui va bien. Elle pue le mystère cette fille et ça me plaît.
Que vais-je faire pour attirer son attention ? Hmm ! J’ai trouvé, ne m’en veux pas belle inconnue. Si ça marche, au moins je pourrais lui parler de vive voix, au pire, je prendrais une claque, voire deux.
« EH ! Qu’est-ce que tu fous Dam… »
Elle se lève brutalement après que je lui ai arraché le casque des oreilles, la voilà maintenant qui me toise, les mains sur les hanches. Je ne l’ai pas vue sauter du banc, ma parole. Son regard me fixe, les océans me broient les intestins, qu’est-ce que j’ai fait, j’ai réveillé la colère d’un volcan.
« T’es qui toi ? D’où tu te permets de me déranger alors que je suis tranquille ? T’aimerais que je te fasses pareil ? »
Ce n’est pas un volcan qui enrage, mais le ciel lui-même. Je sens la foudre tomber, d’ailleurs quelle ironie que l’éclair soit le symbole sur son bracelet. La fureur divine, je n’ai que ça depuis le début.
Les éléments s’acharnent contre moi, la glace avec Barbara et maintenant l'orage avec elle. Je balbutie quelques mots me retenant de m’enfuir comme un gamin, n'ayant plus l’âge de fuir. Il est temps d’assumer.
« Euh… Bah...
- Je te fais peur ? Haha ! Excuses toi et je redeviens gentille.
Elle me fait un petit regard mignon là, ou je rêve. Mais bon sang, ses yeux c’est de la torture, je ne peux plus les regarder sinon je finirais au fond d’eux, maudite sirène. Génial ! On a une princesse des glaces d’un côté, et une sirène de l’autre. J’ai atterri dans la quatrième dimension ou quoi.
« Pardon. Je sais pas ce qui m’a pris, je voulais juste attirer ton attention. répondis-je peu fier de moi
- Bon ! Maintenant tu l’as. Alors tu veux me demander quoi.
- Question stupide, on fait comment pour s’intégrer ici ? Car j’ai l’impression que tout le monde se connaît et…
- Ah ! Toi aussi t’as le même ressenti. Les gens ici sont déjà une famille, ils sont tous entre bandes. Barbara et ses Givrées, le clan des intellos coincés, Damien et ses potes… C’est dur de débarquer quand on est nouveau.
- Autre question bête, t’es nouvelle ?
- Yep ! Je viens d’arriver ce matin, ils sont totalement en déconnexion avec le système scolaire que je connais, surtout avec les classes. Et la ponctualité, ils n’ont pas l’air de connaître mais bon… ça a l’air sympa ici.
- Ouais. Alors mademoiselle la nouvelle, comment t’appelles tu ?
- Mélanie. Mélanie Riveira. Et toi monsieur j’arrache le casque sur la tête des gens pour faire connaissance ? Quel est ton nom ?
- AÏE! Touché. Ben. Benoît Péruwelz. »
Une poignée de main s’échange, nos peaux se collent l’une à l’autre, un sentiment de satisfaction emplit mon esprit et je retrouve le sourire assez vite. Grâce à Mélanie. J’ai enfin posé le nom sur la sirène qui foudroie mon cœur.
Je ne sais pas ce que j’ai avec les brunes, mais au moins je casse la malédiction des terminaisons en A. Est-ce une bonne chose ? Je l’ignore. En tout cas, j’ai hâte de la connaître davantage et de savoir ce que l’avenir nous réserve.
« Bien ! On a un nom. Enchantée Benoît. Je vais t’appeler Ben.
- Je peux t’appeler Mel ?
- Non. On s’en tient à mon prénom complet, Mélanie. Il est joli tu ne trouves pas ?
- Tu peux me dire ce qu’il signifie ?
- Haha ! Mélanie vient du grec « Mélanos » qui signifie « sombre » ou « de couleur noire ».
Ça promet. Je pensais que ce prénom était plus poétique pas aussi lugubre, finalement la malédiction des terminaisons en A me manque. Allez, ce n’est qu’une étymologie sans importance. On ne peut pas se fier à ça pour définir une personne.
« OK ! C’est chouette l’ambiance, maintenant. m’exclamais-je en la taquinant
- Je suis plutôt solaire comme fille, donc t’en fais pas. Et si tu voulais savoir si j’ai trouvé la réponse sur Internet, c’est oui. Haha! »
Génial ! Maintenant elle lit dans mes pensées, c’est qui cette fille, une créature sur-développée ? Est-ce que je lui demande ce que veut dire mon prénom ? Ouais, ma mère ne m’a jamais expliqué pourquoi je m’appelle ainsi, peut-être que je vais comprendre pourquoi.
« Tu peux regarder ce que Benoît signifie ? Si c’est aussi sombre que le tien. »
Après lui avoir fait une grimace pour l’embêter, elle me répond avec un acquiescement et tape très vite sur son téléphone, les résultats tombent, je ne peux pas échapper à la vérité.
« Benoît vient du latin benedictus qui signifie béni, donc béni de Dieu. Wouah ! L’ombre et la lumière réunis, chouette duo.
- Et merde, moi qui voulait échapper à la folie chrétienne de la ville, c’est raté.
- Bienvenue dans le camp des athées. »
Un autre contact physique avec l’ombre mais ça m’excite plus que ça ne me repousse. Franchement, ces superstitions débiles pour gâcher la vie des gens, elle a un très beau prénom et il ne définit pas qui elle est.
Elle me prend d’un coup la main et m’entraîne hors du banc, notre repaire, pour aller dire bonjour au bas-peuple. Je grince des dents, j’étais bien avec elle moi. Rencontrer des Barbara bis ça ne m’intéresse pas.
Pour une nouvelle, elle a de l’aplomb et semble déjà bien connaître les lieux, c’est donc le moment d’étoffer mon cercle d’amis qui est restreint. À part Nathan que je ne vois plus trop, personne ne partage ma compagnie, je devrais peut-être y remédier.
Je souris à Mélanie qui me trimbale dans la cour tel son doudou, sentir sa chaleur contre ma paume me fait du bien et me soulage de la tristesse que je ressentais précédemment. Je ne pardonnerais pas à ma mère cette trahison et elle devra répondre de ses actes, devant la justice.
Elle me lâche en plein milieu de la cour, se mettant un peu à l’écart. C’est le banc où siège une beauté aux cheveux roux, une magicienne qui ensorcelle par son charisme. Ah non, pas lui. Le fameux mec qui harcelait Mélanie voulant s’asseoir à côté d’elle, est là.
« Coucou la compagnie. » lance Mélanie se forçant de sourire
- EHH! Comment tu vas ma chère Mélodie ?
- C’est Mélanie, abruti. Et je vais bien »
Le courant n’a pas l’air de passer entre Mélanie et le gars dont j’ai oublié le nom, ah oui Damien. La rouquine secoue la tête et donne une tape sur l’épaule du jeune, moi je ne sais que dire, le pensionnat regorge de belles filles, je ne sais plus laquelle choisir.
« Alors je vous présente Ben, c’est un nouveau comme moi. Et il a une façon bien à lui de se présenter. »
Elle ne manque pas une seconde de me rappeler mon exploit désastreux passé. J’ai déjà l’impression de la connaître depuis une éternité, alors que ça fait à peine quinze minutes qu’on se parle. Je surveille avec attention ma montre, Morris ne va pas tarder, dès le problème Ahinora réglé.
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