Chapitre 6

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 Le soleil est déjà haut quand nous nous réveillons.

Nous sommes loin de la ville, je ne sais où. Il fait beau. Nous n'avons rien à manger.

Il y a une rivière qui passe en contrebas.

- On pourrait pécher...

- Non.. Mais on va se laver, vous puez ! Allez tout le monde à la douche!

Et je cours vers la rivière en jetant mon sweat. et ils me suivent.

J’enlève mes chaussures. Un pied dans l’eau : elle est glacée !

Je frissonne. Mes tétons deviennent tout dur comme quand Hugo passait sa main sous mon pull et les caressait à la récré. Alors je pense à lui.

Puis je n'y pense plus.

Lucas décrète qu’il prendra sa douche chez papy et mamie. Camille est d’accord avec lui. Je suis minoritaire… alors je m’incline !

Nous nous réchauffons au soleil sur la berge.

- On va quand même pas débarquer chez papy et mamie avec le camion de l'autoroute.

- Non... On va d’abord essayer de retrouver l'autoroute. On va rouler jusqu'à la sortie de chez papy et mamie et on abandonnera le camion...On finira en stop... »

- En stop!? À pieds oui !

- Comme ça ils retrouverons leur camion. On l'aura juste emprunté.

-Et les portables?...

-J'ai plus de batterie...

Je regarde le mien: pas de réseau, pas de 4G, pas de message.

-Papa veut qu'on s'en débarrasse...

J'hésite une seconde et je le jette dans l'eau. Il fait un ricochet et coule. Camille fait pareil. En s'appliquant, elle fait cinq ricochets!

-Gagné!!

-Ça c'est fait.

 Nous marchions depuis plus d'une heure au bord de la route quand le boulanger nous à pris en stop dans sa camionnette de livraison.

Il nous a reconnu.

C'est maxime.

Nous jouions ensemble quand nous étions gamins (je parle comme une vieille!) Il était un peu plus âgé que tout le reste de la bande que nous formions avec ses frères et quasiment tous les enfants du village.

C'était le fils du boulanger...maintenant c'est le boulanger. Il a beaucoup changé, mais il y a encore en lui le grand garçon dégingandé qu'il était... avec un je ne sais quoi en plus...

Pendant que Lucas s'occupe des croissants qui restent dans la fourgonnette, il nous donne des nouvelles : on dit que le Président est en fuite et qu'il a lancé un appel sur Facebook à sauver la république.

On dit que le Premier Ministre était prisonnier, assigné à résidence sur l’île d’Yeux.

On dit que 350 députés ont péris dans l'incendie de l'assemblée nationale.

On dit qu'un assaut est en cours sur le sénat.

On dit beaucoup de chose mais en fait, nous ne savons rien.

Mais, ici la vie continue comme si de rien n'était.

Quand il nous laisse devant chez papy et mamie il me dit :

- Tu as beaucoup changé, Léa... 

Je ne dis rien. De toute façon je n'ai le temps de rien dire, il démarre aussitôt. Je suis reste là, immobile, jusqu'à ce que la camionnette ne soit plus visible.

Et un peu après...

Papy et mamie n'ont pas posé de question en nous voyant arriver. Parce qu'ils savaient ou parce qu'ils ne voulaient pas savoir.

Ils avaient reçu un SMS de papa qui leur annonçait notre arrivée.

Les chambres étaient prêtes, le repas aussi et nous avions très faim alors nous sommes mis à table !

La vie s'est organisée.

Nous avons pris nos habitudes.

Mamie qui avait été prof de maths nous à vite rappelé que ce n'était pas les vacances et qu'il ne fallait pas prendre de retard.

Le matin, nous faisons semblant de croire que tout va bientôt rentrer dans l'ordre et elle nous fait cours. Surtout à Lucas. Clémence et moi, nous nous débrouillons avec les vieux bouquins qu'elle a sorti du grenier. Il y a même les anciens cours de papa !

 

A 11h45, j'entends le boulanger klaxonner en bas du village. Alors, je vais l'attendre devant la maison .

Bientôt le pain est rationné mais il continue sa tournée et il a toujours un petit pain ou un croissant pour moi que je donne à Lucas.

Puis, l'essence aussi est rationnée alors c'est moi qui prends le vélo pour aller jusqu'à la boulangerie…

Même si souvent je rentres sans pain.

Papy s'est remis au jardinage et Lucas est devenu son fervent apprenti .

Papy nous raconte la guerre qu'il n'a pas faite comme si il l'avait faite. N'empêche, c'est grâce à lui et à sa manie de faire des réserves « au cas ou » qu' on mange à notre faim...

- vous n'avez pas connu la guerre vous ! 

Il avait 5 ans quand la sienne a finie... Je crois que ce que nous vivons y ressemble beaucoup.

 Ici aussi, il n'y a plus de télé, plus de web, plus de téléphone. À part quelques passionnés d'informatique et d'internet comme Maxime nous n'avons accès qu'à l'info officielle :

Une seule chaîne télé qui fonctionne de nouveau baptisée France Libre TV. Un vieux journaliste de la fin du siècle dernier -qui a du passer longtemps entre les mains de la coiffeuse pour essayer de faire croire qu'il avait encore des cheveux- semble tout heureux de retrouver la lumière des projecteurs et de présenter à nouveau le journal.

La Russie, le Venezuela et la Corée du Nord ont reconnu la légitimité du président par intérim, un général à la retraite.

Le président est en fuite et un mandat d'arrêt international a été lancé contre lui pour haute trahison et assassinat..

Le premier ministre est aux arrêts.

Les infos que j'ai par Maxime sont un peu différentes. La télé ne parlent pas des exécutions de policiers accusés d'avoir tiré sur le peuple. De l’emprisonnement des responsables politiques n'ayant pas fait allégeance au Président. Du bombardement de l'assemblée Nationale et de l’assaut contre le Sénat. Des combats contre les militaires loyaliste. De l'intervention de forces étrangères...

Je garde ça pour moi. Je ne peux pas vérifier, papy a débranché l’ordinateur. Il ne veut pas d’ennuis, mais je sais qu'il écoute la radio en cachette, et pas que la nouvelle radio d'état !

 

En apparence la vie est quasi normale. C'est la campagne ici. Nous sommes loin du chaos que me décrit Maxime, même si personne n'a vu le maire depuis bien longtemps et si des hommes en armes gardent la mairie...

Nous sommes sur la terrasse, Le soleil nous a cloué aux chaise longues comme des papillons sur un présentoir quand je pose la question à Camille:

- C'est vrai que maman s'est réveillée et qu'elle a dit qu'on devait faire ce que papa avait décidé ?

Elle reste un long moment silencieuse.

-Non, je crois pas... Elle a ouvert les yeux quelques secondes... Mais elle n'a rien dit. Le docteur parlait à Lucas d'une voix douce avec les mots qu'il fallait…Elle l'a quasiment hypnotisé ! Mais maman n'a pas parlé. Je crois qu'il a prit la voix du docteur pour celle de maman, je crois qu'elle l'a vraiment hypnotisé.

Ou alors, il entend des choses que nous n'entendons pas... C'est possible, il était très proche de maman.

-Tu crois qu'elle est morte ?...

-Lucas dit que oui... et qu'elle lui parle, la nuit...

-Pourquoi il ne m'en parle pas, à moi ?

-Tu es plus souvent à la boulangerie qu'avec lui...

Et elle s'est tue.

Et je me suis tue. Elle a raison.

Et le soleil continu à chauffer.

Et le vent à faire bouger les feuilles.

Et j'ai envie de voir Maxime.

Qu’il arrête de me regarder comme une petite fille.

Nous ne sommes plus des enfants !

Qu'il me serre dans ses bras.

Mais je ne bouge pas.

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